La Bible entre gnose et fondamentalisme : La réponse du Père Lagrange par Jacques Fichefeux

In : La Voix de Saint-Raphaël, diocèse de Fréjus-Toulon, n° 9, été 2006, Jacques Fichefeux, Délégué diocésain à la Formation

Entre les élucubrations de Dan Brown sur la personne de Jésus, et les spéculations pseudo-scientifiques sur le manuscrit du IVe siècle de l’évangile de Judas, la Bible et particulièrement le Nouveau Testament sont bien malmenés. Mais ce n’est pas la première fois que l’Église se trouve confrontée à une critique ou une déformation de son interprétation de la Bible.

Dès le IIe siècle on voit Irénée de Lyon réfuter les doctrines ésotériques dans son traité « Contre les hérésies : dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur ». Et tout au long de l’histoire, l’interprétation de la Bible a été au cœur de toutes les tentatives hérétiques.

À la fin du XIXe siècle, l’Église était confrontée à une polémique tout aussi redoutable : la critique rationaliste des Écritures.

Face à ces critiques, manifestant la plupart du temps une volonté anti-chrétienne, on peut constater le désarroi de nombreux croyants ; « Peut-on encore croire ce que nous dit la Bible ? » Cette peur conduit certains chrétiens à rejeter tout travail scientifique, revendiquant une interprétation purement spirituelle.

Le Père Marie-Joseph Lagrange, pionnier de l’exégèse moderne, va durant toute sa vie répondre à cette double difficulté en s’attachant lui-même à une double exigence : l’intelligence spirituelle et la méthode critique d’analyse.

En fondant l’École biblique de Jérusalem en 1890 puis la Revue biblique en 1892, il veut à la fois ne pas laisser la science incroyante et rationaliste explorer seule les Écritures, et sortir de l’impasse d’une lecture trop fondamentaliste revendiquée par la foi populaire.

Il a toujours revendiqué cette double fidélité : fidélité à une lecture de tradition et exigence d’une exégèse moderne.

« Je crois avoir donné des marques d’une vraie passion pour l’étude, mais je déclare que je ne la comprends pas, dans notre Ordre, sans le chant d’une bonne partie de l’office, comme repos et comme lumière ! (…) L’étude de l’Écriture Sainte sans un grand esprit de foi est fort périlleuse, comme le prouvent de nombreuses apostasies, et je ne me soucierais pas de travailler pour arriver à ce résultat pour moi ou pour les autres ». (Lettre du Père Lagrange au Père Paul Meunier, supérieur de la maison Saint-Étienne à Jérusalem).

Dans son discours d’inauguration de l’École biblique de Jérusalem il déclare :

« en connaissant mieux (la Bible) comme livre d’histoire, vous la goûtez mieux comme livre inspiré et divin. (…) Qu’il le veuille ou ne le veuille pas, notre siècle, par son arrachement presque excessif aux études historiques, aboutira à constater la transcendance du fait divin ».

Il dénonçait également l’appauvrissement et le danger d’une lecture trop fondamentaliste. En novembre 1902, le Père Lagrange va prononcer à Toulouse une série de conférences sur la méthode historico-critique. Dans l’une d’entre elles, il dénonce une exégèse qui prend

« tout à la lettre à force de suivre uniquement le sens littéral, oubliant qu’elle-même avait compris dans le sens littéral la métaphore et l’allégorie, nageant dans l’absolu, voyant les affirmations partout, et ne s’étonnant pas de posséder une histoire réelle et authentique de toute la race humaine dès les premiers commencements ».

Pour le Père Lagrange, cette double exigence, attachement à la tradition et rigueur scientifique, est source de fécondité et permet un enrichissement de la lecture spirituelle de la Bible. C’est ce qu’il montre dans un article sur la Genèse :

«car ce que j’admire le plus dans la doctrine catholique, c’est qu’elle est à la fois immuable et progressive. Pour l’esprit ce n’est pas une borne, c’est une règle. Elle s’impose à lui, mais elle sollicite son activité. Les grandes intelligences peuvent se livrer à loisir à leur passion dominante, le progrès dans la lumière. La vérité révélée ne se transforme pas, elle grandit. C’est un progrès parce que les acquisitions nouvelles se font sans rien enlever aux trésors du passé. Aussi l’histoire de l’exégèse est-elle la plus belle des histoires littéraires. »

Aujourd’hui encore, où les gnoses et des idéologies tentent de remettre en cause l’interprétation des Écritures, le Père Lagrange nous invite à entrer dans une connaissance plus approfondie des Écritures. Lecture spirituelle qui nourrit notre foi, mais aussi lecture nourrie et éclairée par le travail de l’exégèse qui évite le repli frileux dans un fondamentaliste protecteur. Écoutons cette parole prophétique du Père Lagrange :

« je suis convaincu qu’il y a une campagne à continuer, où il y aura beaucoup d’ennuis à endure, de préjugés à vaincre, d’attaques à supporter patiemment. Mais alors pourquoi ne pas demeurer tranquille dans les voies frayées ? Parce que je suis passionnément épris de l’honneur de l’Église et qu’il me semble que cela va au bien des âmes ».

Jacques FICHEFEUX

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