Témoignage : La première rencontre que j’ai faite avec le P. Lagrange…

vers les années 1928, j’étais jeune Frère. C’était un homme tout à fait paisible, sans aucune rancœur, qui ne nous a jamais parlé de ses débats avec Rome. Il nous a paru tout de suite comme un homme tout à fait supérieur, un humaniste, mais aussi un modèle d’observance de la vie religieuse. Petit détail : quand il revenait d’un des rares voyages qu’il faisait, il apportait ses comptes – il y mettait du temps pour les faire. Je l’ai vu faire la “venia”, non seulement à ses retours de voyage, mais quand il avait fait quelque erreur. Cela nous donnait d’autant plus d’admiration qu’il était d’une intelligence et d’une culture qui dominaient tout le monde à Saint-Maximin. J’ai admiré son humilité. Il est revenu plus tard (à Saint-Maximin) et s’est retiré et nous a enseigné la Bible. Je me souviens encore de l’accent qu’il y mettait. L’impression qu’il a produite sur nous tous est celle d’un exemple merveilleux de vie religieuse, de vie spirituelle et d’exigence scientifique.

 

(Témoignage de fr. Marie-Joseph Nicolas, O.P., (1906-1992) dans le cadre du procès diocésain, le 12 mars 1992)

Témoignage : Que l’exemple de fr. Lagrange nous stimule, par Pierre Marie Niang

Le dominicain est un homme qui vit de la parole. C’est un homme de parole, un maître de la parole. Frère Lagrange en est une preuve patente. A la suite de Dominique notre père, et de Thomas d’Aquin ainsi qu’Albert le Grand, il a su donner vie à l’idéal de l’Ordre des Prêcheurs. Que son exemple nous stimule dans l’étude de cette même parole. Et que l’Esprit nous donne la grâce de toujours la parole de Dieu pour sa gloire et pour notre salut.

Pierre Marie Niang, 15 juillet 2013.

Le Père Lagrange rencontre l’abbé Fouque à Marseille par Manuel Rivero o. p.

 

jb-fouque-chapeauL’abbé Jean-Baptiste Fouque[1] est surnommé de manière populaire « le saint Vincent de Paul marseillais » tant il a marqué la cité phocéenne par l’audace de sa charité au service des pauvres : « Tout est possible à celui qui croit », aimait-il répéter à ses proches.

Né le 12 septembre 1851 à Marseille, il est passé de ce monde au Père le 5 décembre 1926 à l’hôpital Saint-Joseph, une de ses belles œuvres.

Homme d’action, l’abbé Fouque a touché le cœur généreux des Marseillais qui ont soutenu ses projets d’aide à l’enfance délaissée, aux jeunes filles en danger moral, aux personnes âgées. Ses œuvres demeurent des lieux de vie et d’Évangile : Maison des Saints Anges Gardiens, Maison de retraite Montval, hôpital Saint-Joseph.

Aujourd’hui l’hôpital Saint-Joseph, fondé par l’abbé Fouque en 1920, compte plus de 2 300 employés et une trentaine de services médicaux. Les sœurs dominicaines de la Présentation de Tours y ont travaillé jusqu’à l’année 1981.

Le procès diocésain en vue de la canonisation de l’abbé Fouque a été achevé par Monseigneur Bernard Panafieu le 7 décembre 2002.

C’est à l’hôpital Saint-Joseph que le père Lagrange a rencontré l’abbé Fouque en 1926, peu avant sa mort.

Dans son Journal spirituel, inédit, le père Lagrange évoque presque un an après, le 3 avril 1927, cet événement : « Retraite aux Mères des Tourelles devant se terminer le 30 – malade dans la nuit du 29 au 30. Transféré à la clinique des sœurs dominicaines d’Albi, soigné par le docteur Dufour, la sœur Germaine… Le 30 octobre, départ pour Marseille avec le P. Vincent ; fatigue à Marseille ; dernière messe le 1er novembre. Transporté à l’hôpital Saint-Joseph le 6 novembre par le P. Vincent – jusqu’au 6 janvier. Repris la messe le 2 janvier. – Soigné par la sœur Anthelme. – Vu le chanoine Fouque avant sa mort. À Hyères du 6 janvier au 5 février. Puis à Saint-Maximin : départ pour Marseille, et de Marseille le vendredi 25 avril – Arrivée à Jaffa le 4 mai, conduit à Jérusalem par le P. Vincent : à Saint-Maximin et à Jérusalem. Mandéisme. »

Le père Lagrange[2], tombé malade, avait été accueilli par les sœurs dominicaines de l’hôpital Saint-Joseph de Marseille. C’est là qu’il prit la décision d’écrire son livre le plus connu dans lequel il présente ses recherches exégétiques : L’Évangile de Jésus-Christ.

