Écho de notre page Facebook : septembre 2025

14 septembre 2025

Fête de La Croix Glorieuse

Fr. Hugues-François Rovarino o. p.

Au détour d’une rue, dans la chaleur de l’été romain, vous avez peut-être eu la grâce de découvrir la basilique Saint-Clément. Elle reste étonnante dans la succession de divers cultes dont les lieux semblent presque s’être empilés au long des siècles qui se succèdent. Depuis le culte à la déesse Mithra qui connut son apogée à Rome dans les IIe et IIIe siècles, le culte chrétien, un temps contemporain à lui, l’a en effet recouvert.

De nos jours, au sortir d’un péristyle, entrant dans la basilique, nous découvrons une croix glorieuse. Sa splendeur sereine et vivante attire notre regard. Tout en exprimant ce que sont la Croix et la scène du Calvaire, cette mosaïque lumineuse en transmet le message vivifiant, prolifique, fécond au long des siècles. À la racine de cette Croix, le cerf peut enfin se désaltérer car il a trouvé la source d’Eau vive qui descend de la Croix et jaillit comme les rinceaux qui se déploient sans cesse, portant dans leurs bras les saintes et les saints qui sans cesse nous communiquent l’éternelle jeunesse de l’Évangile. Sous cette mosaïque de l’abside, des brebis convergent vers le Bon Pasteur : brebis marquées par la croix, et l’Église est le beau fruit venu de cette Croix en gloire, elle naît déjà en lien avec le don du Seigneur au Calvaire !

Vénérer ou célébrer la Croix glorieuse nous oriente vers cette eau de la grâce que le cerf a su trouver, le Christ Seigneur, que le psaume annonçait par son chant (psaume 41-42). Aujourd’hui, cette eau nous transfigure ! Lumineuse, la mosaïque que j’évoquais reflète ce qui peut advenir pour chacun de nous grâce à la Croix du Sauveur, et à la Gloire du Seigneur ! La Croix est devenue le signe fondamental des chrétiens : qui ne le sait ? qui ne le voit ?

Cependant un changement radical s’est opéré. On ne doit pas minimiser le scandale de la Croix. Si celle-ci est devenue glorieuse, et depuis plusieurs siècles est un objet d’art, offert comme bijou, il n’en fut pas d’abord ainsi pour les chrétiens ! La Croix est un instrument de torture et de mort. Si le dessein de Dieu l’enveloppe, il n’évacue pas ce Calvaire de Jérusalem ni l’image de mort qu’elle signifia par son emploi qui fut sans doute à des dizaines de milliers d’exemplaires dans l’Empire romain.

Avec une citation, nous pouvons en mesurer l’horreur : le Père Marie-Joseph Lagrange, dominicain, pouvait ainsi commenter l’Évangile :

« C’était l’usage romain de dresser les croix à l’entrée des villes, où le terrible spectacle était étalé aux yeux de tous ceux qui entraient, sortaient, ou prenaient l’air. On s’arrêta donc là pour crucifier les trois condamnés.

La vue d’un crucifix est toujours pitoyable. Pourtant les artistes chrétiens lui ont donné une sorte de dignité. Le Christ est debout sur un socle solide, les bras étendus, mais dans un équilibre parfait, les épines de la couronne sont régulièrement tressées sur la tête droite et assurée contre le bois bien ajusté.

Les premiers chrétiens avaient horreur de mettre le Christ en croix, car ils avaient vu de leurs yeux ces pauvres corps complètement nus, attachés à un pieu grossier surmonté en forme de T par une barre transversale, les mains clouées à ce gibet, les pieds fixés par des clous, le corps s’affaissant sous son propre poids, la tête ballante, des chiens attirés par l’odeur du sang dévorant les pieds, des vautours tournoyant sur ce champ de carnage, et le patient épuisé par les tortures, brûlant de soif, appelant la mort par des cris inarticulés. C’était le supplice des esclaves et des bandits. Ce fut celui qu’endura Jésus.

Selon un usage qui voulait être compatissant, dernier vestige d’humanité dans la barbarie, on offrit à Jésus du vin aromatisé de myrrhe ou d’encens. On croyait que ce mélange enivrait et faisait perdre connaissance. Jésus y trempa les lèvres, mais le refusa : ce n’était pas le calice qu’il avait promis à son Père de boire. On le crucifia donc, clouant d’abord ses mains au gibet, qu’on éleva ensuite sur le pieu droit, en secouant sans s’en inquiéter son corps endolori. Les Pères [de l’Église] ne se sont point scandalisés d’une nudité complète. Cependant, comme les Juifs en préservaient même les suppliciés, il est à croire que les Romains respectèrent la coutume. Quand on commença de crucifier Jésus, il n’était guère que midi. » [Marie-Joseph Lagrange « L’Évangile de Jésus-Christ avec la synopse évangélique, Artège-Lethielleux, 2017, pp. 605-606.]

Glorieuse, la croix put le devenir ! Une immense résonance rayonne dans l’univers : le Fils unique, mort en croix, en l’an 30, en un lieu hors de Jérusalem, heure horrible et mortifère, procura l’accès pour toujours et pour tous en la vie de Dieu. Qui ne comprendrait qu’elle soit fêtée par l’Église du Christ ! La fécondité de la Croix est proclamée comme universelle : « Tu as voulu, Seigneur, que tous les hommes soient sauvés par la Croix de ton Fils ; permets qu’ayant connu, dès ici-bas ce mystère, nous goûtions au ciel les bienfaits de la rédemption. » Avec sagesse, c’est en recevant Marie comme Mère, en l’accueillant chez nous, comme nous le montrent la scène du Calvaire et la Vierge Marie, Notre-Dame de Compassion et de Douleur, que nous avancerons recevant le Christ, sa Parole, ses Gestes, sa Grâce !

La Revue du Rosaire, septembre 2010, n° 226.

Illustrations : La Croix Glorieuse-Basilique St-Clément-Rome

Détail : Le cerf altéré

La Crucifixion-Fra Angelico

 

8 septembre 1880. Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie.

Anniversaire de ma première arrivée à Saint-Maximin. Il me semble que ma Mère Immaculée me recommande une grande fidélité à mes petits devoirs, la docilité, l’union à Jésus Crucifié, la prière continuelle, l’étude de la Sainte Écriture pour y voir l’amour de Dieu, beaucoup de surnaturel dans mes affections, même pour mes parents, voire les âmes. « Mon Seigneur Jésus, donnez-moi, la Très Sainte Vierge pour Mère ». (Marie-Joseph Lagrange, o.p. Journal spirituel)

Confions à l’intercession de la Vierge Marie la cause de béatification du Père Lagrange.

Extrait du discours du pape Léon XIV lors du congrès de l’Académie pontificale mariale internationale le 6 septembre 2025 au Vatican.

La Vierge Marie, Mère de l’Église, nous enseigne à être le peuple saint de Dieu ; d’où aussi l’importance de cette Académie pontificale, un cénacle de pensée, de spiritualité et de dialogue dont la tâche est de coordonner les études mariologiques et les amoureux de la mariologie, au service d’une pietas mariale authentique et féconde.

Au cours de ce 26e Congrès, vous vous êtes demandé si une Église au visage marial est un vestige du passé ou une prophétie de l’avenir, capable de secouer les esprits et les cœurs de l’habitude et du regret d’une « société chrétienne » qui n’existe plus. Vous avez discuté des objectifs et des valeurs que le culte marial propose aux croyants, pour vérifier s’ils sont au service de l’espérance et de la consolation que l’Église a la tâche d’annoncer. Vous avez reconnu dans le jubilé et dans la synodalité deux catégories bibliques et théologiques pour dire efficacement la vocation et la mission de la Mère du Seigneur.

En tant que femme « jubilaire », Marie nous apparaît toujours capable de repartir de l’écoute de la Parole, selon l’attitude décrite ainsi par saint Augustin : « Chacun te consulte sur ce qu’il veut, mais il n’entend pas toujours la réponse qu’il veut. Ton serviteur le plus fidèle, c’est celui qui ne cherche pas à entendre de toi ce qu’il veut, mais plutôt veut ce qu’il entend de toi » (Confessions, X, 26). En tant que femme « synodale », elle est pleinement et maternellement impliquée dans l’action de l’Esprit Saint, qui appelle à marcher ensemble, comme des frères et des sœurs, ceux qui pensaient auparavant avoir des raisons de rester séparés dans leur méfiance mutuelle et même dans leur inimitié (cf. Mt 5, 43-48).

Une Église au cœur marial conserve et comprend toujours mieux la hiérarchie des vérités de la foi, intégrant la raison et l’affection, le corps et l’âme, l’universel et le local, la personne et la communauté, l’humanité et le cosmos. C’est une Église qui ne renonce pas à se poser des questions inconfortables à elle-même, aux autres et à Dieu : « Comment cela se fera-t-il? » (Lc 1, 34) – ni à suivre les chemins exigeants de la foi et de l’amour – « Voici, je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1, 38).

Une pietas et une praxis mariales orientées vers le service de l’espérance et de la consolation libèrent du fatalisme, de la superficialité et du fondamentalisme ; elles prennent toutes les réalités humaines au sérieux, à commencer par les laissé-pour-compte et les rejetés ; elles contribuent à donner voix et dignité à ceux qui sont sacrifiés sur les autels des idoles anciennes et nouvelles.

Puisqu’il est possible de lire la vocation de l’Église dans la vocation de la Mère du Seigneur, la théologie mariale a la tâche de cultiver dans tout le peuple de Dieu, en premier lieu, la disponibilité à « recommencer » à partir de Dieu, de sa Parole et des besoins du prochain, avec humilité et courage (cf. Lc 1, 38-39) ; et aussi le désir de marcher vers l’unité qui découle de la Trinité, de témoigner au monde de la beauté de la foi, de la fécondité de l’amour et de la prophétie de l’espérance qui ne déçoit pas. Contempler le mystère de Dieu et de l’histoire avec le regard intérieur de Marie nous protège des mystifications de la propagande, de l’idéologie et de l’information malade, qui ne sauront jamais apporter une parole désarmée et désarmante, et nous ouvre à la gratuité divine, qui seule permet aux personnes, aux peuples et aux cultures de marcher ensemble dans la paix (cf. Lc 24, 36.46-48).

Voilà pourquoi l’Église a besoin de la mariologie ; a besoin qu’elle soit pensée et proposée dans les centres académiques, les sanctuaires et les communautés paroissiales, dans les associations et les mouvements, dans les instituts de vie consacrée ; ainsi que dans les lieux où se forgent les cultures contemporaines, valorisant les innombrables suggestions offertes par l’art, la musique, la littérature.

Écho de notre page Facebook : août 2025

22 août 2025

Mémoire de La Vierge Marie, reine

Le 12 mars 1855, Albert Lagrange, était porté sur les fonts baptismaux de l’église Notre-Dame de Bourg-en-Bresse. « Comme de coutume le nouveau baptisé est présenté à l’autel de la Vierge noire, tant aimée des Bressans, pour le consacrer à Marie. La maman, qui avait déjà perdu deux bébés, place son dernier-né sous la protection spéciale de la Vierge. »

« Ma mère m’a mis en vœux, pendant trois ans, me faisant porter le bleu et le blanc, en l’honneur de Marie, en lisant le début de l’évangile de saint Jean. Quelle douce pensée, et n’est-ce pas l’origine de sa tendresse pour moi ? » (Journal spirituel)

Prière à Notre-Dame de Bourg-en-Bresse

Notre-Dame de Bourg

Nous nous tournons ver toi

Qui es vénérée dans cette église

Depuis des siècles.

Vierge de l’Annonciation

Sois un modèle pour nous

Dans notre vie de foi.

Que nous répondions

Comme toi, avec confiance,

Aux demandes du Seigneur.

Que nous apprenions à être,

Comme toi, avec humilité,

Les serviteurs du Seigneur.

Que nous nous engagions,

Comme toi, avec courage,

Au service du royaume de Dieu.

Amen !

https://www.notredame-bourgenbresse.fr/se-former/la-vierge-noire/

« Pour moi, tous mes vœux ont été exaucés, la Ste Vierge Marie, à laquelle je me suis consacré de nouveau à ma tonsure, m’a présenté elle-même à Saint-Maximin, le jour de sa Nativité et le jour du Très Saint Rosaire. Puisse-t-elle être toujours ma Mère, ma Maîtresse, ma Reine, ma Dame, ma Patronne, ma Protection, mon Avocate auprès de jésus : puisse-t-elle me donner un peu de l’amour dont son cœur était enflammé pour Jésus. » (Marie-Joseph Lagrange, Journal spirituel, Cerf, 2014.)

 

16 août 2025

Et la Palestine ?

Marie-Joseph Lagrange des Frères prêcheurs

In Le Correspondant, 10 avril 1915, t. 259, 734. 723-734.

Le Correspondant a posé en fort bons termes la question de la Syrie[1].  Mais qu’est-ce que la Syrie ?

À l’est, peut-être serait-il assez aisé de fixer ses bornes ; on ne se disputerait pas trop âprement quelques kilomètres carrés de désert. Mais au nord ? Mais au sud ? Parlez de la frontière nord, c’est aborder délibérément de graves problèmes commerciaux et politiques, et ceux-là seuls. Mais la Palestine, si elle a son intérêt temporel, rappelle avant tout aux chrétiens les grands souvenirs du Christ et aux Français les glorieuses traditions du passé. On permettra donc sans doute à un religieux de mettre un petit bout du petit doigt dans cet engrenage.

Il semble pourtant qu’il doit être permis, à qui n’engage personne, parce qu’il n’a aucune autorité, de dire quelques mots d’une question dont, malgré tout, l’opinion se préoccupe. J’entends bien ce qu’on objecte de la peau de l’ours…, mais il s’agit moins d’avoir sa peau que de lui rendre de meilleurs jours, en empêchant que d’autres ne le fassent danser jusqu’à mourir.

Le problème a d’ailleurs un aspect tout à fait général. On peut se demander si la Palestine se rattache à l’Égypte ou à la Syrie, ou si elle ne devrait pas être indépendante ?

Parlant de la Palestine, je suppose qu’on se préoccupe quelque peu des frontières naturelles. On ne saurait donc la confondre avec le gouvernorat (mutessariflik) de Jérusalem, qui ne va même pas jusqu’à Naplouse. Entre Jérusalem et Naplouse, il n’y a guère de démarcation le long du dos d’âne qui forme le partage des eaux entre la Méditerranée et la vallée du Jourdain, d’Hébron à Djenin. Au contraire, à Djenin, on entre dans une vaste plaine qui se continue au nord-ouest le long de la chaîne du Carmel et qui va à l’est en descendant rapidement vers la vallée du Jourdain qu’elle atteint à Beisan. S’il pouvait être question de former une Palestine, ou indépendante, ou rattachée à l’Égypte, c’est dans cette double plaine qu’il faudrait placer la frontière politique ; on peut se la figurer le long du chemin de fer qui va de Caïffa à Damas. À cette Palestine occidentale on pourrait joindre les régions d’outre Jourdain, dépendantes du vilayet de Damas.

Quant à la limite du sud, elle est marquée naturellement sur la côte par le Ouady-el-Arich. Actuellement l’Égypte possède la péninsule du Sinaï, mais non Aqaba, sur le golfe Élanitique. Il faut s’attendre à ce que l’Égypte revendique Aqaba, qui n’a été repris par la Turquie que lors de l’investiture donnée au khédive Tewfik. D’autre part, les maîtres de la Syrie pourraient objecter que le canal de Suez est une excellente limite naturelle. Mais comme les Égyptiens ont un intérêt suprême à le défendre, ils revendiqueront, avec la dernière énergie, une certaine marge de l’autre côté. On s’entendrait sans doute sans difficulté sur les limites actuelles, supposé que l’Égypte ne poussât pas ses prétentions plus loin, en convoitant toute la Palestine, telle que nous l’avons définie, limitée au nord par la plaine d’Esdrelon et la vallée de Djaloud qui descend à Beisan.

Cette contestation, faut bien le dire, est aussi vieille que l’histoire. Aussitôt qu’il y a eu dans l’Asie antérieure et en Égypte deux grandes puissances, elles se sont disputé la Palestine.

Les premiers occupants ont été les Sémites du plus ancien royaume de Babylone. Mais aussitôt que la dix-huitième dynastie égyptienne eut chassé les Hycsos, Toutmès III lança ses lourds bataillons sur la Palestine et la Syrie. Notons toutefois, et c’est l’intérêt actuel de ces souvenirs, que la domination égyptienne demeura tout extérieure. Elle durait depuis des siècles et l’empreinte babylonienne était encore si dominante en Palestine que les petits souverains du pays communiquaient avec leur suzerain égyptien, au quatorzième siècle avant Jésus Christ, en langue babylonienne et avec l’écriture babylonienne.

