Écho de notre page Facebook : octobre 2020

2 octobre 2020
Les Saints Anges gardiens

“J’étais décidé à quitter le monde. Comment avertir mes parents ? M. Duchêne vint à la maison le 2 octobre, fête des saints Anges gardiens, l’une de mes trois communions des vacances tout le temps de mon enfance. Mes parents acceptèrent l’appel de Dieu.”

Marie-Joseph Lagrange O.P. Journal spirituel (1879-1932). Avant-propos de Fr. Manuel Rivero O.P. Cerf. 2014.

Illustration : Ange musicien. Melozzo da forli (1480 env.) Pinacothèque Vaticane.

Saints anges gardiens, la troisième communion des vacances au temps de mon adolescence

Cette retraite devient très douce, s’il n’est rien de plus doux que de mieux servir Dieu, l’offenser moins, penser à lui davantage. Pourquoi n’en est-il pas toujours ainsi ?

Marie-Joseph Lagrange O.P. Journal spirituel (1879-1932). Avant-propos de Fr. Manuel Rivero O.P. Cerf. 2014.
Illustration : Melozzo da forlì, chérubins, 1480 ca. Pinacothèque Vaticane.

 

3 octobre 2020
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897)
« Aimer Jésus et le faire aimer. »

Dans l’immense clarté d’amour divin où elle vivait, elle se voyait si peu de chose qu’elle pouvait parler d’elle sans le moindre amour-propre. Admirable leçon qu’elle donne plus que tout autre saint, avec un abandon d’enfant gâtée…

(Marie-Joseph Lagrange O.P. Journal spirituel, Cerf, 2014.)

Pour les “anciens”, la fête de Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus est restée au 3 octobre.
Bonne fête à toutes les Thérèse.

Illustration : Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus (mosaïque).

4 octobre 2020
Notre Père Saint François d’Assise, diacre

« Il faut épouser l’humilité comme saint François a épousé la pauvreté, par un vrai mariage mystique. Ne pas se pousser au premier plan, affirmer son moi, occuper les autres de son estime, de son affection. » (Marie-Joseph Lagrange, Journal spirituel, Cerf, 2014.)

« Commençons par servir le Seigneur Dieu, car c’est à peine si nous avons accompli quelques progrès… » Ainsi parle François au moment où il achève sa course le 3 octobre 1226. Né en 1192, il a traversé le luxe, la frivolité, la conversion dans la rencontre avec le lépreux et avec le Christ en croix, la foi en l’eucharistie… la découverte de l’évangile… C’est Dieu, toujours, qui conduit.  L’amitié entre les deux ordres mendiants des Prêcheurs et des Mineurs (franciscains) est très profonde ; elle se traduit notamment par l’adoption des mêmes textes liturgiques pour la fête de leurs fondateurs respectifs. » Ainsi nous fêtons « Notre Père Saint François ».

L’amitié entre les deux ordres mendiants des Prêcheurs et des Mineurs (franciscains) est très profonde ; elle se traduit notamment par l’adoption des mêmes textes liturgiques pour la fête de leurs fondateurs respectifs. Ainsi nous fêtons « Notre Père Saint François ».

Calendrier dominicain-Ste-Baume

Illustration : S. François d’Assise et S. Dominique. Ordo Praedicatorum.

4 octobre 2020
« La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue le faîte de l’angle. » (Mt 21, 42)

En rejetant avec mépris cette pierre angulaire, les infortunés bâtisseurs préparaient leur ruine. « Quiconque tombera sur cette pierre sera brisé ; et celui sur qui elle tombera sera réduit en miettes. »

Tel est l’avertissement mémorable que Jésus donna à ceux qui s’opiniâtraient à ne pas reconnaître sa mission et ses droits.

(Marie-Joseph Lagrange O.P., L’Évangile de Jésus Christ avec la synopse évangélique. Préface de Jean-Michel Poffet O.P. Présentation de Manuel Rivero O.P. Préliminaire de Louis-Hugues Vincent O.P. Artège-Lethielleux. 2017.)

6 octobre 2020
Notre-Dame du Rosaire
Ave Maria

” Le matin du Rosaire, j’étais à Marseille avec mon cousin Langeron, dans cette même église du Rosaire, le soir à Saint-Maximin. Le lendemain 6 octobre, je prenais l’habit ; j’avais stipulé de ne plus faire de retraite ; on me donna le nom de Marie-Joseph.”

(Marie-Joseph Lagrange, Journal spirituel, Cerf, 2014.)

 

 

 

 

6 octobre 2020
Le père Lagrange et le Rosaire

Le 3 mai 2008, lors de son discours en la basilique de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, le pape Benoît XVI confirmait : « Aujourd’hui la prière du Rosaire n’est pas une pratique reléguée au passé, comme une prière d’un autre temps à laquelle on pense avec nostalgie. Le Rosaire connaît en revanche un nouveau printemps. C’est sans aucun doute un des signes les plus éloquents de l’amour que les jeunes générations nourrissent pour Jésus et pour sa mère Marie. Dans le monde actuel qui est si fragmenté, cette prière nous aide à placer le Christ au centre, comme le faisait la Vierge, qui méditait intérieurement tout ce qui se disait sur son Fils, et ensuite ce qu’Il faisait et disait ».

Le 16 octobre 2002, dans sa lettre apostolique Rosarium Virginis Mariae, le pape Jean-Paul II nous proposait de méditer les mystères lumineux du rosaire. Il est intéressant de découvrir la pensée théologique et spirituelle du frère Lagrange en 1936 telle qu’il la manifestait au cours d’une conférence donnée aux laïcs dominicains appelés à l’époque « tertiaires », c’est-à-dire du Tiers Ordre des Prêcheurs. Pour lui, le rosaire éveille le désir d’approfondir toute la Bible.

« Le Rosaire, comme reflet de la vie de Jésus, est incomplet. On y constate une grande lacune, car il ne dit rien de ce qui est proprement l’Évangile, c’est-à-dire l’enseignement du Sauveur. Cette lacune, il ne pouvait l’éviter, étant une prière qui passe par Marie.

Par une dispensation de sa Sagesse, Dieu n’a pas voulu que la très Sainte Vierge ait pris part ordinairement au ministère de son Fils. Elle apparaît au début, pour solliciter le premier miracle : elle est debout auprès de la Croix pour être constituée par notre Mère par son Fils mourant. Le plus souvent, presque toujours au cours de la prédication, elle est absente. Elle n’avait plus besoin d’être instruite des vérités de l’Évangile telles que Jésus les proposait aux auditeurs, avec mille ménagements appropriés à leur faiblesse.

C’était assez que le Messie fût discuté, méconnu, par un peuple récalcitrant ; la Virginité de sa Mère ne devait pas être jetée en pâture à des enquêteurs malveillants. Elle, absente, le rosaire était interrompu. Mais il en disait assez pour provoquer une curiosité bien légitime.

On ne peut être attentif aux mystères de l’Enfance et de la Passion sans en être porté invinciblement à considérer l’œuvre de l’homme mûr, celle que faisait présager son Enfance, celle qui l’a conduit à sa Passion.

De sorte que l’âme dominicaine, formée par le Rosaire, sera la plus inclinée à se pencher sur l’Évangile pour mieux connaître ce que Jésus exige de nous et l’apprendre dans les faits de sa vie, dans son attitude envers les hommes qu’il est venu sauver, dans les paroles où se répand la lumière, et surtout cette révélation que Dieu est un Père, et qu’il est amour : « Deus caritas est ».

