Homélie prononcée le dimanche 18 novembre 1990, à Bourg-en-Bresse (Ain)
à l’occasion du centenaire de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem
Évangile selon saint Matthieu XXV, 14-30
Jésus parlait à ses disciples de sa venue ; il disait cette parabole : « Un homme, qui partait en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens. À l’un il donna une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. Aussitôt, celui qui avait reçu cinq talents s’occupa de les faire valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un creusa la terre et enfouit l’argent de son maître. Longtemps après, leur maître revient et il leur demande des comptes. Celui qui avait reçu les cinq talents s’avança en apportant cinq autres talents et dit : ‘Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres. – Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître.’ Celui qui avait reçu deux talents s’avança ensuite et dit : ‘Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres. – Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître.’ Celui qui avait reçu un seul talent s’avança ensuite et dit : ‘Seigneur, je savais que tu es un homme dur ; tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé enfouir ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.’ Son maître lui répliqua : ‘Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. Car celui qui a recevra encore, et il sera dans l’abondance. Mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dehors dans les ténèbres ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents !’ »
Étrange parabole où il est dit : « à tout homme qui a on donnera encore mais à celui qui n’a pas on retirera même ce qu’il a. » Étrange maître aussi cet homme rude qui moissonne où il n’a pas semé et qui ramasse où il n’a pas répandu. Étrange parabole des talents. Que peut-elle bien signifier ?
Comme toute parabole, la parabole des talents a une pointe, c’est-à-dire qu’elle met l’accent sur une leçon bien précise que Jésus veut donner et qu’il nous faut comprendre. L’essentiel, nous dit-on, est de faire fructifier les talents reçus. Il ne faut surtout pas les laisser dormir, il ne faut surtout pas les cacher, il ne faut surtout pas les enfouir. Ce que nous avons reçu doit porter du fruit, la parabole insiste là-dessus. Nous avons tous reçu quelques talents, cinq, deux, un, peu importe le nombre. L’essentiel est de les faire fructifier.
L’actualité nous invite aujourd’hui à évoquer un homme qui sut faire fructifier les talents qu’il avait reçus, d’une manière exceptionnelle. Cet homme c’est le père Marie-Joseph Lagrange, dominicain, né ici à Bourg-en-Bresse, baptisé dans cette église et qui fonda il y a juste cent ans l’École biblique et archéologique française de Jérusalem.
Cet homme avait reçu entre autres dons, deux talents principaux : une vive intelligence et un très grand esprit de foi. Il les mit tous les deux au service de la Bible et il les fit fructifier. Il conçut le projet, nouveau pour son époque et quelque peu suspect, d’étudier l’Écriture sainte avec tous les moyens humains dont on peut disposer.
Il aborda la Bible, l’un des plus vieux livres de l’humanité, comme tout autre livre. Il le passa au crible de la critique, en précisa le temps et la géographie, la langue et la mentalité, la façon de parler et d’écrire l’histoire. Il se pencha sur son berceau, l’Orient dont il entreprit de mieux connaître les habitudes et les façons de vivre si différentes des nôtres. Par l’archéologie, il ressuscita des monuments anciens qui se mirent à parler. Il étudia la Bible avec toutes les rigueurs de la raison. Persuadé que Dieu a donné dans la Bible un travail interminable à l’intelligence humaine et qu’il lui a ouvert un champ indéfini de progrès dans la vérité. Le père Lagrange voulait que le savant catholique n’enfouisse pas ses talents mais qu’il acquière autant de compétence que les autres savants pour ne pas être disqualifié sur le plan scientifique.
Le père Lagrange sut aussi reconnaître la Bible comme un livre divin. Il y découvrit la manière dont Dieu révèle sa Parole, à un peuple d’abord puis à l’humanité. Il sut lire la Bible en Église, dans la foi. Il croyait fermement que la Bible révèle tout ce que Dieu attend de l’homme, qu’elle dit la vérité de l’homme, la Vérité de Dieu, et comment s’est passée la rencontre des deux, longue histoire d’amour où Dieu découvre l’homme, où l’homme reconnaît son Dieu, de façon progressive, avec des réussites, des échecs et des tâtonnements, comme dans tout amour, avant de parvenir à un sommet, le Christ, qui dit enfin jusqu’où va l’Amour quand il est infini.
Le père Lagrange admettait sans hésiter que Dieu a confié la Bible à une communauté vivante, l’Église. Sans cesse mêlée à l’histoire du monde, l’Église a pour fonction d’actualiser la Parole de Dieu et de la confronter à une société en perpétuelle évolution. Elle porte la responsabilité d’un message de salut offert à tous les hommes. Le père Lagrange a été accusé de se montrer trop critique, il a été calomnié, réduit au silence, exilé. On lui demanda même un moment d’enfouir son talent. Mais il tint bon, convaincu que la recherche de la vérité ne doit jamais avoir peur de ce qu’elle va découvrir. Le père Lagrange n’eut pas peur. Et l’Église aujourd’hui désire en faire un Saint.
À nous aussi, frères et sœurs, la Parole de Dieu a été confiée, comme un talent, pour qu’elle fructifie. Nous ne serons pas tous exégète ou savant mais nous avons reçu chacun quelques talents et cette faim et soif d’une Parole qui fait vivre. Ne l’enfouissons pas ! Nos contemporains attendent, eux aussi, une parole de vérité et de miséricorde, de justice et de paix, de réconfort. À nous de l’étudier, de l’annoncer et de la faire fructifier « dans toutes les nations à commencer par Jérusalem ». Jérusalem où le père Lagrange a voulu établir son École. Jérusalem aujourd’hui si meurtrie, où demeure caché depuis bien trop longtemps le message de Paix. « Jérusalem, pour l’amour de mes frères et de mes amis, chrétiens, musulmans, juifs, laisse-moi dire paix sur toi. »
(Supplément à la Revue « Jour du Seigneur » – n° 45)
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