L’arrivée des Hébreux en Palestine mit un terme à la domination égyptienne. Dès lors, les Pharaons ne firent plus, dans le pays, que de gigantesques razzias, que rappellent les noms de Chechonq et de Néchao. Quelques cartouches de victoire gravés dans les temples de Thèbes donnaient satisfaction à leur vanité, mais n’assuraient pas leur pouvoir. Ils auraient peut-être même renoncé à ces expéditions plus coûteuses qu’utiles s’ils n’avaient été sollicités par les rois de Juda. Ceux-ci comprenaient très bien que le joug assyrien ou babylonien serait autrement difficile à secouer. Et, en effet, les Israélites, conquis par Sargon et par Nabuchodonosor, ne furent délivrés de la captivité de Babylone qu’en subissant l’empire des Perses, devenus à leur tour maîtres de l’Asie, et ensuite de l’Égypte.

Nouveau changement quand les descendants de Ptolémée Lagos, le plus habile des successeurs d’Alexandre, eurent établi leur pouvoir sur la Méditerranée orientale. La Palestine ne fut alors qu’une annexe de l’Égypte, mais seulement pendant un peu plus d’un siècle, pour tomber avec Antiochus le Grand au pouvoir des Syriens. Les Romains, puis les Byzantins régnaient sur les deux continents. Mais aussitôt que l’Islam eut brisé l’unité romaine, le jeu de bascule recommença. Les soudans d’Égypte l’emportaient ordinairement sur les sultans d’Alep ou de Damas. Si bien que saint Louis crut que le meilleur moyen de délivrer le Saint-Sépulcre, c’était de conquérir l’Égypte. Bonaparte suivit le même chemin. Et, pour ne pas insister outre mesure sur ce chassé-croisé, aussitôt que l’Égypte eut été réorganisée par Méhémet-Ali, son fils Ibrahim se jeta sur la Syrie, qu’il ne lâcha que contraint par les menaces de la coalition européenne.

Si bien que lorsque l’occupation anglaise de l’Égypte eut pris l’aspect d’un ordre définitif, on se demanda en Palestine si les Anglais n’allaient pas reprendre les anciennes prétentions des Égyptiens. Rien de pareil n’apparut cependant. Le consulat britannique à Jérusalem, géré avec beaucoup d’honorabilité, comme il convenait, montrait peu d’activité. Les établissements anglicans religieux se développèrent dans une large mesure, mais sans aucune allure d’empiètement, du moins de la part du chef de la mission. On dit même que plus d’une fois Mgr Blyth, l’évêque anglican, rappela à des missionnaires trop zélés qu’ils n’étaient point venus en Terre Sainte pour ravir leurs ouailles au patriarche grec ni au patriarche latin. Des bateaux anglais, mais d’un petit tonnage, paraissaient régulièrement en rade de Jaffa. Le principal commerce était celui des oranges.

Bref, on n’avait nullement dans le pays l’impression qu’une annexion se préparait ou était en vue. D’autres sont mieux informés sur les intentions de nos alliés. Mais rien n’indique que nous leur soyons désagréables en relevant nos propres titres. Si l’histoire s’est répétée jusqu’à présent, il faut cependant reconnaître la portée du fait nouveau qui pourrait lui donner une allure nouvelle. Le canal de Suez est pour l’Égypte une admirable ligne de défense ; les événements de cet hiver l’ont bien montré. L’Égypte ne peut tolérer qu’on s’établisse sur l’autre bord, nous l’avons déjà dit. Mais sa force défensive, si elle est en mesure de surveiller son désert, serait-elle accrue par la possession d’une marche si facile à enlever par qui possède la Syrie ? Et on se place ici dans le cas le plus fâcheux, celui d’hostilités entre la France et l’Angleterre, alors que ces deux puissances seront désormais unies, non seulement par d’excellents souvenirs de fraternité militaire, mais par une sorte de nécessité historique de plus en plus évidente, de plus en plus impérieuse. On n’imagine pas que l’Angleterre, avec une si large part des dépouilles dans l’empire Ottoman – et l’Égypte est déjà une part opime sur laquelle nous avions bien quelques droits – tienne absolument à détacher de la Syrie une contrée qui lui appartient naturellement.

Or rattacher la Palestine à la Syrie, c’est, dans notre hypothèse, la rattacher à la France.

Mais, quand bien même la Palestine ne devrait pas être française comme la simple continuation des côtes et du hinterland syriens, elle devrait encore être à nous, si une tradition séculaire de gloire et aussi d’obscur labeur pèse pour quelque chose quand on s’occupera de répartir les territoires avec équité.

Ou plutôt, la France ne ferait que rentrer en Palestine, qu’y recouvrer ses droits, pour y exercer de nouveau la même action bienfaisante qui avait rendu pour quelques années à ce pays quelque chose de son antique prospérité.

Charlemagne inaugure cette glorieuse tradition comme il domine l’histoire de l’Europe. L’aspect pacifique de son intervention en rehausse la valeur à nos yeux. Mais ce n’est pas une raison pour déprécier les Croisades.

Des Français n’y ont vu que des guerres injustes. Était-il permis, pour conquérir un monument historique, fût-ce un sanctuaire comme le Saint-Sépulcre, de déchaîner le fléau de la guerre sur l’Asie, de massacrer des populations inoffensives, de s’emparer de leur sol ? – On oublie qu’alors les conquérants musulmans étaient relativement peu nombreux, du moins en dehors des grandes villes, que la conquête injuste avait été leur fait, que le souvenir n’en était pas aboli, et que la tyrannie, la folie homicide de certains souverains musulmans, bien éloignés de l’esprit relativement modéré des premiers khalifes, avait rendu intolérable la situation des chrétiens du pays aussi bien que celle des pèlerins et des commerçants d’Occident.

Dans les Croisés, on ne veut voir que des hommes bardés de fer, dont les exploits, à peine croyables, ont été stériles. Mais les gentilshommes étaient accompagnés de tout un peuple d’artisans et de cultivateurs, de maçons surtout, et les incomparables ruines d’Athlit, de Kérak, du Krak des Chevaliers, prouvent que les Croisés ont su manier la truelle aussi bien que l’épée. Aujourd’hui encore, si l’on rencontre dans un vallon secret des terres bien cultivées, des vignes maintenues par des terrasses, des vestiges de pressoirs, de celliers bien ordonnés, on peut être sûr que nos ancêtres ont établi là leurs fermes, Fontenoix, Blanche-Garde ou Belle-Fontaine[2]. Les anciens moulins à sucre de Jéricho ou du Mont-Royal furent leur œuvre.

Ils avaient conquis le pays l’épée à la main, mais ils lui consacraient leurs sueurs, et ils l’administraient avec justice, selon nos vieilles coutumes françaises, rédigées dans le français du temps, les Assises de Jérusalem. Dans les villes on parlait français et on désignait en français le nom des rues. Quand la domination franque eut disparu, on ne construisit plus en Palestine aucun monument de quelque beauté. Les ouvrages de Bibars ne sont que d’odieux replâtrages, et quant aux Turcs, ils n’ont guère que restauré, je veux dire changé de ravissantes églises en mosquées : rien de plus aisé, puisqu’il suffisait de retrancher l’abside, remplacée par un mur droit. Quant le bâtiment va, tout va. On peut assurément retourner le proverbe. Rien n’allait plus dans la Palestine, abandonnée aux exactions des pachas.

Pourtant nos ancêtres ne se découragèrent pas. Notre enfance a été bercée par l’épopée étincelante des croisades. Nous ignorons complètement les entreprises plus prosaïques de nos commerçants, et pourtant elles ne font guère moins d’honneur à l’esprit d’initiative et à la persévérance, oui, à la persévérance de notre race. Aussitôt que la France, sortie des guerres de religions, eut pris en Europe une situation prépondérante, elle se fit l’héritière dans le Levant des cités commerçantes de l’Italie. Et rien ne décourageait ces braves gens, originaires de Provence ou du Languedoc. Ni le risque d’être pris par les corsaires barbaresques, anglais ou hollandais, ni les avances qu’il fallait payer aux pachas pour le motif le plus futile, ni les inconvénients d’une législation qui cherchait sa voie et changeait fréquemment, ni la concurrence, ni les coups ne détournaient nos Marseillais des échelles du Levant. On s’étonne de cette obstination, on se demande quel pouvait être le profit, mais on admire cette énergie. Or si les Anglais, souvent unis aux Hollandais, ont pu lutter avec nous à Alexandrie ou à Alep, l’échelle de Saïda, l’ancienne Sidon, et celle d’Acre, représentant alors ce que sont aujourd’hui Jaffa et Beyrouth, furent toujours presque exclusivement des comptoirs français. Le conseil du roi était sans cesse occupé des plaintes des Marseillais, des protestations de ceux du Ponent contre leurs privilèges, des dénonciations des colonies contre les ambassadeurs et les consuls, ou réciproquement, des traités à conclure avec les États barbaresques ou avec la Porte. Ce labeur fut vraiment écrasant. Mais jamais ministre français ne songea à s’y soustraire. Coûte que coûte, notre position fut maintenue.

Et après ces longs jours de travail acharné, mais sans gloire, voici de nouveau l’épopée. Bonaparte a conquis l’Égypte, il lui faut la Palestine. Tout le monde sait qu’il se montra dur à Jaffa pour des soldats qui s’étaient rendus, et qu’il échoua devant Saint-Jean d’Acre. Mais qui a, parmi nous, gardé assez le culte des beaux faits d’armes de nos soldats ? Nous avons retenu les noms de Kléber et de Junot et l’appellation sonore de rue du Mont-Thabor rappelle aux Parisiens une bataille qui doit être du même temps que celle de Rivoli. Les ordres du jour grandioses de Bonaparte flamboient de la lumière de l’Orient : mais ne devrions-nous pas être aussi touchés en feuilletant les humbles registres de paroisse, conservés dans des couvents franciscains ? On y lit seulement que Jean Chabert ou Joachim Morille, nés dans tels bourgs de notre France, ont été ensevelis dans le cimetière des Latins, avec les prières de l’Église. Ils occupent le sol, au Carmel, à Nazareth et au Thabor, ces braves petits soldats français et ils attendent la France, comme saint Louis, mourant à Tunis, sacrait française l’ancienne terre de Carthage. Et, trop souvent, on nous a dépeint ces soldats de la Révolution comme étrangers à la religion de leurs pères. Beaucoup d’entre eux avaient les sentiments des Croisés et ils entendaient bien prendre possession de la Terre Sainte pour la France. L’un d’eux qui avait eu son doigt emporté dit avec cet héroïsme souriant que nos « poilus » connaissent si bien : « Je ne sais pas ce que deviendra mon cadavre, mais j’aurai toujours un doigt en terre sainte[3]. »

C’est toute la France, depuis saint Louis, qui a toujours eu un peu de son cœur au pays du Christ. Elle a pris soin, en même temps qu’elle cherchait la gloire des armes et – pourquoi pas ? – le profit du commerce, de faire bénéficier de son crédit les chrétiens d’Orient. Quand elle était puissante et respectée, leur condition devenait meilleure. Était-elle occupée à se défendre, ses clients de Palestine étaient exposés aux vexations. La politique ultra-prudente du règne de Louis-Philippe nous avait fait peu d’honneur. L’expédition de Syrie releva notre prestige, lorsque nos soldats inscrivirent leurs noms sur les rochers du Nahr-el-Kelb, à côté des stèles des vieux potentats assyriens et des cartouches de Marc-Aurèle. Et cependant, voici un véritable prodige, cet autre mouvement de bascule se releva en notre faveur, après la défaite de 1870, par l’élan de foi qui inspira aux pèlerins français d’aller demander à Dieu au tombeau du Christ le salut de leur patrie. Et c’est plus spécialement à partir de 1880, au moment où les religieux français furent expulsés de leurs maisons de France, que notre influence prit le décisif essor. Après les Croisades, après le commerce, après les guerres de Bonaparte, l’action de la France apparaissait sous une forme plus purement religieuse. Partout, à Jérusalem, à Jaffa, à Nazareth, à Caïffa, des écoles se construisirent où des milliers d’enfants apprirent à aimer la France, pendant que les malades étaient soignés dans nos hôpitaux. Et, plus que nulle part ailleurs, des ordres contemplatifs se vouaient à la prière. En vingt ans, le français avait supplanté les autres langues modernes, dans un pays où il n’y a pas de commerçants français[4]

Il n’existe assurément dans l’histoire que très peu de cas d’une action religieuse, simplement religieuse, ayant eu un contrecoup aussi profond dans l’ordre politique. Les Frères et les Sœurs, en exerçant leur ministère d’enseignement et de charité, ont laissé rayonner autour d’eux, sous sa forme la plus attrayante, la séduction du génie français.

Et voilà, diront peut-être des esprits chagrins, ce que vous voulez compromettre en confiant les destinées de la Syrie au gouvernement français ? Eh ! bien, nous nous refusons à croire qu’il en soit ainsi en Terre-Sainte. Le gouvernement anglais, fidèle à ses maximes, nous laisserait la liberté, mais nous l’attendons aussi de la France avec confiance.

La France a fait appel à tous ses fils pour la défendre. Après avoir été tous à la peine, il est impossible qu’ils ne soient pas tous à l’honneur. Il est impossible qu’on maintienne contre de bons Français des lois d’ostracisme. Chassés de France par la révocation de l’édit de Nantes, les protestants se sont réfugiés à l’étranger, ont fait souche parmi nos ennemis, et leurs noms figurent parmi les plus acharnés. On ne blâme ordinairement que Louis XIV. Nos religieux ont quitté la Palestine au premier signal et changé l’habit religieux pour l’uniforme qu’ils ont porté avec dignité. Ils reviendront en Palestine avec la France victorieuse. Il est impossible qu’ils soient expulsés par la République, comme nos religieuses l’ont été par les Turcs, et qu’on maintienne des confiscations prononcées en haine de la France.

Laissons aux Turcs le privilège du suicide. Conçoit-on la France, choisie comme arbitre en Palestine entre les différentes nationalités et les différentes confessions, revendiquant ses titres séculaires au protectorat des catholiques, et chassant de la Terre-Sainte ses nationaux, représentants les plus nombreux du catholicisme ? S’il est une aberration sectaire qui irait jusque-là, ce ne sera pas le fait de nos hommes d’État, puisque, aux jours les plus sombres de la guerre contre l’Église, ils ont compris que le rôle de la France en Orient était tracé une fois pour toute par les siècles. D’autant que, nous venons de le dire, il n’y a à peu près point de Français en Palestine en dehors des établissements religieux. Est-il à prévoir que notre pays, grandi dans l’estime du monde par la victoire, mais affaibli tout de même, sera de sitôt en mesure d’envoyer des colons dans la plaine de Saron ?

Faisons résolument crédit au bon sens de notre peuple ; c’est lui que nous voulons voir à Jérusalem, parce que, en touchant ce sol sacré, il revient, d’une autre manière qu’Antée, au sentiment de sa vocation providentielle.

Mais une difficulté – même si on l’estime résolue –, en amène parfois une autre. Pourquoi la Palestine reviendrait-elle à la France, si les Français y sont si peu nombreux, si ceux qui y demeurent n’y sont point occupés de commerce, ou d’agriculture, ou d’industrie ? Je réponds sans paradoxe que c’est pour cela même que la protection française sera pour les nationaux une garantie de justice et d’équité.

Je suppose qu’on a reconnu que la domination des Turcs n’est plus possible. Les Turcs, en effet, ne peuvent s’imposer à ce pays que comme des maîtres qui l’ont contraint, par droit de conquête, à suivre les destinées de leur empire. Pourquoi gouverneraient-ils la Palestine s’ils n’ont plus la Syrie ? Ils y sont peu nombreux et la masse de la population les verra avec plaisir dépouillés de leur situation prédominante. Ce sont, dans tous les pays qui parlent arabe, de véritables étrangers.

Après les Turcs, le seul groupement ethnique étranger important, sans parler des Juifs que nous retrouverons plus loin, ce sont les trois colonies allemandes de Jérusalem, de Caïffa et de Jaffa. Je n’imagine pas les plénipotentiaires de l’Europe coalisée contre les Austro-Allemands priant ces Allemands de vouloir bien administrer la Palestine. Un des crimes de l’Allemagne, crime auquel l’Autriche catholique s’est associée de plein gré, a été d’entraîner la Turquie dans une guerre sainte, en la sacrifiant sans vergogne à ses intérêts. Quand les sujets ottomans l’auront compris, les Allemands seront exposés à la vindicte de ceux qu’ils ont immolés à leur avantage. Et peut-être ces colons, d’ailleurs laborieux et réputés négociants honnêtes, ne seront-ils pas fâchés de trouver dans la protection française un abri contre des représailles. Nous n’irons pas jusqu’à leur demander leur avis. Mais nous connaissons celui des indigènes, et j’ose dire que nous pouvons escompter le sentiment joyeux d’adhésion à notre paix qui succédera à tant de siècles d’exploitation terminés par le paroxysme brutal des réquisitions et des appels de guerre.