Une fois sur cette voie, le tertiaire dominicain, selon ses facultés et ses loisirs, sera entraîné à la suivre dans les épîtres des Apôtres et surtout de saint Paul, dans les Actes qui conduisent l’Église de Jérusalem à Rome où sera fondé le Siège de Pierre, et même jusque dans cette Jérusalem nouvelle, dont saint Jean nous fait entrevoir dans l’Apocalypse la splendeur encore voilée à nos yeux.

Puis ayant constaté avec quelle fermeté saint Paul affirme que la valeur de l’Ancien Testament est de préparer les âmes au Christ, le dévot du Rosaire voudra connaître ces prophéties auxquelles font allusion les évangélistes et les apôtres, il remontera le cours du temps jusqu’à Jérémie, image du Messie méconnu et souffrant, jusqu’à Isaïe qui eût voulu déchirer les cieux pour en faire descendre l’Emmanuel, jusqu’à David, le type du Roi oint de l’onction divine, jusqu’à Moïse, le législateur dont l’œuvre n’est plus qu’une figure.

Il atteindra Abraham, dont la tente plantée dans le désert contenait toute l’Église, et enfin au premier Adam dont le Christ, le second Adam dans l’histoire, mais le premier par son origine divine, avait expié et réparé la faute.

Alors lui apparaît le Dieu créateur, dont les desseins ne sauraient faillir et qui avait annoncé au couple coupable l’avènement du fils de la femme qui devait triompher du serpent.

Tout cela, l’Église le lui a appris dès ses plus jeunes années, mais le contact avec le livre inspiré, qui est un contact avec l’Esprit de Dieu, le lui rendra plus vivant et par là même plus vivifiant. Le Rosaire aura porté tous ses fruits. » (Fr. Manuel Rivero o. p. dans la Revue du Rosaire, n° 161, octobre 2004)

Illustration N.D. du Rosaire, sculpture de Georges Serraz. Photo O. de St-Martin à Bien Hoa-Viet Nam-07/2019.jpg

6 Octobre 2020
Notre-Dame du Rosaire

“Immaculée Vierge Marie, faites que la récitation de votre rosaire soit pour moi chaque jour, au milieu de mes devoirs multiples, un lien d’unité dans les actes, un tribut de piété filiale, une douce récréation, un secours pour marcher joyeusement dans les sentiers du devoir.
Faites surtout ô Vierge Marie, que l’étude de vos quinze mystères forme peu à peu dans mon âme une atmosphère lumineuse, pure, fortifiante, embaumée, qui pénètre mon intelligence, ma volonté, mon cœur, ma mémoire, mon imagination, tout mon être.
Ainsi contracterai-je l’habitude de prier en travaillant sans le secours des formules, par des regards intérieurs d’admiration et de supplication ou par les aspirations de l’amour.
Je vous le demande, ô Reine du saint Rosaire, par Dominique, votre fils de prédilection, l’insigne prédicateur de vos mystères et le fidèle imitateur de vos vertus. Ainsi soit-il.”
Bx Hyacinthe-Marie Cormier, op

Page FB Dominicains de Bordeaux

La figure du père Cormier est indissociable de celle du père Lagrange. On sait en quelle vénération, bien méritoire, le P. Lagrange tenait le P. Cormier qui l’aimait beaucoup. (P. Bernard Montagnes).

Illustration : Madonna del Rosario par Simone Cantarini (1612-1648) Pinacothèque Tosio Martinengo. Brescia. Italie.

7 octobre 2020
Le père Lagrange, le père Cormier et la prière du Rosaire

Le 6 octobre 1879, au couvent de Saint-Maximin (Var), le Père Lagrange avait reçu l’habit dominicain des mains du prieur provincial le Père Hyacinthe Marie Cormier, apôtre fervent du Rosaire, qui comparait la prière du Rosaire au parfum qui enivre toute l’existence du chrétien :

« Semblable à l’arbre du Liban auquel on n’a point fait d’incision, j’ai rempli toute mon habitation d’un parfum délicieux. »

« C’est Marie dans son Rosaire qui nous parle ainsi. Mais pour comprendre l’application de cette figure, transportons-nous en Orient, sur la belle montagne du Liban si souvent citée, ou plutôt chantée par les Livres saints. Là vous trouvez certains arbres dont les branches, le feuillage et les fleurs ont la propriété de répandre une odeur délicieuse, non seulement dans leur voisinage immédiat, mais même à une certaine distance. Tout le jardin, toute l’atmosphère, l’arbre fût-il totalement caché, sont imprégnés de cette vapeur embaumée, dont les chastes parfums, en même temps qu’ils réjouissent l’odorat, sont des éléments de santé et de vie.

Le Rosaire est figuré par cet arbre à parfum ; et ses émanations étendent leur bienfaisante influence à toute l’habitation, c’est-à-dire à toute la vie. »

Ces deux hommes ont été fortement marqués l’un par l’autre. Le Père Cormier a été pendant de longues années, le supérieur du Père Lagrange qui lui a toujours voué une obéissance loyale. De son côté, le Père Cormier n’a jamais caché son estime et son affection pour ce fils spirituel en saint Dominique.

Le pape Pie X disait souvent en parlant du Père Cormier : « Comme il est saint ! » Puisse la fréquentation de ces deux grandes figures de la foi et de la prédication nous partager le parfum de la sainteté.

Le pape Jean-Paul II a béatifié, le 20 novembre 1994, le père Hyacinthe-Marie Cormier o.p. (1832-1916). Fêté dans la liturgie de l’Église, le 21 mai.

Fr. Manuel Rivero o. p.
Vice-postulateur pour la Cause de béatification du Père Lagrange

Illustration : Madonna en prière. Sassoferrato (1640). National Gallery of Victoria.

8 octobre 2020
L’Esprit Saint, l’avez-vous reçu pour avoir pratiqué la Loi, ou pour avoir écouté le message de la foi ? (Lettre de saint Paul apôtre aux Galates 3, 2)

Le père Lagrange s’est laissé guider par l’Esprit Saint pour conduire l’Église sur le chemin de l’interprétation scientifique de la Bible, accomplissant ainsi l’enseignement de Jésus : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres. » (Évangile selon saint Jean 8,32). Dieu, qui fait toutes choses nouvelles, a fait du neuf à travers la vie et l’œuvre du père Lagrange.

(Extrait de « Marie-Joseph Lagrange O.P. et Pedro Arrupe S.J., prophètes » par Manuel Rivero O.P.)

Illustration : L’Esprit Saint

 

10 octobre 2020
Aujourd’hui, jour-anniversaire de la mort du Serviteur de Dieu Marie-Joseph Lagrange O.P. (10 mars 1938)

En union de prières avec fr. Manuel Rivero O.P. qui célèbre la messe de ce jour aux intentions particulières des amis de l’association et pour la prochaine béatification du frère Marie-Joseph Lagrange O.P. https://www.mj-lagrange.org

 

11 octobre 2020
« Je peux tout en celui qui me donne la force. » (Lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens 4, 13)

« L’intelligence a pour objet l’universel et s’agrandit avec son objet : cependant liée aux puissances sensibles, elle peut, en abaissant ses regards sur elles, connaître les objets particuliers. Mais cette nourriture lui enlève sa force et sa vigueur. Il en est de même de la volonté : si elle s’attache à un objet particulier, cette attache cesse d’être purement spirituelle et devient sensible. La volonté n’est vraiment mue par son objet que lorsqu’elle aime toutes les créatures en Dieu et pour Dieu. » (Marie-Joseph Lagrange o.p. Journal spirituel, Cerf, 2014.)

