Dans le numéro du mois de février 2008 de La Revue du Rosaire, nous avons présenté la vie et l‘œuvre de Jean Bottéro, spécialiste de l’histoire de la Mésopotamie, actuelle Irak, berceau de grandes civilisations et concrètement de l’écriture née à Sumer vers 3300 avant J.-C. dans sa forme cunéiforme utilisée pour comptabiliser les nouvelles richesses. Voici quelques extraits de ses entretiens avec Hélène Monsacré où Jean Bottéro se souvient avec émotion et reconnaissance de l’influence bienfaisante du Père Lagrange sur son être et sur son travail de recherche :
« Il a fondé l’École biblique sur l’idée lumineuse et géniale, et pourtant alors sans valeur, qu’il fallait étudier la Bible dans le pays où elle a été écrite. Une fois là-bas, et tout en se débattant au milieu de difficultés matérielles et morales de toutes sortes, il a tout appris, même l’assyrien et l’égyptien, pour être capable, ensuite, de préparer des maîtres. Il a su trouver une brigade de jeunes tout à fait remarquables. Il a formé ainsi à l’archéologie le père Vincent, devenu l’un des meilleurs archéologues de Palestine, et, à l’assyriologie, le père Dhorme, qui a quitté l’Ordre plus tard. Le père Jaussen s’est spécialisé en arabe : vivant des mois entiers parmi les Bédouins, il en a rapporté son admirable Coutumes des Arabes au pays de Moab, fondamental pour s’initier à la mentalité sémitique. Le père Savignac s’était réservé l’araméen et le syriaque, non moins que l’épigraphie. Et le père Abel couvrait, à lui seul, le grec biblique et la géographie palestinienne. Le père Lagrange a toujours cherché à attirer à l’École des jeunes qui lui paraissaient capables d’y travailler. C’est comme ça, je pense, qu’il s’est intéressé à moi.
C’était un grand savant, un homme véritablement intelligent, ce qui n’est pas toujours le cas des savants, même les plus grands. C’était un très grand esprit, il avait une culture classique remarquable, il parlait très bien l’allemand et l’anglais ; il avait de grandes admirations littéraires (par exemple, une passion pour Dante, pour Shakespeare, et pour Goethe aussi). Il voyait les choses de très haut, et pensait qu’il est naturel et indispensable de faire confiance aux savants ; que ce n’est pas parce qu’une vieille tradition tient la Bible pour infaillible en tout ce qu’elle dit qu’il faut s’y soumettre à tout prix. Il était thomiste : la raison, la lucidité avant tout !
C’était aussi un très grand religieux et ce n’est pas un mérite facile, pour lui qui avait été si longtemps attaqué, tenu en défiance, calomnié. Il avait un sens presque mystique de l’Église : l’Église était pour lui comme une mère, et non pas seulement la réunion d’un certain nombre d’hommes liés par un même idéal, par des croyances et une morale identiques.
C’était un très grand professeur : on lui avait demandé, à Saint-Maximin, de faire des cours sur la Bible. Imaginez-vous ce que pouvait être un cours fait par quelqu’un d’une telle envergure ? Il nous apprenait des choses fondamentales : comme l’importance des sources, les plus anciennes surtout, remontant le plus près possible des événements. Il ne nous a jamais fait d’exposés systématiques de méthodologie ; mais, à travers ce qu’il disait, on voyait et on apprenait sa méthode : on pouvait s’en imprégner.
Il était extrêmement modeste, travaillant toute la journée, surtout le matin. Il m’a appris cela : « Sauvez vos matinées ! »
Je le répète : je n’ai jamais rencontré un homme aussi grand, aussi noble, et aussi lumineux ! C’est sûr qu’il a changé complètement ma vie ! Moi, après un temps de soupirs et de ténèbres, j’avais mordu avec voracité à la métaphysique – j’aurais probablement pu continuer dans ce domaine-là. Je m’intéressais aussi toujours de fort près à l’histoire naturelle, à l’entomologie, et j’aurais peut-être trouvé moyen de faire quelque chose là-dedans. Je ne sais pas ce que j’aurais fait. Mais c’est lui qui a orienté ma vie. »
(La Revue du Rosaire, n° 199, mars 2008)
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