Le vieux malheur du pays, c’est que l’impôt n’a pas d’assiette fixe. Chaque gouverneur (mutessarif) de Jérusalem se croyait tenu d’honneur – et c’était en tout cas une condition pour l’avancement – à verser au trésor une somme plus considérable que son prédécesseur. Sans parler de ses profits personnels. L’impôt une fois fixé, c’était aux scheiks de village à trouver la quotité nécessaire, en la répartissant à peu près à leur gré. Donc tout le monde ne gagnera pas à une répartition plus équitable. Quelques exploiteurs se plaindront. Mais le paysan pourra planter des oliviers sans payer la dîme pendant vingt ans avant qu’ils rapportent des fruits. Bien plus, il ne sera pas obligé de couper des arbres en plein rapport pour trouver les napoléons qu’on lui fait suer au sérail. Depuis vingt-cinq ans les collines ont été sensiblement déboisées ; que penser du long ravage des siècles ? Elles reverdiront et se couvriront de forêts quand on ne s’acharnera plus à détruire toute végétation : les femmes en coupant les jeunes tiges pour faire des fagots, les chèvres en broutant les bourgeons, les hommes en arrachant les racines pour faire du feu.

Analysons, si l’on veut, la situation de plus près. Les villes sont : Jérusalem, Bethléem, Caïffa, Hébron, Naplouse, Gaza. Dans les trois premières, les chrétiens sont nombreux ; Bethléem est même en majorité catholique. Le contact des chrétiens avec les musulmans a plutôt émoussé les haines que multiplier les occasions de conflit. Quelques ulémas fronceront les sourcils en voyant le pouvoir aux mains des infidèles. Mais la masse de la population accepte tacitement la supériorité des étrangers. Or l’Orient, traditionnel et routinier, s’attend depuis longtemps à l’arrivée des Français, glorieux dans le passé, et trop peu nombreux aujourd’hui pour menacer le commerce local de leur concurrence. Les villes purement musulmanes ne sont pas plus mal disposées pour nous. Le naturel des gens de Gaza est doux et accommodant ; c’est déjà le tempérament des Égyptiens. Hébron s’est habitué à vivre avec des étrangers depuis que les Juifs y sont établis en grand nombre. Si aucun établissement chrétien n’y est admis, sauf une mission anglaise protestante, les Sœurs de la charité de Bethléem viennent régulièrement y soigner les malades et sont toujours bien accueillies. Naplouse a toujours été, même sous les Byzantins, une cité turbulente ; mais elle ne fera pas plus mauvais accueil aux Français qu’à la banque allemande qui lui a offert ses services intéressés, tandis que les Sœurs françaises de Saint-Joseph ouvraient un hôpital.

Les villages sont en grande majorité musulmans, mais si l’impôt est moins lourd, si la justice est mieux rendue, les musulmans les plus fervents – et ils sont rares ! – béniront le nom d’Allah et lui demanderont de convertir à l’islamisme ces chiens de chrétiens qui ont du bon. Les colonies de Circassiens et de Turcomans, devenues assez nombreuses depuis quarante ans, ne seraient vraiment hostiles qu’aux Russes.

Quant aux Bédouins errant dans la vallée du Jourdain, dans le désert de Juda, à l’est du pays cultivé d’outre-Jourdain, ils n’ont aucun goût à abriter sous leurs tentes les gendarmes du gouvernement. Si on les empêche de se battre, au lieu de provoquer entre eux la discorde, ils reconnaîtront peut-être que c’est pour leur bien.

Je n’ai pas parlé des chrétiens, dont les sympathies pour nous sont bien connues.

D’autres ont dit tout ce que la France pourrait gagner à régir des pays qui ont été riches et qui peuvent le redevenir. C’est l’affaire des économistes. J’ai voulu montrer en peu de mots le bien qu’il y avait à y faire. Et cet aspect de la question n’est peut-être pas celui qui impressionnera le moins un pays idéaliste comme le nôtre. Nous pouvons, j’en suis convaincu – et, ce qui importe beaucoup plus, les gens du pays en sont convaincus –, leur rendre de la sécurité, encourager leurs efforts et les rémunérer, assurer une meilleure justice. Et cela, une autre puissance pourrait le faire, l’Angleterre l’a fait en Égypte. Mais, en Palestine, nous continuons notre rôle séculaire, c’est à nous que revient cette tâche. Le résultat sera moins profitable, il faut se le dire, mais le service rendu à des populations plus misérables sera plus grand, et cela même est un appel à la générosité de notre nation.

Puis il y a les intérêts religieux qui sont ici au premier rang. Et, puisque notre occupation doit être pacifique, respectueuse des droits de tous, la France, en ce moment, est encore désignée, cela est bien singulier et difficile à dire, par les contradictions de son histoire. Son passé catholique la consacre comme protectrice des Saints-Lieux. Mais, quoique nous, religieux, comptions à ce titre sur sa protection, il est fort douteux que son gouvernement s’inspire prochainement de maximes dites cléricales. Son attitude comme grande puissance ayant de nombreux sujets musulmans garantit aux musulmans le respect de leurs croyances, de leurs pratiques religieuses et de leurs droits. Son affectation de neutralité vis-à-vis de toute question religieuse rassurera les confessions rivales du catholicisme et – « je l’avoue avec quelque pudeur » –, c’est nous, catholiques, qui aurions besoin d’être rassurés ! Cette situation particulière de la France, champ clos où toutes les idées se livrent bataille, imposera sans doute à nos législateurs ce statut de liberté et de respect pour toutes les convictions honnêtes qui seul peut nous donner le repos à l’intérieur. Mais déjà elle permet à notre pays de remplacer tout un aréopage international.

On parle beaucoup de donner, sinon à la Palestine, du moins à Jérusalem, une sorte d’autonomie, sous la garantie des puissances. Quelles puissances ? Sans doute les puissances coalisées contre la Kultur allemande ? Et comment sera composé ce singulier conseil municipal ? Après tout, le problème n’est peut-être pas insoluble ; j’avoue mon incompétence. Mais ce que chacun sait, c’est la difficulté de garder la paix quand on organise, pour ainsi dire, les occasions de conflit. On soutient qu’à Jérusalem tous les intérêts religieux doivent être représentés et cela est assurément légitime. Mais, précisément parce qu’ils sont nombreux et divergents, et facilement passionnés, il faut qu’il y ait un arbitre. L’arbitre ce n’est pas celui qui les représente, et si les représentants décident à la majorité, c’est l’oppression sans la responsabilité ouverte de l’oppression. Et si l’on n’accepte pas le verdict, c’est le conflit. Les chrétiens de Jérusalem ont si bien senti la nécessité d’un arbitrage unique qu’ils ont accepté celui des Turcs. La France offre bien au moins les mêmes garanties. Il faut seulement que l’arbitre se guide d’après un principe simple, clair et reconnu de tous. Ce principe jusqu’à présent a été celui du statu quo. La violation du statu quo à Bethléem a été l’un de nos griefs lors de la guerre de Crimée. Après la guerre, il a été solennellement rétabli. C’est la seule manière de garder la paix.

Quelques catholiques me trouveront bien tiède. Mais si nous demandons à la France de chasser les Grecs orthodoxes du Saint-Sépulcre, pourquoi les Russes ne demanderaient-ils pas que nous en soyons expulsés ? Et c’est conserver le statu quo que la mosquée d’Omar doit demeurer une mosquée. Les Anglais ont bien laissé aux musulmans de Chypre la libre jouissance des belles églises gothiques de Famagouste et de Nicosie, anciennes cathédrales des catholiques, bâties par les Lusignans.

La mosquée d’Omar ? Mais n’est-elle pas située sur l’emplacement du temple des Juifs ?

Voici donc enfin se produire une prétention que les Allemands tiennent en réserve, comme une chicane historique de valeur.

Puisque les puissances coalisées sont en train de faire du nationalisme, de réparer les injustices anciennes, de restaurer tous les droits, que ne rendent-elles la Palestine aux Juifs ? Du même coup ils redeviendraient une nation, sur le sol de leur patrie, et ils pourraient reprendre leur culte, au seul endroit où leur loi leur permette de le pratiquer, au temple de Jérusalem…

Les Juifs, assure-t-on, sont tout prêts.

Et il est certain, en effet, que le Sionisme, longtemps hésitant, a pris depuis quatre ou cinq ans une allure victorieuse. Ne pouvant conquérir la Palestine, les Juifs ont résolu de l’acheter par petits morceaux. Même aux environs d’Abou-Goch, au nord de Jérusalem, sur les bords du lac de Tibériade, ces lopins ont une étendue considérable. Au nord de l’ancienne Jaffa, une ville entière s’est construite, complètement juive. Et la population juive de Jérusalem augmente toujours ; elle compose l’immense majorité. Les colonies situées près de Ramleh, celles de Zoummarin et de Galilée sont devenues très prospères.

Mais tout de même les Juifs ne sont pas, il s’en faut, le principal élément du pays. Ils sont trop peu pour avoir des prétentions sérieuses. Ils sont trop pour que d’autres ne redoutent pas anxieusement leur domination. C’est surtout en comparaison des Juifs que la France, sans attaches au sol, sans intérêt égoïste, apparaît comme l’arbitre idéal et le suzerain désintéressé.

D’ailleurs est-on sûr que le Judaïsme dispersé, l’antique Diaspora, devenue plus florissante qu’au temps des Hérodes, verrait avec satisfaction cette renaissance de la patrie juive ?…

Les droits de la France sur la Palestine, la vocation qui l’y appelle, les souffrances qu’elle  peut guérir sont des choses trop sérieuses pour qu’on les mette, même un instant, en parallèle avec les chimères d’un messianisme aveuglé. Et si l’on s’attend à voir nos alliés reconnaître nos titres, on ne voit pas la Russie proposant d’installer le judaïsme en Terre-Sainte. Allons donc où Dieu nous appelle, et que Dieu nous soit en aide pour remplir notre mission ! ¨

Fr. M.-J. Lagrange des Frères-Prêcheurs.

www.mj-lagrange.org

16 août 2025

El Padre María-José LAGRANGE, fundador de la Escuela bíblica de Jerusalén, ordenado sacerdote en Zamora (España)

Fr. Manuel Rivero O.P.

Entre los numerosos acontecimientos que han marcado la historia de la diócesis de Zamora figura la ordenación presbiteral del fraile dominico María-José LAGRANGE (1855-1938) que fundó la Escuela bíblica de Jerusalén el 15 de noviembre 1890, fiesta de San Alberto Magno, su patrono de bautismo.

Exiliado con todos le dominicos de la Provincia de Toulouse (Francia) en el convento de San Esteban de Salamanca de 1880 a 1886 a causa de la persecución antirreligiosa de 1880 en Francia, fray María José LAGRANGE, que había recibido la ordenación diaconal en Salamanca, fue a Zamora para recibir su ordenación presbiteral de manos del obispo de la diócesis Monseñor Tomás Belestá y Cambeses (1881-1892) el día 22 de diciembre 1883, en la Capilla pública del Palacio episcopal. Estuvieron presentes la madre del Padre Lagrange, Isabel, así como su hermana Teresa.

En su Diario espiritual, el padre Lagrange ha escrito el 22 e diciembre de 1883 : « Ordenación en Zamora por Monseñor Tomas Belestá, conducidos el R.P. Solla. Padre José Ciervo, sacerdote. André Blatgé, sub-diácono. Recibidos por nuestras hermanas de la Anunciación[5]. »

La madre y la hermana del padre Lagrange visitaron con él, en ese mismo mes de diciembre de 1883, el Carmelo de la Anunciación de Alba de Tormes, con el fin de venerar las reliquias de santa Teresa de Avila, referencia y guia espiritual para la oración del padre Lagrange. El archivo del Carmelo ha conservado sus firmas[6].

La Escuela bíblica de Jerusalén ha dado a la Iglesia la Biblia de Jerusalén sin olvidar los importantes estudios exegéticos desde la fundación de la Revue biblique en 1892 hasta ahora.

La diócesis de Zamora, religada en su historia al fundador de la Escuela bíblica de Jerusalén, puede favorecer la causa de beatificación del padre Lagrange por la oración y la difusión de sus escritos que ayudan a comprender la Palabra de Dios y a vivirla en la inteligencia de la fe.

Fr. Manuel Rivero O.P.

Vicepostulador de la causa de beatificación del padre Lagrange

Presidente de la Asociación de los amigos del padre Lagrange

Dominicains. Cure de la cathédrale. 22 avenue de la Victoire. F-97400 Saint Denis de La Réunion/France.
Téléphone : 00.262.6 92 80 11 50
Courriel : manuel.rivero@free.fr ; site de l’Association des amis du père Lagrange :
http://www.mj-lagrange.org/ ; Facebook : Marie-Joseph Lagrange.

15 août 2025

Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie

“Un signe grandiose apparut dans le ciel…”

Fr. Yves-Henri RIVIÈRE, o.p.

Homélie pour la fête de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie

prêchée le 15 août 2010 en la Basilique Notre Dame de Prouilhe.

Un signe qui nous invite non seulement à ne pas perdre courage, mais encore à aller résolument de l’avant, attentifs aux choses d’en haut, « ad superna semper intenti » dit le latin vigoureux originel de la prière d’ouverture de ce jour, « tendus vers les réalités d’en haut ».
Un signe bien présent encore, malgré tout, dans le ciel de ce qui fut le royaume de France et dont Marie est, depuis des siècles, la Reine douce et chérie. Frères et sœurs, n’oublions jamais le geste de notre grand roi Louis XIII qui consacra, de manière publique, le Royaume de France et la famille royale à la Vierge Marie dans le mystère de son Assomption. C’était un 15 août 1638, à Abbeville, en bonne terre picarde Il vaut la peine qu’on s’y arrête :
Je prends la Bienheureuse et Très Glorieuse Vierge Marie pour Patronne spéciale de mon Royaume ; je lui dédie et consacre d’une manière expresse ma personne, mon sceptre, ma couronne, mes sujets. Je fonde le vœu perpétuel de renouveler cette consécration tous les ans, le jour de la fête de l’Assomption, pour que par le secours de ce puissant patronage, la France soit toujours sauvegardée et que le Dieu tout bon et très grand soit tellement honoré de ce culte, que souverain et sujets puissent tendre et parvenir à cette fin céleste pour laquelle nous sommes tous créés.”
Mes amis, ces gouvernants-là, encore chrétiens, ne parlaient pour rien dire. Quoi qu’on en dise, ils avaient la foi !
Pourtant, force nous est de constater que les tourmentes n’ont jamais manqué à ce royaume !
Depuis la tourmente protestante où le parti huguenot, par la force, on l’oublie trop souvent, tenta d’imposer une nouvelle foi au royaume.
Jusqu’à la pire catastrophe survenue en notre pays, la tristement célèbre « Révolution Française », où l’on vit une danseuse se produire de façon sacrilège, à moitié dénudée, sur le maître-autel de Notre-Dame de Paris, et ici un maire de Fanjeaux réduire en carrière de pierre ce vénérable monastère.
L’on connût cependant bien pire encore et le sang innocent coula en abondance, à Paris, à Lyon, sur les pontons de la Rochelle, à Cayenne, et durant le terrible génocide de la Vendée… A quand la repentance officielle pour tant de crimes ?
Non vraiment les tourmentes n’ont jamais manqué !
Et que dire des deux guerres qui mirent à feu et à sang notre pays, notre Europe et le monde entier.
D’autres tourmentes que, nous feignons d’ignorer parfois par peur et lâcheté, s’abattent aujourd’hui sur notre pays de France… insécurité grandissante, islamisation rapide du pays jusque dans la publicité, ‘cathophobie’ de plus en plus haineuse, dégradations et profanations de nos églises, de nos cimetières, etc. Nous sommes en état de guerre, qu’on le veuille ou non. Et comment s’en étonner puisque tout une part de notre nation française a renié les promesses de son baptême. « France, fille aînée de l’Eglise, qu’as-tu fait des promesses de ton baptême ? » avait osé demander Jean-Paul II en 1980 !
Et pourtant chez nous Marie est encore Reine !
Mais pour combien de temps ?
Je pose la question à la fois dans la crainte et pourtant non sans espérance.