Illustration : Aimez-vous les uns les autres…

 

12 octobre 2020
Pas d’autre signe que Jésus

 

« Car ainsi que Jonas fut un signe aux Ninivites, ainsi le Fils de l’homme sera un signe pour cette génération. Luc 21, 30) »

« Jonas a donc été un prédicateur de pénitence […] et investi de l’auréole du miracle […]. Chez Luc, c’est le Fils de l’homme lui-même qui sera le signe, et, en parallèle avec Jonas, un signe ad persuadendum (pour convaincre), n’indiquant pas le jour du jugement, mais un futur indéterminé, parce que la mission du Christ n’est pas finie. » (Marie-Joseph Lagrange, L’Évangile selon saint Luc, Lecoffre-Gabalda, 1941)

 

Illustration : Psautier de Paris (grec 139), folio 431 (milieu 10e). Jonas jeté à la mer, Jonas craché par le monstre, Jonas et Dieu, prédication à Ninive.

 

15 octobre 2020
Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582), Réformatrice du Carmel, Docteur de l’Église.
Le père Lagrange à Salamanque (1880-1886) par frère Manuel Rivero O.P.
Le contexte politique, ecclésial et dominicain de son séjour en Espagne

Introduction et problématique

Les frères dominicains de la province de Toulouse ont été expulsés de France en application des décrets signés le 29 mars 1880 par Charles de Freycinet, président du Conseil, et Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique. Ces décrets visaient l’expulsion des Jésuites et l’interdiction de vivre en communauté religieuse. 261 couvents furent fermés et 5 643 religieux expulsés.

Accueillis par les dominicains espagnols du couvent de Salamanque, les frères dominicains du Midi de la France autour de soixante-dix sont arrivés dans une ville baignée par le fleuve Tormes, le 4 novembre 1880. Ce n’est qu’en 1886 et en 1887 qu’ils sont repartis vers le sud de la France après sept ans de vie religieuse dans le célèbre couvent des maîtres en théologie qui ont marqué l’histoire de l’Église : Francisco de Vitoria, Soto, Melchor Cano …

Quelle était la vie politique, ecclésiale et dominicaine à cette époque en Espagne ? Pourquoi le couvent dominicain de Salamanque était-il presque en ruines ? Quelle était la situation de l’Église espagnole au cours du XIXe siècle ? Pourquoi les frères dominicains avaient-ils abandonné ce couvent glorieux ?

Il importe de bien connaître cet environnement politique et ecclésial pour situer et comprendre la vie du frère Marie-Joseph Lagrange pendant ces six années espagnoles.

Plusieurs historiens espagnols et français ont étudié le devenir des dominicains français de la province de Toulouse à Salamanque, à partir des documents sur l’histoire d’Espagne, ainsi que sur l’évolution de l’Église catholique et de la province dominicaine d’Espagne restaurée, en 1879,après quarante-cinq ans d’exclaustration. Les archives du couvent de Salamanque et de la province dominicaine de Toulouse fournissent assez de renseignements pour se faire une idée de ce que le frère Marie-Joseph Lagrange a vécu au milieu de ses frères en cette région castillane, Salamanque et Zamora, où il reçut l’ordination diaconale et presbytérale.

La situation politique au XIXe siècle

De l’Ancien Régime au libéralisme

Au cours du XIXe siècle la France passe de l’Ancien Régime au libéralisme. À partir des philosophes anglais dont Thomas Hobbes et David Hume, de l’Illustration, philosophie dite des Lumières, la France connaît une Révolution française hostile à l’Église catholique. L’Illustrationessaya de remplacer la vision chrétienne par une philosophie fondée uniquement sur la raison, la raison à la place de Dieu. La raison ne supportait aucune autorité au-dessus d’elle-même. En la cathédrale Notre-Dame de Paris, la Raison fut fêtée comme une déesse alors que cet édifice sacré recevait un nouveau nom : Temple de la Raison et de la Liberté.

Il s’agissait de rompre avec le christianisme considéré comme une superstition, cause d’obscurantisme et de vie malheureuse, pour émerger à un ordre nouveau séculier, fait de progrès et de bonheur. La religion considérée comme un mythe au sens négatif du terme, vide de contenu, incompatible avec la raison, devait disparaître afin que l’homme devienne libre, égal en dignité et fraternel.

Dans l’Ancien Régime, la société était divisée en trois ordres : le haut clergé, l’aristocratie et le peuple. Au-dessus de tous se trouvait le roi avec son pouvoir absolu. Le haut clergé et l’aristocratie bénéficiaient de privilèges, sans charges fiscales, tandis que le peuple, en particulier, la masse des paysans, portait le poids du travail, des impôts et de la guerre tout en vivant dans la misère.

La Révolution française représenta un essai de dépassement des rapports de domination mais elle n’aboutit pas à la libération escomptée. Encore une fois, l’histoire prouve qu’il ne suffit pas de changer de structures et d’exécuter des personnes pour obtenir la justice et la paix. Sans une conversion de mentalités et des actions personnelles, les révolutions tombent dans l’échec et elles appellent d’autres renversements ; l’homme demeure alors un loup pour l’homme et les rapports de domination restent vivants. Les faibles subissent toujours la loi des forts et un nouveau groupe dominant remplace le précédent.

Le positivisme, le matérialisme et le marxisme nuiront pendant le XIXe siècle à l’Église dans son enseignement, dans ses biens et même dans ses personnes. L’Église subira la persécution et le dépouillement de ses possessions. La vie monastique sera considérée comme inutile ; les vœux comme allant contre la nature. D’où l’interdiction d’exister pour les moines et les religieux.

L’Illustration et le régime libéral vont séparer le trône et l’autel, l’Église et l’État. Cette séparation ne fut pas sans bienfaits pour l’Église qui retrouva une plus grande liberté.

Parmi les événements de l’histoire de l’Église au XIXe siècle nous pouvons signaler : le dogme de l’Immaculée Conception en 1854, les apparitions de la Vierge Marie à Lourdes en 1858, le Syllabus du Pape Pie IX en 1864, le Concile Vatican I et la disparition des États pontificaux en 1870 et l’encyclique du pape Léon XIII « Rerum novarum » le 15 mai 1891, texte de référence pour l’action sociale catholique comme l’était pour les socialistes « Le manifeste du parti communiste » (1848) et « Le Capital » de Karl Marx.

Les événements politiques en Espagne au XIXe siècle

L’Espagne reçut dans sa politique l’influence de l’Illustration et de la Révolution française. La politique espagnole au cours du XIXe siècle représente une succession de bouleversements  dont l’Église en subit les contrecoups :  le 2 mai 1808, la guerre d’indépendance contre la France ; le 6 juin 1808, José I Bonaparte, roi d’Espagne ; le 19 mars 1812, la Constitution espagnole avec le suffrage universel, la séparation des pouvoirs et la monarchie constitutionnelle ; en 1814, le roi Fernando VII retrouve l’Espagne ; le 6 octobre 1833, la Première guerre carliste ; en 1835, Juan Alvarez Mendizabal, président du gouvernement ; en 1835, la loi sur l’exclaustration des religieux ; en 1836, la loi sur l’expropriation des biens du clergé (Desamortización) ; en 1851, Concordat de l’État espagnol avec le Saint-Siège (État confessionnel catholique, possibilité pour les religieux d’enseigner dans les écoles et reconnaissance par l’Église des biens expropriés) ; en 1855, loi sur l’expropriation des biens du clergé de Pascual Madoz ; 1868-1874, six ans de gouvernement libéral ; 1872, Troisième guerre carliste ; 11 février 1873, Première République espagnole ; 1874, Restauration des Bourbons  avec le roi Alfonso XII ; 1876, Constitution avec la division du pouvoir politique en deux Chambres : le Congrès des députés et le Sénat. Au gouvernement, alternance des partis conservateur, Antonio Cánovas del Castillo (1828-1897) et libéral, Práxedes Mateo Sagasta (1825-1903) ; 1879, Pablo Iglesias fonde le Parti socialiste ouvrier espagnol ; 1885, après la mort du roi Alfonso XII, sa femme, María Cristina de Habsburg-Lorena, est proclamée reine régente. Son fils, Alphonse XIII, naît le 17 mai 1886.

