À Autun, sur les pas du père Lagrange par fr. Jean-Luc Vesco, o.p. Biographie

À Autun, sur les pas
du père Marie-Joseph Lagrange, o. p.

(1855-1938)

Dans les  Souvenirs personnels du père Lagrange, parus sous le titre  Le Père Lagrange au service de la Bible (éditions du Cerf, Paris, 1967), le fondateur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, évoque, à plusieurs reprises, le temps de sa scolarité au petit séminaire d’Autun, dont il garda toujours une certaine nostalgie. Nous avons essayé de retrouver dans cette ville le cadre qu’il a connu en y effectuant un pèlerinage sur ses pas.

À l’âge de neuf ans, Albert Lagrange est envoyé comme pensionnaire au petit séminaire d’Autun où il étudie de la classe de septième jusqu’au baccalauréat, soit de 1864 à 1872. Le frère aîné d’Albert, Louis, était depuis un an déjà dans cet établissement lorsque son jeune frère y entra. Leur père, lui-même ancien élève, confiait ses deux fils à des professeurs qu’il connaissait bien.

Ce séminaire, d’abord grand séminaire fondé en 1675, était devenu, après bien des vicissitudes, petit séminaire en 1813. Il le restera jusqu’en 1886, date à laquelle il devenait École militaire. Le musée des anciens enfants de troupe occupe aujourd’hui la chapelle et la crypte. Les bâtiments grandioses comprennent une élégante galerie qui fait le tour d’une cour carrée au milieu de laquelle trône toujours une statue de la Vierge offerte, en 1859, par Mgr Devoucoux, évêque d’Autun. Elle est due au sculpteur Montigny. La toiture de l’ensemble de l’édifice a été refaite, en 1869-1870, en tuiles vernissées polychromes, selon la mode bourguignonne. De fort beaux jardins, dessinés par Le Nôtre, gardent encore fière allure. Une allée, maintenant obstruée par la gendarmerie, menait directement à la cathédrale.

L’éducation était parfaite. On enseignait fort bien les langues, l’anglais, l’allemand, l’italien, les sciences physiques et chimiques, la botanique, l’entomologie, la géologie, l’archéologie, la littérature classique, grecque et latine, et les Pères de l’Église. En classe de quatrième, Albert apprend par cœur l’évangile selon saint Luc, en grec. De 1866 à 1870, il obtient toujours les prix d’honneur et d’excellence.

Mais la discipline était rude. Les élèves, habillés en blouses bleues, sauf le dimanche, chaussaient des sabots durant l’hiver. Jamais un jour de congé, en dehors des grandes vacances d’été. De Bourg-en-Bresse à Autun le voyage était long et ne pouvait se faire en chemin de fer. De santé délicate, Madame Lagrange ne rendait visite à ses fils que deux ou trois fois par an. Cette séparation familiale affecta beaucoup le jeune Albert. C’est lors d’une visite de sa mère, sous un grand arbre à l’extrémité du jardin, qu’Albert lui confia son désir d’être prêtre.

Dans ses  Souvenirs, le père Lagrange évoque les bois et les hautes futaies du parc du château de Montjeu, le mont Beuvray où se dressait l’oppidum de Bibracte, la capitale d’un peuple gaulois, les Éduens, liés aux Romains. Il mentionne aussi la pierre de Couart, construction à forme pyramidale, probablement un tombeau que la tradition attribuait à Divitiac, le druide. Il parle des anciennes portes des remparts de la cité romaine, Augustodunum. La porte Saint-André conduit vers Langres. En dehors de la ville, s’élève un temple dit de Janus. Le théâtre romain, le plus vaste de la Gaule, maintenant restauré, n’était, à l’époque, qu’un vaste amas de pierres, certaines avaient servi à la construction du grand séminaire.

Autun, l’un des plus anciens évêchés de France, conserve les reliques de saint Symphorien martyrisé à la fin du IIe siècle. Le récit de son martyre contient la belle formule toujours en usage dans la préface de la messe des défunts : « Le vie n’est pas détruite, mais elle est transformée. » Dans la cathédrale, un tableau d’Ingres (1834) représente la scène qui se déroula à la porte Saint-André.

Au musée Rolin, une inscription funéraire, en grec, dite de Pectorios, acrostiche du début du IIe siècle, commence par le mot ichtus, « poisson », dont les lettres désignent : « Jésus Christ, Fils de Dieu, Sauveur ». Elle atteste que les chrétiens d’alors communiaient et croyaient en la vie éternelle. Au dire de saint Grégoire de Tours, c’est à Autun que fut utilisé pour la première fois, le mot « cimetière », « lieu où l’on dort ».

Merveille de l’art roman, la cathédrale, construite vers 1120, vénère saint Lazare dont les reliques présumées avaient été amenées de Marseille au Xe siècle. On peut y admirer les plus beaux chapiteaux romans et le magnifique tympan représentant le Jugement dernier que le jeune Lagrange dut souvent contempler. On connaît sa dévotion à Marie-Madeleine et à Marie, Mère de Dieu. De la première, le musée Rolin expose plusieurs statues et tableaux. De la seconde, la statue la plus célèbre est celle dite de la Vierge d’Autun, émouvante, en pierre polychrome, de la fin du XVe siècle. Elle figurera sur l’image mortuaire du Père Lagrange comme il en avait exprimé la volonté d’après une note retrouvée dans ses papiers, avec cette prière : Monstra te esse matrum, « Montre-toi mère ».

Après avoir passé le baccalauréat, en mars 1872, Albert Lagrange revint à Autun préparer le concours de Saint-Cyr. On le chargera de veiller sur les premiers communiants. Le jour de la fête, le 26 mai 1872, il sortit un instant sous la galerie du cloître et il lui fut dit, sans qu’il puisse s’y tromper, qu’il prendrait un jour l’habit blanc et noir des Frères prêcheurs. Avant de partir étudier à Paris, il retourne à Autun pour une retraite de trois jours auprès de l’un de ses anciens maîtres. Il écrira dans ses mémoires : « Mes chers souvenirs m’attiraient toujours vers Autun. » En 1935, trois ans avant sa mort, il dédie son gros ouvrage sur la Critique textuelle du Nouveau Testament à ses maîtres d’Autun, ses pères en Dieu et ses meilleurs précepteurs au zèle infatigable dont il reste toujours le disciple, « jadis peu docile », souligne-t-il avec humilité.

(La Revue du Rosaire, n° 222, avril 2010)

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