Ce matin, frères et sœurs, la lecture tirée de l’Apocalypse vient de remettre devant les yeux de notre âme éclairée par la foi surnaturelle, le Dragon déchaîné contre la Femme et le reste de ses enfants, c’est à dire contre les fidèles du Christ. Pourquoi ce déchaînement ? Parce qu’elle porte avec elle le Signe de contradiction, le Christ Jésus. Parce que toujours selon l’Apocalypse les baptisés sont marqués de son Nom sur leurs fronts.
Frères et sœurs, il n’est plus temps de sommeiller et de nous occuper de choses de peu d’importance et de nous laisser distraire par l’agitation médiatique, alors que, comme le disait sainte Thérèse de Jésus à ses sœurs du Carmel d’Avila. « Le monde est en feu ; on veut, pour ainsi dire, condamner une seconde fois Jésus-Christ, puisqu’on suscite mille faux témoins ; on veut renverser l’Église : et nous perdrions le temps en des demandes qui, si Dieu les exauçait, ne serviraient peut-être qu’à fermer à une âme la porte du ciel ! Non, mes sœurs, ce n’est pas le temps de traiter avec Dieu des affaires peu importantes. » (Chemin de la perfection. Chapitre 1)
Notre religion n’est pas une religion de facilité molle, ou de pacifistes anémiés, il s’en faut, mais une religion de combat, de vrai combat spirituel tout autant que temporel, n’ayons pas peur des mots.
Et le paroxysme de ce combat, l’Eglise le chante dans la foi lors de la séquence de Pâques : « Victimae Paschali laudes. » “La mort et la vie se sont affrontées dans un duel prodigieux. Le Maître de la vie meurt ; vivant il règne…” “L’Agneau a racheté les brebis ; le Christ innocent a réconcilié l’homme pécheur avec le Père.”
Et l’admirable pièce s’achève par cette exclamation. “Le Christ, mon espérance, est ressuscité, il vous précédera en Galilée. Nous le savons le Christ est vraiment ressuscité des morts. Roi victorieux…”

Frères et sœurs, dans la foi de l’Eglise nous savons et confessons que la Vierge Marie est la première des rachetés, en prévision des mérites de son Fils, le Christ Jésus, vrai Dieu et vrai homme. Voilà qui non seulement rend compte du privilège de son Immaculée Conception, mais fonde aussi celui de son Assomption. Car par voie de conséquence, le premier privilège entraîne pour Marie une absence de corruption et une glorification immédiate de sa chair. « Deux autres privilèges étroitement liés. » dira le vénérable Pie XII, lors de la définition du dogme de l’Assomption en 1950.
Mais en définissant cette foi antique, universellement tenue dans l’Eglise, tant orientale qu’occidentale, le Pape Pie XII n’a pas voulu trancher le débat théologique : Marie a-t-elle connu la mort ou non ?
Alors si, comme il est permis de le penser, Marie est bien morte pour être unie en tout à son Fils, elle n’a pu mourir que d’Amour. C’est l’avis d’un François de Sales comme de bien d’autres saints et théologiens. Et ce qu’écrit sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face dans l’un des poèmes pourrait ici s’appliquer en toute vérité à Marie élevée au ciel : “Je veux chanter en sortant de ce monde : Je meurs d’Amour… Mourir d’Amour, voilà mon espérance… De son Amour je veux être embrasée Je veux Le voir, m’unir à Lui toujours Voilà mon Ciel, voilà ma destinée : Vivre d’Amour !”
Frères et sœurs, si Marie est morte, elle est morte de l’Amour le plus fort et le plus pur qui soit, de cet amour même qui la fait se tenir debout au pied de la Croix, unie plus que quiconque à l’Amour rédempteur, de son Fils Jésus et qui la rend désormais unie pour l’éternité à la gloire de l’Ascension de ce Fils. Aujourd’hui avec l’Eglise nous contemplons le grand signe apparu dans le ciel, la Femme revêtue de soleil, signe du combat victorieux remporté par la Vie sur la mort, signe de l’Amour le plus fort et le plus pur qui soit !
Signe grandiose qui resplendit dans nos cœurs de fidèles du Christ, de nos cœurs tendus vers les réalités d’en haut, « ad superna intenti » !

L’Assomption de la Vierge Marie est en quelque sorte la preuve par neuf, de l’efficacité de la Rédemption et l’avant-goût de son accomplissement en l’humanité de chacune et chacun d’entre nous.
Ô Mère, qui, dans ton Assomption au ciel a expérimenté la plénitude de la victoire de ton Fils, défends les fils et les filles de cette terre, de notre terre de France qui semble vouloir s’enfoncer toujours plus dans l’apostasie. Toi qui est née pour les fatigues de la terre et pour la gloire du ciel ! Montée au ciel ! Sois le signe grandiose, sois le témoin de Dieu. Garde nos cœurs tendus vers les réalités d’en haut.

Avec toutes les générations de fidèles nous nous tournons encore et toujours, vers la Femme revêtue de soleil, comme le fit un jour ton serviteur, le vénérable Jean-Paul II, c’était à Lourdes :
Toi qui est revêtue du soleil de l’insondable Divinité, du soleil de l’impénétrable Trinité, remplie du Père, du Fils et du Saint Esprit.
Toi à qui la Trinité se donne comme un seul Dieu, le Dieu de la Création et de la Rédemption. Le Dieu-Vérité. Le Dieu-Amour. Le Dieu-Grâce. Le Dieu-Sainteté. Le Dieu qui surpasse tout et qui embrasse tout. Le Dieu qui est tout en tous.
Toi qui as pour manteau le Soleil ! Notre sœur ! Notre Mère ! Sois le signe grandiose dans nos ciels ! Sois le témoin de Dieu ! Devant le monde du nouveau millénaire. Devant nous, filles et fils d’Eve en exil, sois le témoin de Dieu ! Sois le signe et le témoin !”

Amen.

10 août 2025 : Jour-anniversaire de la naissance au Ciel du P. Lagrange.

« Vous le savez, ô Jésus, j’ai essayé de vous comprendre mieux, de vous faire connaître, de défendre la vérité de votre Évangile… » (Marie-Joseph Lagrange o.p. Journal spirituel.)

Aujourd’hui, chez les Dominicains à La Réunion : Fr. Manuel Rivero, o.p. célèbre la messe aux intentions particulières confiées à l’intercession du P. Lagrange par ses amis-adhérents et pour qu’un miracle vienne confortée la reconnaissance par l’Église de sa sainteté.

Unis dans cette prière.

Reconnaissance de grâces à faire connaître à manuelrivero921881772@gmail.com

Illustration image prière

 

[1] 25 avril 1915.

[2] Citons seulement, près d’Abou-Goch, le couvent Deir el-Benât dont les marques de tâcherons sont des fleurs de lys.

[3] Souvenirs d’un médecin de l’expédition d’Égypte (Desgenettes), Paris, Calmann-Lévy, 1892, p. 17, dans Conférences de Saint-Étienne, I, Bonaparte en Syrie, par le R. P. Génier.

[4] En compterait-on trois à Jérusalem, ville de 100 000 habitants ?

[5] Marie-Joseph Lagrange, Journal spirituel (1879-1932), avant-propos de Fr. Manuel Rivero O.P., Paris. Éditions du Cerf. 2014. P. 214. Fray Andrés María Solla y García (+1899), dominico gallego, contribuyó a la restauración del convento de San Esteban en Salamanca. Fue nombrado teólogo consultor en el Concilio Vaticano I. Fray José Cuervo se especializó en la enseñanza de la historia. Fray Andrés Blatgé fue misionero fundador de la misión de los dominicos de la Provincia de Toulouse en Brasil.

[6] Archivo del Carmelo de la Anunciación. Libro 1° de firmas, peregrinos y visitantes de Santa Teresa (189-1899). Marie-Joseph Lagrange firma con su madre Elisabeth Lagrange y con su hermana Thérèse Lagrange, que precisa junto a su firma « Bourg. France » (fol. 48r, diciembre 1883).

 

 

El Padre María-José LAGRANGE, fundador de la Escuela bíblica de Jerusalén, ordenado sacerdote en Zamora (España) Fr. Manuel Rivero O.P.

Entre los numerosos acontecimientos que han marcado la historia de la diócesis de Zamora figura la ordenación presbiteral del fraile dominico María-José LAGRANGE (1855-1938) que fundó la Escuela bíblica de Jerusalén el 15 de noviembre 1890, fiesta de San Alberto Magno, su patrono de bautismo.

Exiliado con todos le dominicos de la Provincia de Toulouse (Francia) en el convento de San Esteban de Salamanca de 1880 a 1886 a causa de la persecución antirreligiosa de 1880 en Francia, fray María José LAGRANGE, que había recibido la ordenación diaconal en Salamanca, fue a Zamora para recibir su ordenación presbiteral de manos del obispo de la diócesis Monseñor Tomás Belestá y Cambeses (1881-1892) el día 22 de diciembre 1883, en la Capilla pública del Palacio episcopal. Estuvieron presentes la madre del Padre Lagrange, Isabel, así como su hermana Teresa.

En su Diario espiritual, el padre Lagrange ha escrito el 22 e diciembre de 1883 : « Ordenación en Zamora por Monseñor Tomas Belestá, conducidos el R.P. Solla. Padre José Ciervo, sacerdote. André Blatgé, sub-diácono. Recibidos por nuestras hermanas de la Anunciación[1]. »

La madre y la hermana del padre Lagrange visitaron con él, en ese mismo mes de diciembre de 1883, el Carmelo de la Anunciación de Alba de Tormes, con el fin de venerar las reliquias de santa Teresa de Avila, referencia y guia espiritual para la oración del padre Lagrange. El archivo del Carmelo ha conservado sus firmas[2].

La Escuela bíblica de Jerusalén ha dado a la Iglesia la Biblia de Jerusalén sin olvidar los importantes estudios exegéticos desde la fundación de la Revue biblique en 1892 hasta ahora.

La diócesis de Zamora, religada en su historia al fundador de la Escuela bíblica de Jerusalén, puede favorecer la causa de beatificación del padre Lagrange por la oración y la difusión de sus escritos que ayudan a comprender la Palabra de Dios y a vivirla en la inteligencia de la fe.

Fr. Manuel Rivero O.P.

Vicepostulador de la causa de beatificación del padre Lagrange

Presidente de la Asociación de los amigos del padre Lagrange

Dominicains. Cure de la cathédrale. 22 avenue de la Victoire. F-97400 Saint Denis de La Réunion/France.
Téléphone : 00.262.6 92 80 11 50
Courriel : manuel.rivero@free.fr ; site de l’Association des amis du père Lagrange :
http://www.mj-lagrange.org/ ; Facebook : Marie-Joseph Lagrange.

[1] Marie-Joseph Lagrange, Journal spirituel (1879-1932), avant-propos de Fr. Manuel Rivero O.P., Paris. Éditions du Cerf. 2014. P. 214. Fray Andrés María Solla y García (+1899), dominico gallego, contribuyó a la restauración del convento de San Esteban en Salamanca. Fue nombrado teólogo consultor en el Concilio Vaticano I. Fray José Cuervo se especializó en la enseñanza de la historia. Fray Andrés Blatgé fue misionero fundador de la misión de los dominicos de la Provincia de Toulouse en Brasil.

[2] Archivo del Carmelo de la Anunciación. Libro 1° de firmas, peregrinos y visitantes de Santa Teresa (189-1899). Marie-Joseph Lagrange firma con su madre Elisabeth Lagrange y con su hermana Thérèse Lagrange, que precisa junto a su firma « Bourg. France » (fol. 48r, diciembre 1883).

 

 

Écho de notre Page Facebook : juillet 2025

29 juillet 2025

La résurrection de Lazare (Jean 11, 19-27)

. 19 Beaucoup de Juifs étaient venus auprès de Marthe et de Marie, pour les consoler au sujet de leur frère.

20 Marthe donc, lorsqu’elle eut appris que Jésus venait, alla à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison.

21 Marthe dit donc à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ; 22 maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » 23 Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. » 24 Marthe lui dit : « Je sais qu’il ressuscitera lors de la résurrection, au dernier jour. » 25 Jésus lui dit : « Je suis la Résurrection et la Vie : celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; 26 et quiconque vit et croit en moi, ne mourra pas pour toujours. Le crois-tu ? » 27 Elle lui dit : « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde. »

 

Quand Jésus arriva près de Béthanie, Lazare était dans le tombeau depuis quatre jours[1]. Marthe, aussitôt prévenue comme la plus active des deux sœurs et celle qui donnait les ordres, vint à sa rencontre. Ah ! s’il avait été là, lui dont, maintenant encore, elle sait qu’il a le pouvoir de tout obtenir de Dieu ! Elle exprime sa foi plutôt qu’une espérance même vague de la résurrection de Lazare. Aussi, lorsque Jésus la console : « Ton frère ressuscitera », elle l’entend de la résurrection au dernier jour, selon la foi de ceux des Juifs qui ne se laissaient pas gagner au scepticisme des Sadducéens. Jésus lui dit : « Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra, et quiconque vit et croit en moi ne mourra point pour toujours. Le crois-tu ? » Elle lui dit : « Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu, qui venez dans le monde », et puisqu’elle ajoute foi à la déclaration du Sauveur, elle croit aussi qu’il ressuscitera les morts, étant la Vie. Et cependant elle demeure dans ces hauteurs du dogme, dans ces perspectives du jugement universel, où les tombeaux s’ouvriront tous à la fois. Elle ne se dit pas que l’auteur de la résurrection générale peut rendre à son frère cette vie de quelques jours qu’il a perdue. Elle s’en va.

(Marie-Joseph Lagrange o.p. L’Évangile de Jésus-Christ avec la synopse évangélique. Artège-Lethielleux. 2017. P.441-443.)

[1] C’est-à-dire que c’était le quatrième jour depuis sa mort. Le messager parti peu auparavant avait mis un jour pour descendre ; Jésus avait attendu deux jours et était monté le quatrième.

 

28 juillet 2025

Jésus lui-même est un signe

La reine de Saba est accourue pour rendre hommage à la sagesse de Salomon (Mt 12, 38-42).

Mt 12. 38 Alors quelques-uns des scribes et des Pharisiens lui adressèrent la parole en ces termes : « Maître, nous voulons voir de toi un signe. »

39 Il leur répondit : « Une génération mauvaise et adultère réclame un signe. Et aucun signe ne lui sera donné, si ce n’est le signe du prophète Jonas. 40 Car, de même que Jonas fut dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’homme sera dans le cœur de la terre trois jours et trois nuits. 41 Les hommes de Ninive se lèveront au Jugement avec cette génération et la condamneront ; car ils ont fait pénitence à la prédication de Jonas. Et il y a ici plus que Jonas ! 42 La reine du Midi ressuscitera au Jugement avec cette génération et la condamnera ; car elle est venue des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon. Et il y a ici plus que Salomon ! »

 

Cependant quelques-uns des scribes, moins passionnés, mais se posant toujours en juges de la mission de Jésus, lui demandèrent de nouveau d’en faire la preuve en donnant un signe dans le ciel. C’est ainsi que Samuel avait déchaîné le tonnerre et la pluie au temps de la moisson des blés, et qu’Élie avait fait tomber le feu du ciel, puis imposé une sécheresse de trois ans, terminée à sa prière. La première fois, Jésus avait nettement refusé ce signe du ciel. Sa résolution n’est pas changée. Il veut seulement expliquer plus clairement à cette génération insatiable que ses paroles et ses miracles sont un signe suffisant, et qu’elle est gravement coupable de fermer obstinément son cœur. Voir dans ces miracles, spécialement dans l’expulsion des démons, une action diabolique, c’était dépasser les limites ordinaires de la malice humaine. Mais, il faudrait encore rendre compte au jour du jugement de n’avoir pas vu un signe divin dans cette existence toute divine. C’est ainsi que Jonas avait été un signe pour les Ninivites, et ces idolâtres avaient fait pénitence, se montrant dociles à sa prédication. Et pourtant celui qui parlait ici, en pleine terre d’Israël, était plus grand que Jonas. La reine de Saba des extrémités de la terre était accourue, sur la simple réputation de Salomon, pour rendre hommage à sa sagesse. Et celui qui parlait devant eux était plus sage que Salomon. Mais ils demeuraient sourds aux paroles de vie, ils fermaient les yeux à l’évidence des miracles, et il leur fallait des signes à leur choix. C’était déjà la sommation faite à Dieu d’opérer un miracle devant les cinq classes de l’Institut. Or il les opère par bonté, et pour éclairer les âmes de bonne volonté ; il n’accepte pas de comparaître devant un tribunal d’experts.

(Marie-Joseph Lagrange, O.P. L’Évangile de Jésus-Christ avec la synopse évangélique, Artège-Lethielleux, p. 366-367. 2017.)

Note : Saint Matthieu insiste sur ce trait de ressemblance entre Jonas et Jésus que Jonas est resté trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, et qu’il en sera de même de Jésus dans le sein de la terre. Mais ce n’est pas en cela que consiste le signe dont Jésus parle en ce moment, puisque celui-ci est déjà donné et devrait être compris. Plus tard, la résurrection devait être le signe par excellence, et c’est sans doute pour cela que Matthieu le met en relief.

 

10 juillet 2025

Jour-anniversaire du serviteur de Dieu Marie-Joseph Lagrange des Frères Prêcheurs.

 

 

« Sa fidélité s’enracinait dans la prière. Sa prière était « feu ».

Ci-contre : la Prière pour obtenir des grâces par l’intercession du serviteur de Dieu Marie-Joseph Lagrange, o.p. et sur le site : www.mj-lagrange.org

Les personnes qui reçoivent des grâces par l’intercession du serviteur de Dieu Marie-Joseph Lagrange, o.p., sont priées de le faire connaître auprès du vice-postulateur Manuel Rivero, o.p. – Dominicains – 22 avenue de la Victoire 97400 – Saint Denis de La Réunion.

 

 

 

06 juillet 2025

Épître de S. Paul aux Galates (6, 17-18)

« Désormais que personne ne me cause d’ennuis car je porte sur mon corps les marques de Jésus.

La grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit, frères, Amen ! »

Le P. Lagrange nous apporte une lumière sur ces deux phrases :

Ce souhait sera-t-il réalisé par la docilité des Galates ? Quoi qu’il en soit, Paul ne supporterait pas que désormais on lui cherche chicane, ou, littéralement, on lui cause des ennuis. […] Qu’on ne dise plus qu’il n’est pas le vrai serviteur le vrai serviteur de Jésus Christ ; il porte sur son corps les marques de sa dépendance et de sa fidélité. [en grec) Des marques, souvent de véritables tatouages ou des brûlures, usitées dès les temps préhistoriques, plus tard lettres ou signes, qui exprimaient l’appartenance d’un esclave à son maître, d’un soldat à l’armée, d’un dévot à son dieu ou à sa déesse. Ce dernier usage n’était point distinct des autres, du moins chez les anciens ; on marquait les esclaves d’un temple comme les autres. [en grec] C’est comme esclave de Jésus Christ que Paul allègue les marques qu’il a reçues, c’est-à-dire les mauvais traitements qui ont laissé des traces dans sa chair, et qui prouvent qu’il est bien le serviteur du Christ (2 Cor 11, 23 ss.). Ces marques qu’un esclave cachait soigneusement, l’Apôtre les « porte » comme des trophées. […] Il suffirait de dire que refuser de reconnaître l’autorité de Paul, serait manquer d’égard à un serviteur du Christ, et rejeter le message du Christ lui-même. On sait depuis que la grâce accordée à S. François d’Assise, le mot de stigmates a pris dans l’Église un sens nouveau.

Salut final : Paul ne termine pas par une menace, mais par un souhait affectueux. […] Il ne s’adresse pas seulement à une élite spirituelle ; tous les chrétiens ont reçu l’Esprit qui leur donne comme une seconde nature plus divine. […] Ce souhait termine bien une épître où la vie de l’esprit joue un si grand rôle, comme étant le caractère du christianisme, en opposition avec des observances charnelles.

(Épître aux Galates par le P. Marie-Joseph Lagrange des frères prêcheurs. Lecoffre-Gabalda. 1926, col. Études bibliques. PP. 166-168.)

Paroles prononcées par le P. Benoit à l’occasion de l’inhumation des restes du P. Marie-Joseph Lagrange

Le P. Lagrange, un bon ouvrier de la Parole de Dieu,

Grand serviteur de notre Mère l’Église

C’est ainsi que le décrit le père Pierre Benoit, O.P. (1906-1987), Directeur de l’École biblique de Jérusalem de 1964 à 1972, dans les paroles prononcées, le 13 novembre 1967, à l’occasion de l’inhumation de ses restes, à Jérusalem. Un homme d’un grand zèle apostolique, de sa foi aussi forte et profonde qu’intelligente et éclairée, de son humilité et de son obéissance. Plus qu’intelligent et savant : il fut doux et humble de cœur.

Basilique Saint-Étienne (Jérusalem), le 13 novembre 1967

Cette basilique consacrée au premier martyr chrétien est pleine du souvenir du P. Lagrange. Il a suivi de

P. Pierre Benoit o.p.

près les fouilles de l’ancienne église du V° siècle et l’édification de l’église nouvelle. Il a dédié le premier de ses nombreux livres à l’histoire de Saint- Étienne et de son sanctuaire. Durant près de cinquante ans il y a prié, venant entre deux travaux reposer son âme, réchauffer son cœur, éclairer son esprit auprès du Maître qui y réside. Les plus anciens d’entre nous se souviennent de l’avoir vu, au terme de chaque matinée, se recueillir ici dans un grand silence, au pied du tabernacle et de Marie.

Son grand âge et ses maladies l’ont obligé à retourner en France et il est mort là-bas, dans le couvent de Saint-Maximin où il avait pris l’habit des Prêcheurs et vécu ses premières années de vie religieuse. Durant près de trente ans il a dormi dans le petit cimetière à l’ombre de la vieille basilique rendue à l’Ordre par le P. Lacordaire. Cependant ses vieux compagnons de lutte reposaient presque tous à Saint-Étienne : le P. Mathieu Lecomte, fondateur du couvent, et les autres Pères de la première équipe, puis les disciples du P. Lagrange, les PP. Vincent, Savignac, Abel, jusqu’aux humbles Frères qui ont contribué à établir cette maison. Les fils de la seconde génération regrettaient que le P. Lagrange ne reposât pas lui aussi parmi eux, auprès de tous ces chers anciens dont il a été le chef et l’inspirateur.

Les circonstances étant devenues favorables, ils ont pu enfin réaliser leur désir. Avec l’Assistance empressée et généreuse du Gouvernement français, l’exhumation et le transfert se sont accomplis au mois d’avril dernier. Le cours des événements a déjoué ce dessein et nous avons remis la cérémonie au début de la nouvelle année scolaire. C’est ce qui nous réunit ce matin, en un groupe intime et familial d’amis, de disciples, et de disciples des disciples en présence du représentant de la France, qui a tant aidé le P. Lagrange dans son œuvre comme aussi elle a toujours trouvé en lui un fils aimant et dévoué.

Cette inhumation au centre du chœur de notre basilique veut être d’abord un geste de piété filiale, un hommage à la mémoire du vénéré Fondateur de l’École biblique, un moyen de garder son souvenir bien vivant.

Sans doute ces pauvres ossements ne sont pas grand-chose, ces ossements qui ont été retrouvés enlacés dans les racines d’un cèdre. Sans doute le P. Lagrange est-il tout autre chose et présent d’une tout autre façon. Présent auprès de Dieu, dans l’union au Christ, nous en avons la confiance ; présent dons nos cœurs qui l’aiment et l’admirent ; présent par ses écrits et par son œuvre dans tant d’esprits qu’il a aidés à voir clair et à garder la foi.

Mais nous sommes des êtres sensibles et notre pensée a besoin d’appuis matériels. La présence de ses restes mortels, sous une dalle dont l’inscription évoque ce qu’il a été et ce qu’il a fait, rappellera sans cesse son souvenir vivant à ses jeunes frères qui prieront dans cette église, aux étudiants qui fréquenteront son École, aux visiteurs et aux pèlerins de Saint-Étienne qui aimeront associer à la mémoire du premier martyr celle d’un autre témoin de la foi.

Car ce vivant souvenir du P. Lagrange doit être riche d’enseignements pour ses fils, et le souci de mieux imiter ses exemples est une autre raison de cette inhumation qui va concrétiser davantage sa présence parmi nous.

Je ne puis tenter ici un panégyrique en règle de ses vertus. Ce n’est ni possible ni nécessaire. Au fait, n’avons-nous pas à présent dans les mains ces souvenirs qui viennent d’être publiés et qui nous découvrent de façon si émouvante les ressorts secrets de son âme et de sa vie ?

Laissez-moi seulement évoquer rapidement trois traits qui me paraissent particulièrement saillants et que je souhaiterais voir gravés en nos mémoires comme le fruit précieux de cette cérémonie.

D’abord son zèle apostolique. On est frappé, en contemplant sa vie et en relisant ses souvenirs, par ce souci qui inspire toutes ses démarches de servir Dieu en travaillant au salut de ses frères. C’est pour cela qu’il a sollicité le sacerdoce et revêtu la livrée de saint Dominique. Rien chez lui d’un dilettante ni d’un pur savant qui veut satisfaire sa soif de connaître. S’il étudie, s’il enseigne, c’est uniquement au service de la Vérité, selon la devise de son Ordre, et de cette Vérité telle qu’elle nous est révélée par Dieu lui-même, dans cette Parole des Saintes Écritures qui a été la passion de toute sa vie. S’il a tant aimé cette Parole et tant écrit sur elle, ce fut avant tout et toujours pour aider les hommes à l’entendre et à trouver Dieu.

Cette Vérité, il l’a recherchée et communiquée avec une foi aussi forte et profonde qu’intelligente et éclairée. C’est le deuxième trait que je veux évoquer. Chacun sait quelle intelligence déliée et critique fut la sienne. Il suffisait de le rencontrer, et maintenant encore il suffit de le lire, pour s’en rendre compte aussitôt. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que cette raison exigeante, affamée de garantie scientifique, de rigueur dans la connaissance, s’est toujours alliée chez lui à une foi ardente, forte et simple qui guidait toutes les démarches de sa pensée. S’il a réussi mieux que d’autres à renouveler l’exégèse catholique par l’usage de la méthode historique sans ruiner les vérités de la doctrine mais en les fortifiant au contraire de toutes manières, c’est qu’il n’a jamais admis le divorce fatal de la raison et de la foi. Toujours les efforts de sa recherche critique ont été guidés et assurés par cet abandon à la Parole et à l’Esprit, qui seul procure la vraie lumière.

Il n’a pu le faire que parce qu’il a été humble et obéissant. C’est le troisième trait que je veux souligner Je ne pense pas seulement à cette humilité devant ses frères, même bien inférieurs, qui rendait son commerce si agréable, ni seulement à cette obéissance à l’égard de ses supérieurs qui le maintenant comme un enfant docile entre leurs mains. Je pense à cette humilité de l’esprit et à cette obéissance intérieure qui lui a donné de se soumettre sincèrement et pleinement au magistère de l’Église et de supporter sans se plaindre tant de faux soupçons dont sa bonne foi a été l’objet. Chacun sait les durs combats qu’il a dû mener. S’il a triomphé des oppositions mal fondées et s’il a toujours suivi les directives de l’Église, sans rien abdiquer certes de la vérité telle qu’il la voyait, mais en cherchant seulement à la mieux voir, c’est qu’il fut plus qu’intelligent et savant : il fut doux et humble de cœur.

Telles sont les grandes leçons qu’il nous laisse. Tels sont les exemples que nous aurons à cœur de suivre. Groupés dans la prière autour de son tombeau, assurés qu’il est encore parmi nous et prie avec nous, nous prierons avec lui, pour que Dieu nous accorde, à nous ses modestes disciples, à tous nos confrères dans le champ des Saintes Écritures, à tous les fils de l’Église, de surmonter comme il l’a fait les crises de la foi, qui sévissent encore de nos jours, et de travailler comme lui honnêtement, lucidement, courageusement, humblement, au service e la Parole. Il a dit de lui sur son mémento mortuaire : « fils de l’Église qu’il aurait voulu servir ».

Cher Père Lagrange, vous avez réellement bien servi notre Mère l’Église, et votre Mère l’Église l’a officiellement reconnu, obtenez-nous par vos prières de la servir, à notre tour, pour la gloire de Dieu le Père dans la lumière du Fils et la puissance de l’Esprit. Amen.

 

Écho de notre Page Facebook : juin 2025

24 juin 2025

Nativité de saint Jean Baptiste (saint Luc 1, 57-66.80)

Marie-Joseph Lagrange, O.P. Extrait de L’Évangile de Jésus-Christ avec la Synopse évangélique, Artège, 2017. P. 52-58.

Lc 1. 57 Quant à Élisabeth, le temps fut révolu où elle devait accoucher, et elle enfanta un fils. 58 Et ses voisins et ses parents apprirent que le Seigneur avait signalé sa miséricorde envers elle, et ils se réjouissaient avec elle.

59 Et puis le huitième jour, ils vinrent pour circoncire l’enfant, et ils l’appelaient du nom de son père Zacharie. 60 Et sa mère, ayant pris la parole, dit : « Non, mais il s’appellera Jean. » 61 Et ils lui dirent : « Il n’est personne dans ta parenté qui s’appelle de ce nom. » 62 Alors ils faisaient des signes à son père [pour savoir] comment il voulait qu’il s’appelât. 63 Et ayant demandé une petite tablette, il écrivit pour dire : « Jean est son nom. » Et tous de s’étonner. 64 Or aussitôt sa bouche s’ouvrit, et sa langue, et il parlait, bénissant Dieu.

65 Et tous leurs voisins furent saisis de crainte ; et dans toute la montagne de Judée, toutes ces choses étaient l’objet des entretiens. 66 Et tous ceux qui en avaient entendu parler y prenaient garde en leur cœur, en se disant : « Que sera donc cet enfant ? »

Et, en effet, la main du Seigneur était avec lui.

Le temps révolu, Élisabeth eut un fils. La nouvelle se répandit d’autant plus rapidement qu’elle était demeurée plus longtemps cachée dans une maison isolée, la présence de Marie dispensant Élisabeth de sortir pour pourvoir aux nécessités de sa maison. Ce fut une joie générale parmi les parents et les amis. Le huitième jour, on vint pour circoncire l’enfant. C’était le jour fixé par la Loi, et si formellement que les rabbins autorisaient ce léger travail même le jour du sabbat. Par la circoncision un enfant entrait dans la communauté spirituelle d’Israël, il contractait avec Dieu une sorte d’alliance, il était déjà initié à son culte. Aussi était-ce le moment de lui donner un nom, d’autant que le plus souvent le nom exprimait une louange à Dieu ou reconnaissait ses bienfaits, même dans l’humble événement d’une naissance. Il est assez étrange que les voisins, s’accordant voix au chapitre, aient proposé le nom de Zacharie, car on donnait plus volontiers à un fils le nom de son grand-père que celui de son père, pour éviter les quiproquos. Mais Zacharie étant très âgé, on se disait sans doute que la confusion ne serait pas longtemps à craindre. On agissait d’autant plus librement que, le principal intéressé étant muet, on ne songeait pas à prendre son avis. Mais Élisabeth intervint. Elle avait son droit comme mère. Dans l’antiquité patriarcale, c’étaient même Rachel et Lia, aussi les autres femmes de Jacob, qui avaient assigné des noms à leurs enfants. Élisabeth déclara nettement que l’enfant s’appellerait Jean. Les commères n’en voulaient pas démordre : Personne ne porte ce nom dans ta famille ! Enfin on s’avisa, avec force gestes, comme s’il était sourd, de consulter le père. Ce prêtre savait écrire, et peut-être avait-il ainsi renseigné Élisabeth. Il demanda une de ces tablettes en bois recouvertes de cire où l’on écrivait avec un poinçon. Il y mit seulement : Jean est son nom. Le cas était jugé et sans réplique. Après cet acte de foi et d’obéissance, sa langue fut déliée, et il parla, bénissant Dieu avec plus de sentiment encore que les autres.

Enfin son silence était rompu ! Que de questions sur son mutisme, sur cette vision qu’il avait eue dans le Temple, sur ce qu’elle avait fait pressentir de cet enfant du miracle ! La curiosité, satisfaite pour le passé, se faisait plus vive pour l’avenir, mais avec un accent d’espérance : Que sera donc cet enfant, sur lequel s’étendait si visible la main du Seigneur ?

67 Et Zacharie son père fut rempli de l’Esprit Saint, et prophétisa, disant :

I

68 Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël,

parce qu’il est venu parmi nous, qu’Il a opéré la délivrance de son peuple,

69 Et qu’Il nous a suscité une corne de salut,

dans la Maison de David, son serviteur.

70 Comme Il l’avait dit par la bouche

de ses saints prophètes d’antan :

71 Pour nous sauver de nos ennemis,

et de la main de tous ceux qui nous haïssent,

72 Faire miséricorde à nos pères,

et se souvenir de sa sainte alliance,

73 Du serment qu’Il a juré

à Abraham, notre père,

Afin de nous permettre, 74 exempts de crainte,

délivrés des mains de nos ennemis,

De le servir 75 en sainteté et justice,

en sa présence, durant tous nos jours.

II

76 Et toi-même, petit enfant,

tu seras nommé prophète du Très-Haut ;

Car tu marcheras devant la face du Seigneur,

pour préparer ses voies,

77 Afin de donner la connaissance du salut à son peuple,

en la rémission de leurs péchés,

78 Ensuite de la miséricorde du cœur de notre Dieu,

qui l’amènera parmi nous, Astre levé d’en haut,

79 Pour éclairer ceux qui sont assis

dans les ténèbres et l’ombre de la mort,

Afin de mettre nos pieds dans le bon chemin,

sur la voie de la paix. »

80 Or l’enfant croissait et se fortifiait en esprit, et il était dans les déserts

jusqu’au jour de sa manifestation à Israël

Zacharie exprima toute cette joie et ces aspirations dans un cantique, et c’est le Benedictus que les clercs récitent chaque jour à l’office de Laudes, au moment où l’aurore apparaît. L’heureux père a été mis au courant des espérances de Marie. Sa présence, à elle seule, était pour lui une lumière qui a grandi avec la naissance de Jean, avec les confidences ravies d’Élisabeth. Aussi, entrant dans l’esprit qui sera celui de son fils, dans l’esprit d’Élisabeth inclinant son bonheur devant la dignité plus haute de Marie, il ne pense d’abord qu’à ce salut déjà commencé dans la maison de David, selon la promesse faite aux anciens prophètes, selon l’alliance et le serment juré à Abraham. Comme tous les enfants d’Israël, il escompte leur délivrance des ennemis qui les haïssent, mais pour lui ce repos ne sera que la condition la meilleure pour servir Dieu dans la justice et la sainteté.