L’Église espagnole au XIXe siècle[1]

Le pape Grégoire XVI condamna le libéralisme en 1832. En 1835, la loi sur l’exclaustration frappa 31 000 religieux et elle entraîna la fermeture de 1 940 couvents de religieux. L’Église catholique souffrit en Espagne pendant cette période : rupture des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et le gouvernement espagnol, absence de nominations d’évêques entre 1834 et 1847, plus de quarante diocèses sans évêques, difficile ministère épiscopal en de nombreux cas sous la pression du gouvernement.

La crise économique nationale étant très grave, le gouvernement chercha à la résoudre en saisissant les biens immeubles de l’Église avec les lois d’expropriation des biens du clergé par Mendizabal (1836-1837)[2] ; en réalité les biens furent récupérés par des gens riches qui devinrent plus forts et plus riches. Les pauvres restèrent dans la misère et ils perdirent souvent l’aide apportée par l’Église dans les écoles, les dispensaires, les œuvres de charité …

Le concordat entre l’État espagnol et l’Église en 1851 apporta un certain apaisement dans les relations bilatérales mais il ne suffit pas à restaurer les ordres religieux supprimés, ni à restituer les biens saisis.

Avec la Restauration des Bourbons, à partir de 1874, l’Église retrouve une plus grande liberté.

La restauration de la province dominicaine d’Espagne en 1879 : le couvent de Salamanque

La loi d’exclaustration de 1835 avait dispersé les frères dominicains de la province d’Espagne. Quarante-quatre ans plus tard, en 1879, a lieu la restauration officielle de la provincedominicaine d’Espagne comme le montre le document du 27 janvier 1879, signé par le vicairegénéral de l’ordre des Frères prêcheurs, le frère José María Sanvito, et par le socius espagnol, provincial titulaire de Grèce, le frère José María Larroca.

Le chapitre provincial fut convoqué le 2 mai 1879 au couvent de formation missionnaire à Corias et il se déroula entre le 2 et le 11 mai 1879[3]. Le province dominicaine d’Espagne comprenait à ce moment-là trois couvents représentés au chapitre provincial : Corias, Las Caldas et Padrón. Le frère Martin Clemente y Pulido, élu provincial, évoque dans les actes, les décrets de 1834 à 1836, qui provoquèrent la fermeture des couvents[4].

Le couvent de Salamanque avait souffert des pillages des troupes françaises en 1809[5]. Le décret d’exclaustration de 1835 avait forcé les frères à quitter le couvent. Il avait servi de caserne, d’hôpital et de musée provincial. Le roi Alphonse XII avait relevé la détérioration du bâtiment lors d’un passage dans cette ville en 1877. En 1879, ce glorieux couvent menaçait de s’effondrer[6].

Le frère Martín Clemente y Pulido avait demandé, dès février 1878, aux responsables politiques espagnols l’autorisation de fonder un noviciat qui formerait des missionnaires pour l’Asie (Philippines, Tonkin et Chine). Le gouvernement espagnol comptait sur l’apport de l’Église pour renforcer la paix dans les colonies. Les couvents de formation aux missions bénéficiaient ainsi d’un traitement privilégié par rapport aux autres.

Le 6 juin 1878 un Ordre royal, expédié le 26 juin par le Ministère des finances, demanda à la Direction nationale des propriétés de l’État de livrer l’édifice dominicain à l’évêque de Salamanque, Mgr Narciso Martínez Izquierdo, tertiaire dominicain[7].

Deux ans plus tard, le 9 juin 1880, l’évêque de Salamanque reçut le couvent dominicain qu’il confia aux Dominicains représentés par le frère Andrés María Solla. À cette époque il y avait dans le diocèse de Salamanque plus de cinquante frères prêcheurs exclaustrés.

L’expulsion par la France des dominicains de la province de Toulouse, en 1880, poussa le frère José María Larroca, Maître de l’Ordre (1879-1891), à offrir le couvent de Salamanque comme lieu d’accueil au frère Hyacinthe-Marie Cormier, prieur provincial de Toulouse. Le frère Larroca avait subi lui-même l’exil en France entre 1836 et 1844. C’est déguisé en paysan qu’il avait fui le pays basque espagnol pour se réfugier à Saint-Jean-de-Luz et ensuite à Basusarry dans le pays basque français.

Le frère Larroca confia au frère Martínez Vigil la mission d’obtenir du gouvernement espagnol l’autorisation pour les frères dominicains français de s’installer dans le couvent de Salamanque. Les frères Solla et Manovel étaient chargés à leur tour de préparer sur place l’accueil des frères réfugiés.

Le frère Martínez Vigil rencontra le président du gouvernement, Antonio Cánovas del Castillo, et il obtint l’autorisation pour les différents dominicains français de s’établir dans plusieurs villes de l’Espagne : Salamanque, Vitoria et Belmonte[8]. C’est ainsi que les frères de la provincede Toulouse purent s’installer à Salamanque. Un article de la revue « L’Année dominicaine » en 1886 témoigne de la gratitude des dominicains français envers le frère Martínez Vigil O.P.[9]

Les frères dominicains espagnols étaient peu nombreux au couvent de Salamanque. En 1880, le prieur provincial, le frère Martin Clemente, y résidait accompagné uniquement d’un frère coopérateur, le frère José Barberá. En 1881, trois autres frères y arrivent pour assurer la prédication dans le couvent et dans le diocèse : les frères Cipriano Sáenz de Buruaga, Paulino Alvarez et Inocencio Fernández. Deux autres frères y sont aussi envoyés pour étudier à l’université : le frère Juan Tomás González Arintero, sous-diacre, et le frère Justo Cuervo, diacre.  Ces deux frères étudiants atteindront par la suite un grand renom dans la théologie : le frère Juan Tomás González Arintero, dans la mystique, et le frère Justo Cuervo, comme historien. 

Les frères de la province de Toulouse au couvent de Salamanque

Les frères de la province dominicaine de Toulouse arrivèrent à Salamanque le 4 novembre 1880, ils furent reçus par plusieurs dominicains espagnols exclaustrés, par l’évêque de Salamanque, Mgr Narciso Martínez Izquierdo qui deviendrait tertiaire dominicain, ainsi que par des chanoines et des personnalités de la ville.

Le frère Marie-Joseph Lagrange, qui aimait écrire et interpréter les événements, raconte le voyage depuis Saint-Maximin et la vie dans le couvent Saint-Étienne de Salamanque[10].

Accueillis chaleureusement, les frères de la province de Toulouse organisèrent à Salamanque leur vie religieuse et intellectuelle de manière autonome, en continuant la formation des jeunes frères. Grâce à cette hospitalité, ils purent vivre en communauté alors qu’en France ils auraient été dispersés.

