Paru sur Zenit : L’influence du père M.-J. Lagrange sur Jacques et Raïssa Maritain par fr. Manuel Rivero o.p.

Le pape François parle souvent d’écologie intégrale ou de développement intégral , expression de Paul VI. C’est Jacques Maritain qui a marqué la philosophie chrétienne par sa proposition d’un humanisme intégral qui devint le titre de son ouvrage publié en 1936 : « Humanisme intégral ».
Le saint pape Paul VI était un ami personnel de Jacques Maritain ; c’est à lui qu’il confia le Message du concile aux intellectuels lors de la clôture du concile Vatican II, le 8 décembre 1965, sur la place Saint-Pierre.
Par ailleurs, le pape François a mis en lumière les propos sur la sainteté de l’écrivain catholique Léon Bloy qui fut le parrain du baptême catholique de Jacques et de Raïssa Maritain, le 11 juin 1906. Raïssa était d’origine juive, immigrée russe d’une famille hassidique. Jacques n’avait reçu de sa mère qu’une initiation au protestantisme.
Lors de ses déclarations sur l’histoire des relations diplomatiques entre la France et le Vatican, le 18 octobre 2021, à Rome, M. Jean Castex , Premier ministre, a tenu à citer le philosophe Jacques Maritain, qui fut ambassadeur de France près le Saint-Siège : « Un esprit de concorde qui a permis au Saint-Siège de recevoir les lettres de créances de plus de trente ambassadeurs de France, parmi lesquels on compte le philosophe Jacques Maritain. Si je cite Jacques Maritain c’est parce que je persiste à croire, et c’était aussi le cas du général de Gaulle, qu’au-delà de la Foi des catholiques de notre pays, la pensée chrétienne, parce que le Christianisme est la religion de l’incarnation et donc d’un humanisme, est en mesure de parler à toutes les consciences et donc à toutes les bonnes volontés. »
Il importe de relever les relations voire les filiations intellectuelles et spirituelles entre de grandes figures de la philosophie et de la théologie contemporaines qui continuent de façonner la vie sociale, politique et religieuse du monde.
Le père Marie-Joseph Lagrange O.P., fondateur de l’École biblique de Jérusalem en 1890, fait partie intégrante des penseurs qui ont illuminé et fécondé les orientations doctrinales de l’Église catholique depuis le XXe siècle jusqu’à maintenant
Jacques et Raïssa Maritain citent le père Lagrange comme faisant autorité dans leurs réflexions sur la foi et la prière, notamment dans leur commentaire au Notre Père .
Les époux Jacques et Raïssa Maritain partageaient leurs réflexions et leurs écrits comme le mentionne Jacques en rédigeant l’avant-propos du livre de Raïssa sur le Notre Père en 1961, un an après la mort de Raïssa : « Conformément au vœu exprimé par Raïssa -toujours du reste nous nous soumettions l’un à l’autre ce que nous écrivions- j’ai pris sur moi d’apporter à son travail les compléments qui m’ont paru nécessaires. Tantôt il s’agissait de choses clairement impliquées dans les thèmes qu’elle entendait traiter et auxquelles manquait seulement d’être assez développées, – en particulier, de choses qu’elle m’avait dites elle-même à plusieurs reprises, et dont j’ai gardé un souvenir très précis : en ce cas je les ai simplement incorporées au texte, sûr que j’étais d’exprimer sa pensée. (…) Puissé-je, comme je l’espère, tout au cours de ce travail ne m’être écarté à aucun moment de son assistance et de son inspiration » (pp.10-11).
Dans son commentaire au Notre Père, Raïssa Maritain donne les références des commentaires du père Lagrange. Il y a tout d’abord «L’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ » dont les enseignements de vulgarisation biblique sont enrichis par les études exégétiques scientifiques, riches en références en plusieurs langues (latin, grec, hébreu …) et des enseignements des Pères de l’Église, qui figurent dans «L’Évangile selon saint Matthieu » et dans « L’Évangile selon saint Luc ». L’étude de Raïssa Maritain manifeste un dialogue avec l’exégèse du père Lagrange qu’elle suit fidèlement tout en restant libre de le compléter par d’autres apports postérieurs sans oublier son interprétation personnelle : « Nous croyons avec le père Lagrange qu’il en va de même pour les deux autres demandes, qui font corps avec celle-là. Cf. LAGRANGE, Évang. selon saint Matthieu, p. 126, n.8 » ; « Sur Luc 17, 20-21. Note 4 : Nous avons utilisé à la fois la traduction du Père Lagrange (qui dit : « au-dedans de vous », Luc, p. 461) et celle de la Bible de Jérusalem (qui dit : « parmi vous », p. 1378) » ; « ‘Et ne nous laissez pas succomber à la tentation’. La traduction française couramment acceptée ne suit pas strictement la lettre de Matthieu et de Luc. C’est que « le mot tentation en français indique une suggestion au mal, d’où la nécessité de changer la formule et de dire ! ‘Ne nous laissez pas succomber à la tentation’, car Dieu ne tente personne dans ce sens. Mais peirasmos signifie épreuve. » (note 2. M.J. Lagrange, Évang. selon saint Luc, p. 324. Note 4. – Cf. Évang selon saint Matthieu, pp. 130-131, note 13) » ; « Le sens de la sixième demande est en tout cas bien clair. C’est celui qu’en modifiant légèrement et fondant ensemble une formule de saint Ambroise (note 1 : « Et ne permets pas que nous soyons induits en une tentation que nous ne pouvons pas soutenir. » De Sacram, lib. VI, n. 29. P) et une autre du père Lagrange (note 2 : « Que votre Providence, propice à notre prière, ne nous laisse pas engagés dans des occasions de pécher dangereuses pour notre faiblesse. » L’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ, p. 321) on pourrait exprimer ainsi : Ne permettez pas que nous soyons soumis à une épreuve ou à une tentation que nous ne pouvons pas soutenir ; que votre Providence, propice à notre prière, ne nous laisse pas exposés à des occasions de pécher trop dangereuses pour notre faiblesse ».
Jacques et Raïssa Maritain avaient découvert la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin grâce au père Humbert Clérissac, dominicain, leur guide spirituel. La pensée du Docteur Angélique trouvera en Jacques Maritain un disciple intelligent, libre et créatif, qui s’appuiera
sur ses principes philosophiques et théologiques pour servir l’intelligence de la foi catholique.
En tant que rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 à l’O.N.U., Jacques Maritain donnera une postérité au droit naturel de saint Thomas d’Aquin en mettant en valeur la dignité sacrée de toute personne humaine dans la richesse de l’humanisme intégral avec ses composantes physiques, intellectuelles, affectives et spirituelles.
À Meudon, Jacques et Raïssa rassemblèrent un grand nombre de personnalités de l’art et de la culture cités dans “Les grandes amitiés”, livre écrit par Raïssa : Georges Rouault, Charles Péguy, Jean Cocteau, Ernest Psichari, Emmanuel Mounier … Le couple Maritain était très proche aussi du couple Chagall. Marc Chagall a excellé dans une représentation picturale originale des scènes bibliques.
L’enseignement biblique du père Lagrange se déploie à travers ses disciples, dont Jacques et Raïssa Maritain, en portant de beaux fruits de vérité, de beauté et de fraternité universelle.

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