C’est seulement après avoir ainsi béni Dieu de la venue du Fils de Marie en s’unissant à ses pensées, que Zacharie s’adresse enfin à ce petit enfant qui lui a été donné et qui sera le Prophète du Très-Haut, bien plus, qui préparera ses voies. Les voies de Dieu ce sont les voies du Messie, Jean devant précéder celui qui à la fois sera l’envoyé de Dieu, et agira comme Dieu lui-même. Désormais l’espérance de la délivrance politique s’efface dans une lumière nouvelle, comme si les vrais ennemis n’étaient autres que les offenses à Dieu. Ce sera le ministère de Jean d’annoncer le salut par la rémission des péchés, en suite de la miséricorde du Cœur de Dieu, qui fera apparaître parmi les hommes un astre levé dans les hauteurs. Les hommes, même au pays d’Israël, sont assis dans des ténèbres épaisses, attendant la lumière du jour pour se mettre en marche. Le Messie leur indiquera le bon chemin, celui de la paix, où ils trouveront le salut.

Ainsi le cantique se termine comme il avait commencé : le Fils de David apparaît sous les traits d’un être divin, dont Jean ne sera que le précurseur.

En attendant qu’il fût manifesté à Israël, l’enfant croissait, et la force de l’Esprit s’emparait de lui de plus en plus. Elle le poussa au désert pour le préparer à sa mission.

Ces quelques mots de saint Luc ne suffisent pas à ceux qui aimeraient associer des influences humaines à cette action de l’Esprit. On a imaginé que, dans son adolescence, Jean avait été initié aux doctrines et aux pratiques de ces exilés volontaires, vivant cependant en communautés sur les bords de la mer Morte, les Esséniens.

Sans rompre avec le judaïsme, ils avaient été touchés par la contagion de la pensée grecque. L’antique doctrine de Pythagore semblait revivre. Prêchant avec force la supériorité de l’âme sur le corps, de l’esprit sur la matière, les Esséniens regardaient la mort comme la délivrance de l’âme et ne se souciaient pas d’occasionner la chute des âmes dans des corps en engendrant des enfants.

Jean aurait été formé à cette discipline de l’esprit, à cet ascétisme et à des purifications incessantes[1]. Mais toute la vie du Baptiste, nous le verrons, proteste contre cette intrusion d’une philosophie étrangère. L’Esprit qui l’animait était celui de la Loi, quoique son rôle, celui du dernier des prophètes, ait été d’orienter les âmes vers un plus grand que lui.

18 juin 2025

Un exégète en quête de Dieu

Ce que l’on peut appeler le Journal spirituel du Père Lagrange permet de découvrir comment celui qui fonda l’École biblique a vécu son métier d’exégète catholique de la Bible et comment lui, dont la méthode historique allait à contre-courant de l’interprétation alors usuelle des Écritures sacrées, a fait face aux directives imposées en ce domaine par Rome.

Dès le départ de sa vie religieuse, durant le noviciat à Saint-Maximin en 1878-1880, alors que se manifestait déjà son goût passionné pour la Bible, tandis que rien ne semblait encore le destiner à une carrière scientifique d’exégète, le Père Lagrange se révèle, dans quelques notations, en quête de la sagesse divine, celle qui porte un nom propre, Jésus, celle à laquelle conduit la Mère de Dieu :

Daignez, ô Mère de la Sagesse, instruire vos enfants : votre conversation n’a pas d’amertume, votre discipline est douce, vos leçons forment l’esprit et le cœur (17.11.79).

Sainte Mère de Dieu, Marie Immaculée, daignez me donner la Sagesse, votre Fils Jésus : la Sagesse d’où procède l’amour ; mais préservez-moi de la science qui enfle (21.11.79).

Le maître est à l’intérieur ; que de fois n’ai-je pas reconnu la supériorité de ce qu’il enseigne sur ce qu’on apprend, et encore [sur] ce qu’on voit dans les livres. C’est lui qui l’enseigne : il faut l’écouter, il ne faut pas désespérer d’avance d’entendre sa voix ; la science qu’il donne est sûre, profonde, savoureuse, c’est la Sagesse. Ô bon Jésus, ô ma Mère Immaculée (18.1.80).

Ô mon Jésus, ma Sagesse, ne me quittez pas… Donnez-moi, ô Marie, votre Fils, la Sagesse, ut mecum sit et mecum laboret [Sg 9, 10 : « afin qu’elle soit et qu’elle travaille avec moi »] (15.9.80).

Ferveur de novice, dira-t-on. Soit, – encore qu’elle n’émane pas d’un adolescent exalté mais d’un homme de vingt-cinq ans, mûr comme on l’était jadis à cet âge. Elle n’a cependant rien d’éphémère puisque, une quarantaine d’années plus tard, on en retrouve l’écho dans une résolution de retraite :

L’espoir de recevoir de Marie le lait de la sagesse divine, de la connaissance de Jésus, vaut bien que je renonce à la lecture des romans. J’y renonce. Vanum est vobis ante lucem surgere [Ps 126, 2 : « c’est en vain que vous vous levez avant le jour »] (26.9.21).

Voir  : https://www.mj-lagrange.org/?p=4280

 

15 juin 2025

Solennité de la Trinité (Jean 16, 12-15)

Il y a le haut, il y a le bas

Il y a la droite, il y a la gauche.

Il y a le ciel, il y a la terre.

Un bout du monde, et l’autre bout du monde.

De haut en bas,
et de bas en haut,
la Croix unit les hommes à Dieu.

D’un bout du monde à l’autre bout du monde,
la Croix unit les hommes entre eux.

Quand je fais sur moi le signe de la Croix,
c’est tout(e) entier(e) que je me présente devant toi.

((https://catechese.catholique.fr/outils/conference-contribution/301015-signe-de-croix-gestuation/)

 

Le rôle du Saint Esprit. Le retour prochain, la foi des disciples

L’Esprit ayant été promis pour assister les Apôtres, et aussi pour les consoler du départ du Christ, l’Église a entendu son nom de Paraclet, littéralement Assistant ou Défenseur, dans le sens voisin de Consolateur. Il est surtout Assistant pour l’autorité ecclésiastique enseignante, et surtout Consolateur de tous comme l’hôte très suave de chaque âme.

Tout ce que Jésus venait de dire avait sa portée dans la perspective indéfinie entre son départ et le moment de la réunion dans l’éternité. Cependant un bonheur plus prochain était réservé aux Apôtres, sur lequel il voulut insister pour les soutenir dans l’épreuve toujours instante : « Encore un peu, et vous ne me voyez plus, et derechef encore un peu et vous me verrez. »

Cette annonce de la résurrection n’était pas nouvelle. Cependant, elle ne fut pas comprise des Apôtres qui ne savaient comment concilier : « encore un peu », avec le terme du voyage vers le Père, qui apparaissait lointain. Ils disaient donc : « Qu’entend-il par encore un peu ? Nous ne savons pas ce qu’il veut dire. » Il voulait surtout soutenir leur foi. La trahison, le procès, le crucifiement, les sarcasmes satisfaits des Juifs, allaient les submerger dans la tristesse. Mais il en était de ces douleurs comme de celles de la femme qui enfante, suivies d’une grande joie. Jésus reviendra vers ses disciples, ils le verront, le cœur dilaté. Il les entretiendra du Père ouvertement.

Puis de nouveau les temps s’étendent sans limite, le jour de la joie se prolonge et vient le jour de la prière au nom de Jésus qui trouve accès auprès du Père, sans que désormais il ait à intervenir, parce que son Père aime ceux qui ont cru en son Fils. C’est bien maintenant la séparation définitive – sur cette terre – qu’il faut envisager. Toute la carrière humaine de Jésus se résume en ces mots : « Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde ; je quitte le monde et je vais vers le Père. »

Cette parole était si nette – l’arrière-plan invisible lui-même paraissant illuminé par la clarté des termes –, que les disciples crurent avoir compris. Ne prenant pas garde que leur Maître avait remis à plus tard plus de lumière, constatant seulement que sa déclaration n’était mêlée d’aucune comparaison ou parabole, ils essayent de prouver qu’ils voient clair en répétant ce dont ils étaient certains : « Nous croyons que vous êtes sorti de Dieu. » Leur bonne volonté était entière, mais leur courage allait fléchir. Jésus les en avertit[2] : « Vous serez dispersés chacun chez soi, et vous me laisserez seul. » Mais il n’est jamais seul, étant toujours avec le Père, et ainsi il est sûr de la victoire, il la tient déjà. Le dernier mot est d’avoir confiance en lui quoi qu’il en coûte.

(Extrait d’un commentaire du père Lagrange dans l’Évangile de Jésus Christ avec la synopse évangélique, Artège, 2017. P.564.)

10 juin 2025 Jour-Anniversaire de la naissance au ciel du P. Lagrange

Le P. Lagrange, un bon ouvrier de la Parole de Dieu,

Grand serviteur de notre Mère l’Église

C’est ainsi que le décrit le père Pierre Benoit, O.P. (1906-1987), Directeur de l’École biblique de

P. Pierre Benoit o.p.

Jérusalem de 1964 à 1972, dans les paroles prononcées, le 13 novembre 1967, à l’occasion de l’inhumation de ses restes, à Jérusalem. Un homme d’un grand zèle apostolique, de sa foi aussi forte et profonde qu’intelligente et éclairée, de son humilité et de son obéissance. Plus qu’intelligent et savant : il fut doux et humble de cœur.

Texte entier : https://www.mj-lagrange.org/?p=16148

8 juin 2025

Solennité de la Pentecôte

L’Esprit Saint, le grand ami (Jean 14, 1-27)

Comme un ami, chargé par ses amis de leur procurer un logement au terme de l’étape, part en avant, ainsi Jésus se rend dans la maison de son Père, où il y a beaucoup de demeures ; il le sait, puisqu’il va leur préparer des places. Puis il reviendra et les ramènera pour être avec eux. Et cependant il faut qu’ils sachent le chemin. Thomas hésite ; il entend tout cela d’un départ ordinaire : où donc exactement se rend Jésus ? Et si l’on ignore où, comment connaître la voie ? – La voie, il venait de le leur dire, c’était la foi en lui, qui est la voie, puisque c’est par lui qu’on connaît le Père. Et puisque ce chemin est une voie de l’intelligence, on le suit en appréhendant la vérité, et il est la vérité. Et cette vérité est la vie de l’âme, toujours en lui, car il est la vie. Ses disciples l’ont vu, ils ont donc déjà vu le Père.

Ils l’ont vu, mais dans l’obscurité de la foi qui leur dit que le Fils est le même que le Père. Philippe souhaiterait davantage : « Seigneur montrez-nous le Père, et cela nous suffit. » Mais la vision parfaite est réservée à l’éternité. Philippe doit se contenter de croire, ce que dans le dernier entretien de la Dédicace, Jésus avait déjà révélé aux Juifs, et qu’il énonce maintenant plus clairement : « Ne crois-tu pas que je suis en le Père et que le Père est en moi ? » Cette parole étonnante, et où les Juifs réprouvaient un blasphème, est aussi l’affirmation du Père demeurant en Jésus. Car si la meilleure raison de croire est sa parole, du moins ne peut-on récuser le témoignage des œuvres, des miracles qui sont en lui l’œuvre du Père.

Cette foi, dans les disciples, ne doit point être inactive. Des fidèles ne doivent point se troubler ; bien plus, ils devront agir, et leur Maître leur donnera les secours nécessaires ; c’est la seconde exhortation.

Leur meilleure ressource sera la prière, toujours exaucée, parce que les disciples prieront le Père au nom de Jésus, et telle est l’unité du Père et du Fils, que le Fils fera ce qu’ils demanderont, l’ordre étant désormais que le Père soit glorifié dans le Fils. Et celui qui aura la foi, armé de cette prière, fera les mêmes œuvres que Jésus, et même de plus grandes. En effet, il n’est pas sorti du pays d’Israël, et il les envoie pour convertir les gentils.

Pour cette œuvre l’amour de Dieu aussi est nécessaire, l’amour qui garde les commandements. La foi seule ne serait pas un appel suffisant au don que la prière de Jésus obtiendra du Père, celui du Paraclet, défenseur, protecteur, grand ami, qui n’est autre que l’esprit de vérité. Celui-ci assistera les disciples dans leurs voies comme la lumière, en chassant les ténèbres paralysantes, rend la confiance de marcher et d’agir. Mais cette lumière est intérieure. Le monde n’en reçoit pas le bienfait, parce qu’il regarde au dehors, où l’on ne saurait la percevoir ; les disciples en jouiront, parce qu’ils la trouveront au-dedans d’eux-mêmes.

Jésus lui-même viendra à eux. Le monde ne le verra pas, sa vie étant une vie spirituelle, mais les disciples vivant de la même vie le verront, et ils connaîtront le secret de cette union qui les rattache au Père : Jésus en eux, eux en lui, et lui en son Père.

(Extraits de L’Évangile de Jésus Christ avec la synopse évangélique. Artège 2017, pp. 553-556, par Marie-Joseph Lagrange O.P.)

 

5 juin 2025

Qu’ils deviennent parfaitement un (Jean 17, 26)

Que pèsent à l’encontre de ce vœu de Jésus les amours-propres blessées, les orgueils récalcitrants, causes ordinaires des schismes, les préjugés héréditaires, ou même certains scrupules de faux nationalisme qui les perpétuent ? Mais qui ne voit que cette union s’élève bien au-dessus d’un vague sentiment de solidarité humaine ou chrétienne, et que c’est une unité dans la foi ? Seigneur Jésus, que votre prière soit exaucée !

C’est à ceux qui ont gardé l’unité que Jésus promet enfin d’être encore unis à lui dans la gloire que le Père lui a donnée par son décret éternel.

Sûr d’avoir accompli sa mission, Jésus fait maintenant appel à la justice du Père. Il la continuera d’une façon plus secrète, afin, dit-il à son Père, « que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux ».

Extrait d’un commentaire du P. Marie-Joseph Lagrange dans L’Évangile de Jésus Christ avec la synopse évangélique, Artège, 2017, p. 568.

Écho de notre Page Facebook : mai 2025

22 mai 2025

« Demeurez dans mon amour pour que votre joie soit parfaite »

Évangile selon saint Jean (15, 9-11)

9 Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez en mon amour. 10 Si vous observez mes commandements, vous demeurerez en mon amour, de même que moi j’ai observé les commandements de mon Père et je demeure en son amour. 11 Je vous ai dit cela, afin que ma joie soit en vous, et que votre joie soit entière.

Le père Lagrange commente :

(9) Qu’était-ce que demeurer en Jésus ? C’était demeurer dans son amour, dans l’amour dont il aime ses disciples comme le Père l’a aimé. Cet amour du Père pour ses Fils a toujours été exprimé jusqu’ici par le présent ; il le sera par l’aroiste. Dans notre verset il ne s’entend pas de l’amour du Père pour le Fils quand il l’engendre pour l’éternité, puisqu’il va être question de l’obéissance du Fils, mais de l’amour du Père. D’une semblable manière Jésus aimé ses disciples avant de les choisir. Ils n’ont qu’à demeurer dans cette charité qui est la sienne et non la leur, comme on le verra mieux au v. suivant. D’ailleurs « demeurer » se comprend mieux de la charité qui a été la première (Jean 4, 10 ss).

(10) L’amour de Jésus se modèle en quelque sorte sur celui du Père : la fidélité des disciples à demeurer sous cet influx divin devra se modeler sur le Fils : comme il a observé les commandements de son Père, ils devront observer les siens. On voit bien que la charité du Père pour le Fils obéit en tant qu’homme. Cyrille (appelé Constantin le Philosophe, né vers 827 ou 828 à Thessalonique et mort le 14 février 869 à Rome, et son frère Méthode, évêque de Sirmium né entre 815 et 820 à Thessalonique et mort le 6 avril 885 en Grande-Moravie, sont connus comme « les Apôtres des Slaves », c’est-à-dire ceux qui ont évangélisé les peuples slaves de l’Europe centrale. On leur attribue la conception de l’alphabet glagolitique) toujours préoccupé de maintenir dans le Christ l’unité du sujet agissant fait commencer sa docilité avant même l’Incarnation, dans le désir d’accomplir les desseins de son Père, qu’il regarde comme des commandements. Il va sans dire que cette obéissance est continuelle et provoque un nouvel amour du Père (Jn 10, 17).

(11) Le Christ aime comme il est aimé ; ses disciples obéiront comme il obéit ; à cette condition ils demeureront dans l’amour comme lui. Pourquoi cette confidence ? Pour les faire aussi participer à sa joie. C’est pour cela qu’il a dit ces choses des vv. 9 et 10, car rien ne cause autant de joie que d’être aimé, et ils savent désormais qu’ils sont aimés. L’analogie arrive ici à son terme, et l’intimité aussi, car c’est la propre joie du Christ, heureux de l’amour de son Père, qui sera dans ses disciples, de sorte que la joie dont ils sont capables sera à son comble. La joie dilate ; le cœur éprouve un sentiment de plénitude dans le bonheur.