Sainte Thérèse d’Avila à Alba de Tormes

La proximité du carmel d’Alba de Tormes, où sont vénérées les reliques de sainte Thérèse d’Avila, favorisa aussi la découverte de la « Madre », la grande mystique espagnole, fondatrice de nombreux carmels. Le frère Marie-Joseph Lagrange s’y rendait en pèlerinage à pied, à une vingtaine de kilomètres de Salamanque, comme le montrent ses signatures dans « Le livre des pèlerins et des visiteurs du sépulcre de sainte Thérèse » : deux fois en 1883. En décembre 1883 figurent aussi les signatures de sa mère, Élisabeth, et de sa sœur, Thérèse, qui s’étaient rendues en Espagne pour son ordination presbytérale[11]. Par ailleurs, ce livre de signatures manifeste les pèlerinages communautaires des frères français à Alba. Parmi les signatures de 1883 il convient de relever celle du secrétaire général de l’Ordre, le frère Henri Denifle. Plus tard, le frère Denifle, historien de l’Église, spécialiste de Luther, introduira le frère Lagrange à la connaissance du luthéranisme lors de ses visites à Rome[12].

Tout au long de sa vie dominicaine, le frère Lagrange reconnaîtra l’influence bienfaisante de sainte Thérèse sur la vie d’oraison et d’union à Dieu : « Il me semble que le résultat de l’étude de St Thomas (de Incarnatione) et de notre pèlerinage d’Albe (Alba de Tormes) doit être de me rapprocher davantage de la Très Sainte Humanité de Jésus. (…) L’amour de Jésus est la racine de la sainteté. » Ce doit être le point principal de la dévotion à Marie Immaculée. Noël m’a donné aussi quelque lumière à ce sujet ; union in persona »[13].

La sainte d’Avila, docteur de l’Église, manifestera aussi l’influence de son intercession à plusieurs moments importants de la vie du frère Marie-Joseph, comme son ordination au sous-diaconat à Avila. C’est aussi le chapitre général d’Avila qui décida, en 1985, le lancement de la cause de béatification du fondateur de l’École biblique de Jérusalem.

Les frères dominicains espagnols et le peuple chrétien admiraient la ferveur des dominicains français notamment dans les célébrations liturgiques et les observances religieuses. Parmi les exemples de sainteté figure le frère Raphaël Célestin Goulesque[14], novice diacre de la provincede Toulouse, décédé à Salamanque, le 26 janvier 1882, et qui était souvent donné en exemple de vie religieuse aux jeunes frères espagnols lors de leur formation. Le bienheureux frère Hyacinthe-Marie Cormier[15] contribua en tant que prieur provincial par ses exhortations au sacrifice et à la mission lors des visites canoniques, au rayonnement de la sainteté des frères de la province de Toulouse. Alors qu’ils étaient réfugiés et pauvres, ces frères répondirent positivement en 1881 à l’appel de l’évêque de Goïas, au Brésil, Mgr Gonçalves Ponce, pour y enraciner l’ordre des Prêcheurs, ce qu’ils firent en laissant un parfum de sainteté évoqué encore aujourd’hui malgré le passage du temps. Ils donnèrent de leur pauvreté.

L’Académie saint Thomas d’Aquin

Si les frères français trouvèrent à Salamanque un refuge vital, il n’en est pas moins vrai qu’ils apporteraient aussi aux frères espagnols et à la ville de Salamanque un beau rayonnement apostolique comme le prouve la création de l’Académie saint Thomas d’Aquin au service du dialogue entre la foi et la culture, œuvre du frère Gil Vilanova[16], d’origine espagnole et plus concrètement catalane, qui vit le jour grâce à plusieurs aides : les évêques de Salamanque, Mgr Martín Izquierdo et Mgr Tomás Cámara, des professeurs de l’université de Salamanque et des frères du couvent Saint-Étienne. Les séances avaient lieu deux fois par mois. Cette institution engendra des centres semblables dans d’autres villes espagnoles comme à Valladolid et Oviedo. Fondée en 1881, l’Académie de saint Thomas d’Aquin  continue d’organiser à Salamanque des débats sur les relations entre la théologie et la science, entre la foi et la culture, entre la religion et la politique …

Le frère Marie-Joseph Lagrange, étudiant et professeur à Salamanque

C’est au couvent Saint-Étienne de Salamanque que le frère Marie-Joseph approfondira la doctrine de saint Thomas d’Aquin. En 1883, il déclame une poésie française dont il est l’auteur sur la vocation de saint Thomas d’Aquin[17].

Le frère Marie-Joseph Lagrange reçut à Salamanque l’ordination diaconale et à Zamora l’ordination presbytérale le 22 décembre 1883, en présence de sa mère et de sa sœur Thérèse. 

C’est à Salamanque que le frère Lagrange étudie l’hébreu, le syriaque et l’arabe[18]. Il suivit les cours d’hébreu à l’université de Salamanque en compagnie du frère Justo Cuervo. Il était difficile à cette époque de trouver de bons professeurs et de bons manuels d’hébreu : « Le P. Gallais qui savait quelques mots d’hébreu, éprouvant des scrupules à remettre entre mes mains une bible hébraïque, me copiait de sa main quelques versets qu’il me faisait étudier »[19]. Par ailleurs, le frère Marie-Joseph évoque avec délicatesse et humour les classes d’hébreu suivies à l’université de Salamanque qui étaient loin de satisfaire la juste attente des élèves[20]. Le frère Marie-Joseph avait  l’habitude de travailler seul et avec méthode. Il aimait suivre les cours mais il était un autodidacte qui réussissait ce qu’il entreprenait. Sa grande capacité de travail lui permit d’apprendre rapidement en consultant les ouvrages des bibliothèques.

La misère économique, la persécution politique et le retard du catholicisme en matière d’exégèse, manque relevé par le pape Léon XIII lui-même, font comprendre cette situation intellectuelle précaire qui ne fera qu’émoustiller davantage la passion du frère Lagrange pour l’exégèse scientifique. Défi qu’il relèvera en fondant l’École biblique de Jérusalem en 1890.

Dans ses « Souvenirs de Salamanque », le frère Marie-Joseph rappelle les tensions politiques et les menaces lors de son séjour en Espagne. Il serait erroné d’imaginer une Espagne majoritairement catholique vivant dans la paix avec une Église forte : « On craignait des troubles révolutionnaires à la mort du roi Alfonse XII. En revenant de la promenade, nous passâmes devant un ouvrier qui effilait un coutelas : Frères, Frères, disait-il avec un geste significatif, on vous a chassés de France ; nous autres, Espagnols, nous ne nous payons pas de cette monnaie, nous exigeons le prix du sang“.

Et pourtant la noble Espagne du Cid Campeador fut prise alors d’un scrupule chevaleresque. La reine veuve Marie-Christine était enceinte. L’élite du pays ne consentit pas à se montrer brutale envers cette femme et cette mère. Le calme ne fut pas troublé un seul instant. Et quand Alphonse XIII naquit, on se félicita d’avoir un roi. La fermeté, le sens politique, surtout la bonne grâce de la pieuse souveraine avaient déjà gagné les cœurs.

Nous étions donc assurés de la paix religieuse. Mais enfin, nous étions sur un sol étranger. (…). Et maintenant, chers et cuisants souvenirs, de tant de grâces reçues, de tant de grâces rebutées, envolez-vous, mués en prières, vers l’autel du Rosaire[21] sur lequel, pour la première fois, j’ai dit la messe. Daigne la Vierge très pure que les Espagnols ont tant aimée, les sauver par sa toute-puissante intercession »[22]. »

De 1884 à 1886, le frère Lagrange enseigna l’histoire de l’Église à Salamanque au rythme de cinq classes par semaine ce qui lui permit d’étudier Origène et saint Augustin : « Les événements avaient pour nous moins d’importance que les idées : ce fut surtout une étude des controverses du premier siècle jusqu’à nos jours en insistant sur la doctrine des premiers Pères »[23]. Le Studium de la province de Toulouse assurait la formation interne des jeunes frères.

C’est au mois d’août 1886 que le frère Lagrange rentra à Toulouse avec la première vague des frères ; la deuxième et dernière vague quitta les rives du Tormes en 1887.

Ce n’est qu’en 1892, que le chapitre provincial de Palencia décida d’installer les études de théologie à Salamanque. En 1897, le studium général de la province d’Espagne sera érigé à Salamanque qui redevint ainsi le couvent le plus important de la province d’Espagne, comme jadis.

À Toulouse, le frère Lagrange enseignera la philosophie et la Bible pendant deux ans (1886-1888). Ensuite, il sera envoyé à Vienne pour étudier les langues et les civilisations orientales. La main de la Providence le guidera à Jérusalem pour y fonder l’École pratique d’études bibliques, inaugurée en la fête de son saint patron de baptême, saint Albert le Grand, le 15 novembre 1890.

Saint-Denis (La Réunion), le 22 juin 2018.

Fr. Manuel Rivero O.P.
Président de l’association des amis du père Lagrange
Site de l’Association des amis du père Lagrange :
http://www.mj-lagrange.org/

[1] Vicente CARCEL ORTI, Historia de la Iglesia. III. La Iglesia contemporánea. Tercera edición revisada y ampliada. Madrid, 2009; M. REVUELTA GONZALEZ, La política religiosa de los liberales españoles. El trienio constitucional (Madrid, C.S.I.C., 1973); La Exclaustración (Madrid. B.A.C., 1976); R. María SANZ DE DIEGO, Medio siglo de relaciones Iglesia-Estado en España. El Cardenal Antolín Monescillo y Viso (1811-1892), Madrid, Universidad de Comillas, 1979; Guido ZANEGHI, La edad contemporánea. Curso de historia de la Iglesia IV. Madrid. San Pablo 1998.

[2] Au cours du XIXe siècle il y eut en Espagne six lois d’expropriation des biens de l’Église : 1) sous le roi José I Bonaparte (1808-1813) ; 2) lors des Cortes de Cádiz (1810-1813) ; 3) pendant les trois années libérales (1820-1823) ; 4) les lois de Mendizábal (1836-1837) ; 5) la loi d’expropriation d’Espartero (1841) ; 6) la loi d’expropriation de Madoz (1854-1856).

[3] Ramón HERNANDEZ, Hacia una historia de la restauración de la Provincia dominicana de España, in Archivo dominicano, anuario I, 1980, Salamanca. Instituto histórico dominicano de San Esteban. P. 235s.

[4] Acta Capituli electivi Provinciae Hispaniae celebrati en Collegio Sti Joanis Baptistae de Corias, anno Domini 1879.

[5] Jean-Marc DELAUNAY, Des réfugiés en Espagne : les religieux français et les décrets du 29 mars 1880. In Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 17, 1981. P. 302.

[6] Cf. Dictionnaire biographique des frères prêcheurs (en ligne). Dominicains des provinces françaises (XIXe-XXe siècles). Couvent Saint-Étienne. Salamanque. Vieille Castille. Espagne.

[7] J. Salvador y Conde, O.P., Restauración de la Provincia de España 1860-1900. Editorial San Esteban. Salamanca. 2011. Chapitre 19. Osadía de los restauradores. San Esteban de Salamanca.

[8] José BARRADO BARQUILLA O.P., Fray Ramón Martínez Vigil, O.P. (1840-1904), obispo de Oviedo. Monumenta histórica iberoamericana de la Orden de predicadores, volumen XI. Salamanca. 1996.

[9] L’Année dominicaine 307 (1886), p. 4.

[10] Marie-Joseph LAGRANGE, Souvenirs de Salamanque, in La Vie dominicaine, 3 (1937), p. 179-183, 221-225 et 244-248. Ces articles sont publiés aussi dans « Marie-Joseph Lagrange, O.P., L’Écriture en Église. Choix de portraits et d’exégèse spirituelle (1890-1937). Présentation par Maurice Gilbert, S.J. Paris, éditions du Cerf, 1990, chapitre « Souvenirs de Salamanque », pp. 85-99 ; « Le père Lagrange au service de la Bible. Souvenirs personnels. Paris, éditions du Cerf. 1967, pp. 280-288 ; Marie-Joseph LAGRANGE, des Frères prêcheurs, Journal spirituel (1879-1932), Paris, éditions du Cerf, 2014 ; Louis-Hugues VINCENT, Le père Marie-Joseph Lagrange, sa vie et son œuvre, Parole et silence, 2013, pp. 46-47.

[11] Cf. Libro 1° de firmas, peregrinos y visitantes del sepulcro de santa Teresa, 273 fol., firma A-I-1 et fol. 44 v. Je remercie le père carme Manuel Diego Sánchez, archiviste du carmel d’Alba de Tormes, de m’avoir apporté ces renseignements lors de ma visite à Alba en mai 2018.

[12] Outre leur commune passion pour l’étude critique de la Bible et de l’histoire, tous les deux aimaient  jouer aux échecs !

[13] Marie-Joseph Lagrange, Journal spirituel 1879-1932, avant-propos de Fr. Manuel Rivero O.P., Paris, Cerf, 2014, p. 125, (Salamanque, le 20 février 1881.)

[14] Vie d’un frère prêcheur expulsé, le R.F. Raphaël-Célestin GOULESQUE, Paris, éditions Téqui, 1882.

[15] Cf. Henry DONNEAUD, Augustin LAFFAY, Bernard MONTAGNES, La Province dominicaine de Toulouse, XIXe et XXe siècles. Une histoire intellectuelle et spirituelle. Paris. Karthala, 2015. Voir « La nouvelle Province de Toulouse. Une œuvre du P. Cormier », par Augustin Laffay, pp. 15-64 ; Fr. Clément BINACHON, Saint-Maximin au gré des expulsions, 1880-1920. Manuscrit.

[16] E.-M. GALLAIS, Le P. Gil Vilanova, Toulouse, Privat. 1906.

[17] Bernard MONTAGNES, Le thomisme du père Lagrange. In Ordo sapientiae et amoris, Fribourg (Suisse), 1993, p. 487-508.

[18] Marie-Joseph Lagrange, Journal spirituel 1879-1932, avant-propos de Fr. Manuel Rivero O.P., Paris, Cerf, 2014, p. 232.

[19] Le Père Lagrange au service de la Bible. Souvenirs personnels. Paris, Cerf, 1967, p. 283.

[20] Cf. Bulletin de littérature ecclésiastique, publié par l’Institut catholique de Toulouse, n°1. Janvier 1899. Paris. Libraire Victor Lecoffre. 1899. PP. 283-285. Voir aussi Bernard MONTAGNES, Marie-Joseph Lagrange, une biographie critique. Paris. Cerf. 2004. P. 39.