Extrait de l’Évangile selon saint Jean, col. Études bibliques, éd. Lecoffre-Gabalda, 6e édition, 1936.

10 mai 2025

Amis de l’association des amis du père Lagrange

Vous le savez, le rayonnement de la vie et de l’œuvre du père Lagrange traverse les frontières et rejoint les cinq continents.

Comme annoncé, le 10 de chaque mois, Fr. Manuel Rivero o.p., vice-postulateur et président de l’association, célèbre la messe, pour vous, et pour la cause de béatification du père Marie-Joseph Lagrange. Que cette cause soit enfin publiquement reconnue après la reconnaissance d’un miracle.

 

 

 

 

8 mai 2025

 

 

 

 

 

 

 

 

 

6 mai 2025

« C’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel » (Jean 6,32).

Le commentaire du P. Lagrange dans l’Évangile de Jésus Christ avec la synopse évangélique, Artège-Lethielleux, 2017, p. 252.

Pour en venir là, il ne suffisait pas d’alléguer un miracle inférieur en somme à ce qu’avait fait Moïse, en donnant au peuple un pain venu du ciel. Les pains d’orge n’étaient pas venus du ciel ! Ils n’étaient pas venus du ciel des nuées, comme la manne. Mais il importait peu, en vérité. Le vrai pain du Ciel est celui qui sort d’auprès de Dieu et par conséquent celui qui est envoyé par Dieu. Moïse n’a pas juridiction dans cette sphère ; c’est le Père seul, le Père de Jésus, qui peut donner la vie au monde en lui donnant ce pain.

La pensée a franchi un degré. Le Fils de l’homme donnait le pain, c’est-à-dire la doctrine ; il est maintenant l’élément vital. La Loi avait déjà été comparée au pain, à l’arbre de vie : cette comparaison allait de soi. L’autre est plus difficile à entendre.

Écho de notre page Facebook : avril 2025

29 avril 2025

Sainte Catherine de Sienne (1347-1380). Tertiaire dominicaine. Mystique ardente et militante de la sainteté de l’Église. Docteur de l’Église. Sainte patronne de Rome et de l’Italie. Sainte patronne de l’Europe.

Le P. Lagrange note dans son Journal spirituel, Cerf. 2014.

Chercher partout la divinité de N.S.

Prière de Ste Catherine pour les peines de l’esprit :

« Mon Seigneur, je reconnais que je suis indigne de la paix et

du repos d’esprit dont jouissent vos autres serviteurs ;

conservez-moi seulement une bonne et sainte volonté,

afin que je ne vous offense jamais. »

Prière, recueillement, fidélité à la grâce dans les détails.

 

22 avril 2025

Le pape François, fils spirituel du père Pedro Arrupe S.J. (+1991) et ami spirituel du père Marie-Joseph Lagrange O.P. (+1938)

Le Pape François a suivi les traces de son maître spirituel, le père Pedro Arrupe S.J. Le père Arrupe exerça avec amour son ministère d’aumônier de prison aux Etats-Unis notamment auprès de la population hispanique. Le pape François a privilégié ses visites évangéliques dans les prisons non seulement en Argentine mais en Italie et dans le reste du monde lors de ses voyages pontificaux.

Le père Pedro Arrupe, médecin de formation, exerça son apostolat au Japon. Jeune jésuite, le pape François exprima son désir de partir missionnaire au Japon mais ses supérieurs l’en dissuadèrent à cause de ses problèmes de santé.

Devenu supérieur général de la Compagnie de Jésus, le père Pedro Arrupe donna une forte impulsion au Service des réfugiés. En bon disciple, le pape François a toujours plaidé pour le respect de la dignité des réfugiés et pour l’accueil des immigrés.

C’est le père Arrupe qui a nommé le pape François maître des novices et provincial pendant son itinéraire jésuite en Argentine.

Nous comprenons sans peine l’attachement du pape François à la cause de béatification en cours du père Pedro Arrupe S.J.

Par ailleurs, le pape François connaissait et il estimait le père dominicain, Marie-Joseph Lagrange, fondateur de l’École biblique de Jérusalem en 1890. Apprenant les souffrances et les dangers pour la santé de son ami, le frère Timothy Radcliffe O.P., ancien Maître de l’Ordre des prêcheurs, le pape François confia à la prière du père Lagrange l’opération chirurgicale grave qu’il devait subir.

Prophètes, le père Lagrange et le père Arrupe ont occupé une place de choix dans le cœur du Pape François. Par la miséricorde divine, il les a rejoints maintenant au Ciel.

Fr. Manuel Rivero O.P.

Vice-postulateur de la cause de béatification du père Lagrange O.P.

Saint-Denis/La Réunion, le 22 avril 2025.

 

20 avril 2025

Dimanche de Pâques

Christ est ressuscité ! Alleluia !

Saint Pierre et saint Jean au Saint Sépulcre

« Il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts »

Jn 20. Pierre sortit donc et aussi l’autre disciple. Et ils se rendaient au tombeau. Or tous deux couraient ensemble. Et l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. Et se penchant il voit les bandelettes gisantes ; cependant, il n’entra pas. Arrive donc aussi Simon-Pierre, qui le suivait. Il entra dans le tombeau. Il contemple les bandelettes gisantes et le suaire qui était sur sa tête, non pas gisant avec les bandelettes mais roulé séparément dans un endroit. Alors donc l’autre disciple entra aussi, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Et il vit. Et il crut. – Car, ils ne comprenaient pas encore par l’Écriture qu’il devait ressusciter des morts.

Pierre et [Jean] étaient probablement ensemble lorsque Marie de Magdala leur avait porté la fatale nouvelle de l’enlèvement du corps. Ils partirent aussitôt. Très affectés, tous deux couraient. Jean, plus jeune, courut plus vite que Pierre et arriva donc le premier. Cependant il n’entra pas sûrement par égard pour son compagnon. Il se pencha seulement et vit au-delà de la petite antichambre les bandelettes gisantes. Pierre qui le suivait entra résolument jusque dans le tombeau. Il vit lui aussi et plus nettement les bandelettes, ce qui prouvait bien qu’on n’avait pas enlevé le corps, car on l’eût pris tel quel. Et, fait plus étonnant encore, le linge qu’on avait placé sur la tête n’était pas mêlé aux bandelettes en désordre ; il était roulé seul à part. L’autre disciple entra et vit la même chose. Tous deux gardèrent le silence, saisis et recueillis, et n’échangèrent pas leurs impressions. Saint Jean dit seulement que dès lors il crut que Jésus était ressuscité, et ce fut sûrement aussi la conviction de Pierre. Jusqu’à ce moment ils n’avaient pas compris d’après l’Écriture que le Christ devait ressusciter. Il l’avait cependant annoncé lui-même à tous ses Apôtres. Mais l’événement leur paraissait tellement improbable que seule l’évidence du fait eut le pouvoir de les convaincre, et il leur apparut alors que cette consécration suprême du Messie avait été prédite (Isaïe 53,11).

Commentaire de P. Marie-Joseph Lagrange o.p. dans l’Évangile de Jésus Christ avec la synopse évangélique. Artège-Lethielleux 2017, pp.629-630.)

13 avril 2025

Dimanche des Rameaux et de la Passion

Et comme il s’approchait déjà de la descente du mont des Oliviers, toute la troupe des disciples transportés de joie se prirent à louer Dieu d’une voix forte pour tous les miracles qu’ils avaient vus, disant : « Béni soit celui qui vient, lui le Roi, au nom du Seigneur ; paix dans le ciel, et gloire dans les hauteurs ». (Luc 19, 37)

Commentaire du père Marie-Joseph Lagrange, o.p. dans l’évangile selon saint Luc : […] Luc introduit ici comme une pause, qui permet de donner aux paroles de la foule le caractère d’un cantique pour rendre gloire à Dieu. Cette pause laissera aux Pharisiens le temps d’intervenir, et fixera aussi la situation de la Lamentation sur Jérusalem. […]  Par opposition aux Pharisiens qui vont paraître, ceux qui figurent ici sont tous des disciples ; ils ont été entraînés par les miracles de Jésus, ils y ont vue l’action de Dieu, et ils lui en rapportent la gloire à haute voix. (cf. également  Luc Ap 19, 5 et Rm 15, 11 – citation.)

 

10 avril 2025 Jour-anniversaire du retour au Père de Fr. Marie-Joseph Lagrange, dominicain, fondateur de l’École biblique et archéologique de Jérusalem

Amis et adhérents réunis par la prière pour demander, par l’intercession du P. Lagrange, l’amélioration de la santé du Saint-Père François, notre demande de grâce personnelle et le bon rétablissement de notre président victime du Chikungunya.

Prions ensemble.

 

 

6 avril 2025 : La femme infidèle (Jn 8, 1-11)

Méditation (extrait) du P. Marie-Joseph Lagrange sur l’Évangile de ce jour.

Or, un jour, il [Jésus] fut interrompu par l’invasion d’un groupe tumultueux. On avait surpris une femme en flagrant délit d’adultère, et on l’avait conduite aux scribes et aux Pharisiens, laissant à leur zèle le soin de poursuivre le châtiment par les voies légales et devant le tribunal compétent. Le flagrant délit paraissait même justifier une exécution sommaire. De toute façon, l’occasion parut bonne de sonder les sentiments de Jésus. Il passait pour accueillir bénignement les pécheurs ; on le disait même leur ami. Oserait-il pardonner dans un cas si grave ? Suivis d’une foule surexcitée, les Pharisiens lui amènent la femme et lui exposent le cas. Assez naïvement ils découvrent leur intention secrète : « Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider de telles personnes. Toi donc, que dis-tu ? » La Loi n’était pas citée très exactement : elle condamnait à mort la femme coupable (Lv 20,10), mais n’infligeait la lapidation qu’à la fiancée infidèle (Dt 22,23s), et quelques-uns maintenaient une différence de peine. Cependant, la femme étant encore plus coupable que la fiancée, il était rationnel de lui appliquer à elle aussi le supplice le plus redouté. Aussi Jésus ne soulève-t-il aucune argutie. Mais il ne lui sied pas de se prononcer. Il n’est pas venu comme ministre d’un tribunal, obligé de condamner d’après la Loi, mais pour inviter les pécheurs à prévenir par la pénitence les jugements de Dieu. Affectant de demeurer étranger à une scène pénible, il s’était penché et écrivait du doigt sur la terre, comme pour passer le temps en attendant qu’on le laissât reprendre son enseignement, ou pour fixer par l’écriture quelques pensées. Comme il est écrit dans Jérémie (17,13) : « Ceux qui se détournent de moi seront inscrits sur la terre », saint Jérôme a pensé que Jésus écrivait les péchés des accusateurs. Ce rapprochement ingénieux suppléait au silence du texte et donnait satisfaction à la curiosité. Quelques-uns l’approuvent encore sans fondement, car les zélateurs ne se sentent pas compromis ; ils sont agacés seulement que Jésus déjoue leur calcul par une indifférence feinte, et ils insistent opiniâtrement. Il dit alors : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre. » Et en effet, c’était au dénonciateur à frapper le premier (Dt 13,10 ; 17,7).

Qu’un magistrat coupable, la honte au cœur, prononce une condamnation comme représentant de la Loi, c’est une conséquence de l’infirmité de toute justice humaine. Mais ces passionnés du droit strict auraient bien fait d’examiner leur conscience avant d’exercer tant de zèle. Les plus âgés se défient. Jésus aurait-il pénétré les secrets de leur cœur ? Leur a-t-il tendu un piège en se désintéressant si ostensiblement de la cause pour intervenir ensuite avec plus d’éclat ? Ils se défilent les premiers. Les autres justiciers en font autant. Jésus reste seul avec la femme et sans doute aussi ses disciples et quelques curieux. Il se redresse. Il interpelle la femme encore saisie d’épouvante. On voudrait l’entendre solliciter son pardon à genoux. Jésus lui dit : « Personne ne t’a condamnée ? » Toujours effarée, elle n’articule que les mots nécessaires : « Personne, Seigneur. » Jésus lui dit : « Moi non plus je ne te condamne pas », à cette mort affreuse de la lapidation. Mais il est un autre juge. Prends garde. « Va, désormais ne pèche plus. » La justice et la miséricorde se sont rencontrées. La justice ne consent pas à une absolution juridique qui ne tiendrait pas compte du caractère antisocial de la faute ; la miséricorde ne consent pas à condamner, parce qu’elle a lu le repentir dans ce cœur encore serré par l’effroi. Recommander le ferme propos, c’est supposer le repentir.

(L’Évangile de Jésus avec la synopse évangélique, éd. 2017 Artège-Lethielleux.)

Libérer pour aimer – Conférence par le fr. Manuel Rivero O.P.

« Libérés pour aimer », par le frère Manuel Rivero O.P.

Conférence de Carême. Cathédrale de Saint-Denis/La Réunion, le 26 mars 2025

« Ô Toi, l’au-delà de tout » . Toi, qu’aucune pensée ne peut concevoir. Toi, qu’aucun mot ne peut exprimer. Toi, silence des origines, source de la vie. Toi, au-delà du temps et de l’espace. Esprit créateur. Esprit invisible. « Tu es vraiment un Dieu caché ! » (Is 45,15).

Le Dieu Très-haut s’est abaissé. Dieu, que personne n’a jamais vu, s’est manifesté en Jésus de Nazareth, Fils de Dieu fait homme, né d’une femme juive, Marie. Dieu tout-puissant a voulu recevoir sa vie humaine d’une femme de notre humanité. Le Fils de Dieu s’est donné à l’humanité en recevant son humanité d’une femme, Marie. Fils de Dieu, devenu vulnérable, mendiant de l’accueil d’une jeune fille qui l’a porté dans son cœur et dans son sein ; femme d’Israël qui l’a conçu et préconçu dans sa foi et dans son espérance de la venue du Messie.

Un jour, à midi, près du puits de Jacob, Jésus a mendié de l’eau à une femme samaritaine : « Donne-moi à boire » (Jn 4, 7). Jésus a soif. Dans l’une des sept paroles prononcées sur la croix, Jésus a crié sa soif physique mais surtout sa soif de la conversion des hommes.

« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile », avons-nous entendu en recevant l’imposition des cendres au début du Carême. Conversion veut dire retournement, « faire demi-tour », changer de mentalité et de manière d’agir, se retourner et retourner son cœur à la manière dont un paysan retourne la terre sèche pour qu’elle reçoive l’eau et la lumière qui vont la rendre féconde.

En rencontrant Jésus, au bord du puits de Jacob, la vie de cette femme de Samarie a connu une conversion, un retournement. En évoquant son histoire conjugale, les paroles de Jésus ont provoqué un choc en cette femme qui s’est sentie rejointe par un grand prophète. Non par un donneur de leçons mais par le Messie, habité par le respect et l’amour.

Sur les lignes de fracture
Jésus s’est révélé en Samarie, lieu de passage entre la Galilée et Jérusalem. D’anciennes querelles religieuses opposaient les habitants de la Judée aux Samaritains. Lors de l’installation des colonies étrangères en Samarie par l’Assyrie au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, des cultes païens avaient remplacé l’adoration du Dieu vivant d’Israël. Parmi ces divinités païennes figuraient Nergal, dieu de la violence et de la mort.

Ce culte de la mort perdure aujourd’hui dans les guerres diaboliques qui entraînent des morts, des handicapés et des destructions.
L’avortement, désignée comme interruption volontaire de grossesse, fait disparaître des millions de vies chaque année. Par exemple, en Espagne, depuis la loi de 1985, ont eu lieu deux millions et demi d’avortements. Les relations humaines en pâtissent et le pays vieillit.

Les moyens de communication qui déversent chaque jour un grand nombre d’images de violence risquent de nous anesthésier face aux souffrances provoquées volontairement. Comme nous vivons chaque jour pendant des heures devant des écrans, nous sommes menacés de confondre le réel et le virtuel. Malheureusement certaines tragédies dans notre île de La Réunion le montrent. Des jeunes accomplissent des actes graves sans penser aux conséquences. On peut tuer pour voir ce que cela produit comme effet. On manque de respect envers des représentations religieuses en ignorant probablement la blessure morale profonde que ces atteintes aux symboles représentent. En un mot, nous devenons irresponsables et inconscients. La loi restant la loi, de dures sanctions tombent qui brisent l’existence des jeunes et des familles.

La Samarie, région de passage, annonce déjà la pâque de Jésus : passage de la mort à la résurrection, passage de la violence au pardon, passage de la haine à l’amour, passage de l’exclusion à l’inclusion.

Jésus choisit les lignes de fracture de l’humanité pour accomplir sa mission de réconciliation et de salut : lignes de rupture entre Samaritains et Judéens, entre le culte à rendre à Jérusalem et celui du mont Garizim, en Samarie.