[21] Il s’agit de la chapelle latérale de l’église du couvent Saint-Étienne de Salamanque.

[22] Marie-Joseph Lagrange, O.P., L’Écriture en Église. Choix de portraits et d’exégèse spirituelle (1890-1937). Présentation par Maurice Gilbert, S.J. Paris, éditions du Cerf, 1990, chapitre « Souvenirs de Salamanque », pp. 98-99.

[23] Le Père Lagrange au service de la Bible. Souvenirs personnels, Paris, Cerf, 1967, p. 288.

Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582), Réformatrice du Carmel, Docteur de l’Église.

« Que rien ne te trouble. Que rien ne t’épouvante. Tout passe. Dieu ne change pas. La patience triomphe de tout ; Celui qui possède Dieu ne manque de rien. Dieu seul suffit ! » (Thérèse d’Avila)

La doctrine de sainte Thérèse attirait vers l’oraison qu’elle a décrite avec un charme inégalé, prêchée avec une conviction contagieuse. Comme le père Cormier aimait à le dire : « Le brasier étant allumé, il suffisait d’y répandre quelques grains pour que se dégageât et montât vers Dieu l’encens de la prière ». (Marie-Joseph Lagrange o.p., « Souvenirs de Salamanque (1880-1886) » In L’Écriture en Église, Paris, Cerf, 1990, pp. 85-99.)

« Si peu fervente que soit cette oraison, Dieu en fait toujours grand cas. » S. Teresa, 2 Morada. (Cité par Marie-Joseph Lagrange o.p. Journal spirituel. Cerf. 2014.)

Illustration : Sainte Thérèse d’Avila (peinture) inconnu.

 

Sainte Thérèse d’Avila (Teresa de Jesús), ocds. Fondatrice de l’Ordre des Carmes déchaux. Première femme Docteur de l’Église.

En 1880, après avoir été expulsés de France, les frères dominicains sont accueillis par les dominicains espagnols qui les accueillent dans leur couvent Saint-Étienne de Salamanque, en Espagne. Les frères se rendent en pèlerinage à plusieurs reprises à Alba de Tormes, où se trouve les reliques de sainte Thérèse d’Avila : Marie-Joseph Lagrange étudie la doctrine mystique de la sainte et devient pour toujours un fidèle dévot de la « Madre ».

« Mon ordination au sous-diaconat à Avila n’a pu qu’augmenter ma dévotion pour la noble et vaillante sainte. » (Souvenirs personnels)

Illustration : Santa Teresa de Jesus Avila par Eduardo Balaca (19e) Musée du Prado

 

 

16 octobre 2020
Sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690), confidente et apôtre du Cœur de Jésus

« Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance, je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris […] Mais ce qui m’est encore le plus sensible est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi. »

« Combien la dévotion au Sacré-Cœur dans la vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie est sanctifiante. Quel feu consumant ! » (Marie-Joseph Lagrange. Journal spirituel).

Le père Lagrange avait une dévotion pour sainte Marguerite-Marie Alacoque. En effet, le nom de celle-ci vient plusieurs fois sous sa plume. Le 15 janvier 1935, il souhaite auprès de l’assistant français du maître de l’Ordre que le chapitre général introduise la fête de sainte Marguerite-Marie au calendrier des Prêcheurs. « Sa mission dans l’Église, écrit-il, se révèle de plus en plus efficace : il semble que sa fête nous attirerait les grâces du Sacré-Cœur. ». (Bernard Montagnes. Marie-Joseph Lagrange. Une biographie critique. Cerf. 2004).

Illustration à gauche : Sacré-Coeur de Jésus-Broderie d’or-H.van Severen, église St Niklaas (1900)-Ghent-Belgium

Illustration à droite : Sainte Marie-Marie Alacoque, étude pour l’apparition du Sacré-Cœur par Hamel Eugène (1883).

 

17 octobre 2020
Saint Ignace, Évêque d’Antioche, Martyr à Rome vers 110 env. Père de l’Église.

Le nom d’Ignace, on le souligne volontiers, vient du mot latin : ignis, le feu. Une âme de feu, telle est bien l’âme passionnée de l’humble et mystique évêque d’Antioche, et sa passion suprême, c’est le Christ, c’est lui que cherche Ignace, « Lui qui est mort pour nous ; lui qui est ressuscité à cause de nous » (Rom 6).

L’impression profonde de la doctrine johannique sur saint Ignace par Marie-Joseph Lagrange o.p.

Les lettres d’Ignace étant reconnues authentiques, soit qu’elles datent de l’an 107 ou de l’an 115, il est du plus haut intérêt de savoir si elles font allusion au quatrième évangile. Elles ne le nomment pas, cela est certain, mais il est certain qu’elles sont imbues de sa doctrine. La foi en Jésus-Christ et plus encore l’amour de Jésus-Christ sont le foyer de la religion d’Ignace. On ne peut contester sa dépendance de Jean que si l’on imagine une théologie d’Asie Mineure dont il aurait été l’un des représentants. […] Les textes nous paraissent décisifs. Ce ne sont pas des citations, mais il en résulte qu’Ignace avait reçu une impression profonde de la doctrine johannique, telle qu’elle est exprimée par Jean.

(L’Évangile selon saint Jean, p. XXV, 1936.)

Illustration : Saint Ignace d’Antioche (dessin mural)

 

18 octobre 2020
Nous nous rappelons sans cesse, en présence de notre Dieu et Père, l’activité de votre foi, le labeur de votre charité, la constance de votre espérance, qui sont l’œuvre de notre Seigneur Jésus Christ (1 Th. 1,3).

Disciple de Jésus, le frère Marie-Joseph Lagrange a suivi le Christ, obéissant au Père, pauvre et chaste. Sa prière personnelle dévoilée dans son Journal spirituel le montre toujours tourné vers Dieu et la Vierge Marie dans une attitude d’humilité et de repentir pour ses péchés.

Apôtre à la manière de saint Dominique, il a travaillé sans cesse « pour le salut des âmes » par l’étude, l’enseignement et la prédication.

Les vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité, ont dynamisé et orienté toutes ses actions vers le Christ en qui il a trouvé la paix et le bonheur. Les trois vœux d’obéissance, pauvreté et chasteté ont été ainsi vécus par lui dans le mouvement de la grâce. Plutôt que de s’étendre sur ses vœux en religion, le père Lagrange préférait les vivre. Il se savait chargé de mission par le Christ qui l’appelait à défendre la foi catholique avec les armes de l’exégèse scientifique. Ceux qui l’ont connu ont témoigné de son ardeur au travail. Il n’avait pas de temps à perdre dans son service « pour le salut des âmes », expression des Constitutions de l’Ordre des prêcheurs qu’il chérissait. À ceux qui lui reprochaient parfois un style littéraire imparfait, il répondait : « Le soldat qui combat ne peut s’astiquer pour la revue »

Manuel Rivero, o.p. « Un religieux fidèle à ses vœux. Les vœux de pauvreté, chasteté et obéissance dans la vie du père Lagrange. »

Illustration : Foi-Espérance-Charité par Marie-Adelaide Kindt (1840)-Museum of Fine Arts-Boston.jpg

 

20 octobre 2020
« Que vos reins restent ceints et vos lampes allumées » (Luc 12, 32-38).

À ce sujet, le père Lagrange nous dit : « Un maître s’est fait attendre […]Les serviteurs veillaient, tenant les lampes allumées, et, quand il a heurté à la porte, ils lui ont ouvert aussitôt, prêts à le conduire chez lui à la lumière. Mais lui, ravi de ce zèle, les fera mettre à table, se ceindra et les servira. Hyperbole si l’on s’en tient aux usages, mais propre à indiquer une condescendance infinie de la part de Dieu, car on comprend que c’est lui qui va frapper à la porte. Les choses se passeront de la même façon pour le monde entier à l’avènement du Sauveur, mais ici le sort de chaque âme est en jeu, comme dans le cas du riche insensé ; l’arrivée du maître, c’est le moment qu’attend le bon serviteur, et c’est le Fils de l’homme qui vient, qui le fait asseoir à son banquet.

(M.-J. Lagrange o.p. L’Évangile de Jésus Christ. Se tenir prêt pour l’arrivée du Maître, 178.)

 

Illustration : Lampe allumée, Centro Aletti

 

21 octobre 2020
Le mystère de Jésus Christ

Le père Lagrange « a scruté le mystère de Jésus-Christ et son cœur est devenu brûlant ».
(Prière pour la glorification du serviteur de Dieu Marie-Joseph Lagrange)

Aujourd’hui, dans sa lettre aux Éphésiens, saint Paul apôtre précise : « 2En quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous ? : 3Par révélation, il m’a fait connaître le mystère, comme je vous l’ai écrit brièvement. 4En me lisant, vous pouvez vous rendre compte de l’intelligence que j’ai du mystère du Christ. 5Ce mystère n’avait été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. 6Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. 7De cet Évangile je suis devenu ministre par le don de la grâce que Dieu m’a accordée par l’énergie de sa puissance. 8À moi qui suis vraiment le plus petit de tous les fidèles, la grâce a été donnée d’annoncer aux nations l’insondable richesse du Christ, 9et de mettre en lumière, pour tous, le contenu du mystère qui était caché depuis toujours en Dieu, le créateur de toutes choses ; 10ainsi, désormais, les Puissances célestes elles-mêmes connaissent, grâce à l’Église, les multiples aspects de la Sagesse de Dieu. 11C’est le projet éternel que Dieu a réalisé dans le Christ Jésus notre Seigneur. 12Et notre foi au Christ nous donne l’assurance nécessaire pour accéder auprès de Dieu en toute confiance. »

Et dans son Journal spirituel, le père Lagrange d’écrire : “Le sens de tous les mystères, c’est l’Amour divin : celui-là les comprend mieux qui répond à l’amour par un plus grand amour. D’où, ceux-là connaîtront mieux Dieu dans le ciel qui l’auront plus aimé sur la terre.”

Illustration : Christ par Joseph F. Brickey (20e)

L’étreinte de Dieu avec l’humanité en Jésus Christ
Enseignement du père Lagrange O.P. et du cardinal Tauran
Fr. Manuel Rivero O.P.
Au terme et au sommet spirituel de son livre de vulgarisation sur l’exégèse des quatre évangiles, le père Lagrange écrit : « Il y a là un envahissement des choses divines, qui étonne la raison. C’est l’insertion de la divinité dans l’humanité, la nature humaine participant par la grâce à la nature divine, une telle prodigalité de dons, des exigences si hautes qu’une raison trop courte en est écrasée plutôt qu’attirée. On est tenté de dire que c’est trop beau !
Mais en dehors, il n’y a rien, rien qui compte pour nous, rien qui porte la marque de l’infini. Nous voilà en face du néant. Où aller, Seigneur ? Il ne reste qu’à se renfermer dans un doute fastueux – ou désespéré. Ou plutôt à se serrer autour de Pierre qui dit toujours : “Vous avez les paroles de la vie éternelle”, et à s’abandonner à l’étreinte de Dieu en Jésus Christ. »
De son côté, le cardinal Tauran partage la même expression « étreinte de Dieu » pour exprimer l’union du Fils de Dieu avec l’humanité dans le mystère de l’Incarnation et de la Croix : « Pour le grand apôtre (saint Paul), le centre de l’unité, vers laquelle l’humanité doit nécessairement converger, est la personne du Christ. Souvent, il se plaît à souligner le rôle non seulement cosmique, mais salutaire de la Croix et de la Pâque qui ont fait du Christ le Kyrios, Seigneur de l’humanité et de l’Histoire. En outre, c’est dans le “mystère” de la Croix que Paul voit l’étreinte de l’humanité tout entière, réconciliée après les déchirements et les divisions qui, de son vivant, étaient représentées par la double réalité du monde religieux hébraïque et du monde religieux gréco-romain ».
C’est ainsi que Jésus le Christ s’unit à tout homme accomplissant le mystère de la Rédemption par l’Incarnation et la Croix. Ce mystère commencé dans le sein de la Vierge Marie s’accomplit dans l’élévation de la croix et dans la mort de Jésus. En partageant la condition humaine jusqu’à la mort, le Fils de Dieu, qui a pris sur lui le mal et le malheur de l’humanité entière, partage la gloire de sa divinité à ceux qui mettent leur confiance en Lui.
L’humanité de Jésus le Christ semblable à celle de tous les hommes, excepté le péché, constitue le commun dénominateur de Dieu avec le genre humain : « Par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. » (Concile Vatican II, Gaudium et spes, n°22).
La Croix et la mort de Jésus représentent le sommet de l’amour de Dieu plus fort que la mort.
Ressuscité d’entre les morts le matin de Pâques, Jésus accomplit sa prière sacerdotale à la veille de sa Passion : « Père, qu’ils soient un comme nous » (Jn 17, 11) ; « Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux. » (Jn 17,26).
Religion par excellence du corps, le christianisme célèbre l’étreinte de Dieu avec l’humanité réalisé dans le corps de Jésus, corps douloureux dans la Passion, lumineux dans sa résurrection, avec l’énergie de l’Esprit Saint envoyé par le Père.
Le corps glorieux de Jésus intègre les croyants en son nom qui en deviennent ses membres, le Christ total, formé de la Tête et des membres : les fidèles.
Si pour certaines religions, il est impensable que Dieu assume un corps humain dans sa vulnérabilité, et encore moins qu’il subisse la douleur ou la mort, le christianisme accueille la révélation déployée par Jésus le Christ. Dieu s’unit à la nature humaine pour que la nature humaine s’unisse à Dieu. Fruit de la grâce et de la miséricorde divine, Jésus ressuscité le manifeste à Marie-Madeleine dans le jardin de Jérusalem : « Va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17).
Renversé sur le chemin de Damas par la lumière éblouissante de Jésus ressuscité, Paul de Tarse vit l’expérience de la présence aimante de Jésus vivant qui s’identifie aux chrétiens persécutés (cf. Ac 9).
Pharisien, formé à Jérusalem par le grand maître Gamaliel, Paul commente ainsi les versets de la Genèse : « ‘L’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair’ : ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église » (Eph 5,31-32).
Dans le Cantique des Cantiques, la bien-aimée s’exclamait : « Son bras est sous ma tête et sa droite l’étreint » (Ct 2,6). Par l’amour du Christ Jésus, l’Église célèbre l’étreinte avec Dieu. Les paroles de la prière eucharistique au cours de la messe mettent en lumière cette union humaine et divine : « Regarde, Seigneur, le sacrifice de ton Église, et daigne y reconnaître celui de ton Fils qui nous a rétablis dans ton alliance ; quand nous serons nourris de son corps et de son sang et remplis de l’Esprit Saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ » (Prière eucharistique III).
Saint-Denis/ La Réunion, le 21 octobre 2020.

 

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