À l’image de la croix avec ses deux bras, vertical vers Dieu le Père, et horizontal vers toute l’humanité, Jésus relie en sa Personne et avec Dieu et avec les autres. Jamais un homme sur la terre n’est allé aussi loin dans l’union avec Dieu ; jamais un homme n’a vécu une telle communion fraternelle. Par sa croix, Jésus agit à la manière d’un ascenseur qui élève vers Dieu le Père et en même temps, par ses bras étendus, il rassemble les hommes en son Corps total, le Christ total.

Nous comprenons sans peine l’étonnement de cette femme samaritaine quand Jésus non seulement lui adresse la parole mais il lui demande à boire. Les Juifs fuient les Samaritains et les Samaritains, qui se sentent méprisés par les Juifs, éprouvent du ressentiment envers ceux qui s’estiment meilleurs religieux et plus purs qu’eux.

Dans la parabole du bon Samaritain, Jésus bouleverse les convenances sociales de Jérusalem jusqu’à la provocation. Alors que le prêtre et le lévite de la parabole ignorent l’homme blessé par des brigands, un Samaritain réagit avec générosité envers cette victime qui gît au bord de la route.

Le bienheureux frère Pierre Claverie O.P., évêque d’Oran en Algérie, martyr le 1er août 1996, en compagnie de son chauffeur musulman Mohamed, a donné sa vie sur la ligne de rupture entre musulmans et chrétiens. Français, né en Algérie, parlant parfaitement l’arabe littéraire, dominicain de la Province de France, le frère Pierre a voué son existence au dialogue interreligieux. Théologien à la pensée lumineuse, le frère Pierre n’avait rien d’un philosophe relativiste mais il n’hésitait pas à affirmer : « J’ai besoin de la vérité des autres ». Chaque être humain cherche Dieu ; personne ne possède la vérité ; personne ne peut posséder Dieu. Ce n’est que dans la foi que les fidèles s’approchent du mystère du Seigneur afin de progresser dans la vérité par l’écoute de la Parole de Dieu, la prière et la charité fraternelle.

Les lignes de rupture sont en nous et autour de nous. Notre enfance porte des failles : fissures provoquées par l’injustice, l’abandon, la souffrance et le manque d’amour ; lignes de rupture dans les relations avec nos parents ; rêves disloqués ; échecs et frustrations.

Aujourd’hui, près de nous ou pas trop loin de nous, les conflits sociaux et militaires opposent des personnes et des nations au point de craindre une guerre mondiale par morceaux.

Sur la croix, Jésus a étendu ses mains transpercées pour unir les ennemis en seul Homme nouveau, en détruisant le mur de la haine afin de réconcilier tous les hommes en un seul Corps (cf. Ep 2, 14-17).

Les lignes de fracture sont diverses entre riches et pauvres, hommes et femmes, ignorants et savants … Élevé en croix, Jésus attire à lui tous les hommes par la puissance du pardon qui libère de la condamnation à mort qui concerne tous les hommes pécheurs. Chacun d’entre nous peut se considérer comme condamné à mort et amnistié par Jésus. Le Seigneur a annulé nos dettes en clouant sur la croix l’acte du jugement qui provoque notre chute.

Aujourd’hui, Jésus vient guérir nos blessures et unifier nos cœurs fissurés. À la suite de Jésus et à son exemple, Dieu nous appelle. Il veut que nous devenions des artisans de paix sur les lignes de fracture partout où nous sommes : famille, vie professionnelle, économique, politique et ecclésiale.

La prière, source d’eau vive
Là où ont régné des puissances de mort, Jésus apporte l’eau vive : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : ‘’Donne-moi à boire’’, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive ».

Cette femme, terre à terre, pense à l’eau du puits : « Tu n’as rien pour puiser et le puits est profond », autour de 10 mètres. Mais Jésus fait référence à une autre eau, l’eau vive, c’est-à-dire l’Esprit Saint qui donne la vie : « L’eau que je donnerai deviendra source d’eau jaillissant en vie éternelle ».

La source de la vie éternelle se trouve cachée au plus profond de nous-mêmes, dans le fond sans fond de notre âme. Par sa Parole, Jésus met en route la femme samaritaine vers son propre cœur afin de prier et d’adorer Dieu « dans l’esprit et la vérité ».
Dieu est esprit. Dieu est prière, c’est-à-dire dialogue éternel du Père, du Fils et de l’Esprit saint. Relation sans domination dans l’amour. Amour en expansion comme le cosmos lui-même.

Peu à peu, cette femme passe de l’éros à l’agapè. Éros, mot grec, évoque l’amour soif. Agapè, mot grec aussi, désigne l’amour source, oblatif.

Tout à coup, l’âme de cette femme samaritaine s’élargit en accueillant la vie nouvelle de l’Esprit Saint. Son dialogue avec Jésus devient prière « en esprit et en vérité » ; l’eau vive de l’Esprit Saint jaillit en elle en source inépuisable.

À Lourdes, lors des apparitions, la Vierge Marie a demandé à Bernadette d’aller boire à la source de la grotte. Bernadette a commencé par creuser dans la terre. L’eau était boueuse. Petit à petit, l’eau est devenue claire.

Grâce à l’Évangile, nous prenons conscience de la boue de notre péché. En demeurant fidèles à la prière, nous rejoignons la grâce de notre baptême. Nous voici dans la clarté !

Le cœur de la femme samaritaine devient de plus en plus clair au fur et à mesure qu’elle dialogue avec Jésus. Ces échanges la transforment à la racine. Elle sent en elle la libération des ténèbres de l’ignorance et du péché. Elle rayonne dans l’amour de la vie, de Dieu et des proches.

En ce Carême, l’Esprit Saint nous pousse à sortir de nous-mêmes pour nous placer sur les lignes de fracture qui nous concernent. Avec Jésus, chaque chrétien affronte le combat spirituel contre son ego, contre le diable, le diviseur, contre les forces de mort.
Librement et dans l’allégresse, en laissant sa cruche par terre, la femme samaritaine, figure de l’Église en sortie, a couru vers son village en témoin d’une rencontre extraordinaire : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ; ne serait-il point le Christ ? » (Jn 4, 29).

C’est ainsi que la femme samaritaine devient apôtre auprès de ses voisins. Elle ne peut pas contenir son bonheur d’avoir rencontré Jésus qui l’a sauvé de la tristesse en lui ouvrant un chemin de lumière pour aimer de manière nouvelle. Sa peur du quand dira-t-on a été vaincue par sa foi. En découvrant personnellement Jésus, les voisins font à leur tour l’expérience de la présence de Dieu tout près d’eux, en eux. Ils croient non sur un ouï-dire mais par eux-mêmes. La femme samaritaine est dépassée par les événements. Le Royaume des cieux est arrivé en Samarie, terre et population maudites par les citoyens de la capitale, Jérusalem.

Nous comprenons pourquoi le père Marie-Joseph Lagrange (+10 mars 1938), dominicain, fondateur de l’École biblique de Jérusalem en 1890, serviteur de Dieu, a commencé son commentaire de ce chapitre quatrième de l’Évangile selon saint Jean sur la femme samaritaine en l’intitulant : « La merveille des merveilles ».
Ceux qui accueillent avec foi Jésus, l’envoyé du Père, font leur le Magnificat de la Vierge Marie : « Le Seigneur fit pour moi des merveilles ».

Le bienheureux père Jean-Joseph Lataste (+10 mars 1869) s’est aussi exclamé « j’ai vu des merveilles », en contemplant la conversion des femmes détenues de la prison de Cadillac près de Bordeaux. Envoyé par son supérieur prêcher une retraite spirituelle dans cette prison, le frère Lataste a reculé en sentant la mauvaise odeur des couloirs de cet établissement pénitentiaire ; homme de foi et de prière, il s’est repris en faisant un pas en avant pour dire « mes chères sœurs ». Voilà la conversion : faire un pas en avant pour aimer.

Le père Lataste n’aurait jamais imaginé que l’annonce de l’Évangile pouvait transfigurer les cœurs et les visages de ces femmes fatiguées et tristes. Pourtant, en adorant le Saint-Sacrement pendant des heures, ces femmes détenues se relevaient « comme les fleurs après la pluie ». Libérées de leurs fautes et du poids de leur passé, devenues justes et innocentes par la miséricorde du Seigneur, ces femmes ont aussi eu accès à la vie religieuse apostolique grâce à la fondation par le père Lataste des religieuses dominicaines de Béthanie qui accueillent dans leur sein des femmes au passé simple et au passé compliqué.

« La main de Dieu qui relève celles qui sont tombées est la même main qui soutient celles qui s’estiment justes », aimait à prêcher le père Jean-Joseph Lataste. Tous les hommes sont pécheurs ; tous peuvent devenir justes ; tous se situent sur le même plan, au même niveau : le salut par la foi. Tous sauvés par Jésus !

Les plus grands saints sont les plus grands sauvés, comme le montre la Vierge Marie Immaculée, sauvée de tout péché par une grâce venant de la mort et de la résurrection de son Fils Jésus. Le pape François cite le dicton : « Il n’y a pas de saint sans passé ni de pécheur sans avenir ». Voilà la bonne nouvelle, l’Évangile !

Il n’y a pas que la prison matérielle avec ses murs et ses lourdes portes. Beaucoup d’autres prisons enferment les hommes et les femmes : la cupidité, les drogues, l’alcool, l’obsession de la reconnaissance sociale, le culte de l’ego, la pornographie …

Nous célébrons le 20 décembre l’anniversaire de la libération de l’esclavage annoncée officiellement le 20 décembre 1848. Faire mémoire, c’est bien ; agir pour la libération de nouveaux esclavages contemporains, c’est mieux. Parmi ces esclavages figure la pornographie. Ses images sont ineffaçables comme certains feutres dont les marques restent gravées sur des tableaux. Les images pornographiques reviennent sans cesse ; elles poussent à l’accomplissement ; en devenant une addiction, la pornographie appelle davantage de violence.

Des relations sexuelles sans respect ni dialogue font basculer de nombreuses personnes dans les prisons réunionnaises, saturées de condamnées dont trente-cinq pour cent relèvent des violences conjugales. Il s’agit d’une véritable épidémie qui fait souffrir plus que le chikungunya.

Le saint pape Paul VI a exhorté l’Église au dialogue et à la conversation comme chemin de sagesse et de résolution des conflits. Le père Henri Caffarel, fondateur des Équipes Notre-Dame au service de la sainteté des couples, pensait que le problème des relations entre l’homme et la femme résidait dans l’ignorance réciproque et le non-dit, cellule cancéreuse en reproduction permanente et véritable bombe à retardement qui explose par des paroles et des gestes à des moments inattendus. Le père Caffarel aimait à dire que le couple a besoin d’être sauvé. Bien au-delà des déclarations doucereuses sur l’amour, le père Caffarel fondait l’amour durable sur le Christ qui sauve de l’aveuglement et du désir de domination. Pour grandir dans l’amour, il a proposé le devoir de s’asseoir, rendez-vous que le couple prend régulièrement pour désamorcer la violence qui réside en chacun à travers l’écoute et le dialogue. Trois questions favorisent l’ouverture des cœurs et la libération de la parole : « est-ce que ça va ? ; est-ce que quelque chose te dérange ? ; qu’est-ce que tu souhaiterais ? ». Sans couper la parole même si les propos sont durs, l’écoute et l’échange ouvrent de nouveaux chemins. Cela suppose du courage et du travail ! Très rares sont ceux qui déclarent être fatigués de dialoguer. Nous investissons davantage de temps devant nos écrans pour des informations sans intérêt majeur que dans le dialogue qui guérit et développe l’amour.

Jésus a dialogué avec la femme samaritaine. Avec les disciples d’Emmaüs, il a pratiqué la maïeutique socratique qui aide l’interlocuteur à « accoucher » de ses pensées et de ses sentiments. Jésus ne s’impose pas ; il éveille le meilleur de l’autre, « sa meilleure version » selon l’expression à la mode. Hölderlin (+1873), le philosophe et poète allemand, a écrit : « Dieu a créé l’homme, comme la mer a fait les continents, en s’en retirant ».

En ce carême, nous sommes attirés par le Christ Jésus pour faire du neuf avec lui, en synergie. La devise de l’ACI (Action Catholique), présente à La Réunion, garde sa pertinence : « Regarder, discerner, transformer ».

La démarche synodale proposée par l’Église repose sur cette méthode d’analyse des situations sociales qui peut se vivre individuellement ou en groupe. En communauté, dans la prière et l’écoute de la Parole de Dieu, les chrétiens sont appelés à investir leur intelligence dans le discernement et la transformation sociale. Quand on dit de quelqu’un qu’il est intelligent, il convient de demander : « intelligent en quoi ? ». Il y a plusieurs types d’intelligence : intelligence du commerce, intelligence des langues, intelligence des sciences, intelligence émotionnelle … N’oublions pas l’intelligence de la foi et la sainteté de l’intelligence.

La France peut se réjouir de compter récemment parmi ses fils des penseurs chrétiens qui ont illuminé l’Église de leur intelligence de la foi, et au-delà de l’Église visible la vision de l’homme et des relations sociales. Je pense à Emmanuel Mounier (+1950), philosophe personnaliste qui a inspiré un grand nombre de politiques ainsi qu’à Jacques Maritain (+1973), qui aimait à rassembler avec son épouse Raïssa poètes, artistes et philosophes, comme nous pouvons le découvrir dans leur livre « Les grandes amitiés ».

Le pape Benoît XVI avait déclaré un jour aux séminaristes français de Rome : « Il y a trois grands théologiens français au XXe siècle : le frère Yves Congar (+1995), dominicain ; le père Henri de Lubac (+1991), jésuite, et le père Marie-Joseph Lagrange (+1938), dominicain, fondateur de l’École biblique de Jérusalem ».

Le Carême appelle aussi à s’engager dans l’intelligence de la foi et dans la conversion des relations sociales.

La femme samaritaine a discerné en Jésus le Sauveur ; son témoignage a transformé ses voisins, qui ont rencontré le Messie d’Israël grâce à elle.
Posséder la vie, c’est bien ; la transmettre, c’est encore mieux. Croire et prier, c’est bien, témoigner du Christ pour que les autres aient la Vie en abondance, c’est encore mieux.

En ce sens, parmi les efforts du Carême, brille la transmission de l’Évangile en famille, dans nos paroisses, dans nos rencontres amicales, « dans les rues et sur les places » aussi, comme le dit le refrain d’une chanson. Pour cela, il faut se former.

Les frères dominicains de Toulouse ont fondé il y a un peu plus de vingt ans une université numérique « DOMUNI-universitas » qui permet d’étudier la théologie, la philosophie et les sciences sociales à distance. À La Réunion, une dizaine de laïcs et de prêtres étudient par Internet la théologie et ils se retrouvent une fois par mois pour partager leurs recherches et leurs questions. La bonne volonté ou « la foi du charbonnier » ne suffisent pas à l’heure de « rendre raison de l’espérance qui est en nous » (I P 3,15). Mon grand-père maternel qui était charbonnier connaissait quand même le latin qu’il avait appris au petit séminaire, mais aujourd’hui il y a peu de charbonniers dans notre île.

Les chrétiens discernent la volonté de Dieu au cœur de l’histoire qui est en train de se faire ; loin de rester passifs, ils représentent une force de propositions positives et réalistes en aimant le débat contradictoire avec des responsables politiques et sur les réseaux sociaux ; ensemble, avec toute personne de bonne volonté, les croyants incarnent ici et maintenant le commandement de l’amour du prochain.

Le saint pape Jean-Paul II qui a traversé l’allée centrale de cette cathédrale, a écrit : « La foi grandit quand on la donne ».

En rigueur de termes, seul Dieu donne la foi qui est une grâce surnaturelle, mais nous pouvons aider les autres à découvrir Jésus dans l’Évangile, vécu ici et maintenant.

Je voudrais finir avec cette belle prière du père Guy Gilbert, humble apôtre auprès des délinquants :
« Dieu seul peut créer, mais tu peux valoriser ce qu’il a créé.
Dieu seul peut donner la vie, mais tu peux la transmettre et la respecter.
Dieu seul peut donner la santé, mais tu peux orienter, guider et soigner.
Dieu seul peut donner la foi, mais tu peux donner ton témoignage.
Dieu seul peut infuser l’espérance, mais tu peux rendre la confiance à ton frère.
Dieu seul peut donner l’amour, mais toi tu peux apprendre à l’autre à aimer.
Dieu seul peut donner la joie, mais tu peux sourire à tous.
Dieu seul peut donner la force, mais toi tu peux soutenir un découragé.
Dieu seul est le chemin, mais tu peux l’indiquer aux autres.
Dieu seul est la lumière, mais tu peux la faire briller aux yeux des autres.
Dieu seul est la vie, mais tu peux rendre aux autres le désir de vivre.
Dieu seul peut faire des miracles, mais tu peux être celui qui apporte les cinq pains et les deux poissons.
Dieu seul pourra faire ce qui paraît impossible, mais tu pourras faire le possible.
Dieu seul se suffit à lui-même mais il a préféré compter sur toi. »

Image : chasuble du père Lacordaire O.P.