Quelle joie en constatant cette rencontre providentielle de deux « saints » au service du salut des âmes, chacun selon son charisme.

Les restes de l’abbé Fouque reposent dans la chapelle de l’hôpital Saint- Joseph. Or c’est dans ce même hôpital que le père Lagrange a subi une opération. Tous les deux se sont rencontrés dans ce milieu médical et spirituel. Pourquoi ne pas rappeler cela par une plaque et une photo du père Lagrange qui pourrait figurer dans cette même chapelle où repose l’abbé Fouque? L’Église veut la béatification des deux prêtres.

Par ailleurs, je me trouve associé à un projet d’aide humanitaire de la Fondation de l’hôpital Saint-Joseph en faveur des sœurs dominicaines de la Présentation de Tours qui travaillent à Port-au-Prince (Haïti) au service des malades et de la Parole de Dieu. Au cours de la dernière semaine du mois de juin 2013, un administrateur de la Fondation et un pédiatre se rendront en Haïti pour mettre sur pied une clinique pédiatrique qui sera gérée par les sœurs dominicaines d’origine colombienne et haïtienne. J’aurai le plaisir et l’honneur de les accompagner ayant vécu à Port-au-Prince de 2008 à 2011, c’est-à-dire au moment du terrible séisme de janvier 2010.

Marseille, le 17 juin 2013.

Fr. Manuel Rivero O.P.

Vice-postulateur de la cause de béatification du père Lagrange.

 

 

Notes    (↵ returns to text)

  1. Pour information : union des Œuvres et Amis de l’abbé Fouque. 26, rue Estelle. 13006 Marseille.  www.abbe-fouque.org
  2. Site de l’Association des amis du père Lagrange : http://www.mj-lagrange.org/. Adresse postale : Association des amis du père Lagrange. Couvent des Dominicains. 9 rue Saint François de Paule. 06357 Nice Cedex 4.

13 juin 2013. Où en est la béatification du Père Marie-Joseph Lagrange ? par Manuel Rivero o. p.

 

© École biblique de Jérusalem

© École biblique de Jérusalem

 

de Santa Sabina, Rome.

En ce qui concerne l’évolution de la cause de béatification du père Lagrange, un nouveau responsable sera nommé par la Congrégation de la cause des saints qui prendra la suite du travail accompli par le frère Daniel Ols, rapporteur. Fr. Daniel Ols, o. p., prenant sa retraite le 15 septembre prochain.

Le frère Vito Tomas Gomez, postulateur, m’a bien transmis les nouvelles orientations de la Congrégation pour la rédaction de la Positio. Il reste un travail d’archiviste important. Le prieur provincial de Toulouse devra proposer un collaborateur externe, historien et archiviste, que le postulateur de l’Ordre présentera à la Congrégation de la cause des saints. Ce frère devra prendre en charge une nouvelle rédaction de la Positio complétée par un travail de recherche en archives (Salamanque, Toulouse, Rome, Jérusalem …). Il devra  s’y employer à plein temps pendant un an de façon à fournir aux historiens et aux théologiens examinateurs de la Congrégation un texte scientifique et convainquant susceptible de passer la rampe des observations critiques.  Ce travail gagnera à compter sur une équipe de recherche.

Fr. Manuel Rivero, o. p., vice-postulateur de la Cause de béatification du P. Marie-Joseph Lagrange, o. p.

 

Information complémentaire. Le rôle de l’enquête romaine :

La Positio est une synthèse de tous les documents sélectionnés lors de l’enquête diocésaine. C’est sur la base de cette Positio que les collèges de consulteurs, cardinaux et évêques de la Congrégation et, finalement, le pape lui-même, devront se prononcer. Si l’avis est favorable, l’héroïcité des vertus pourra être reconnue au Serviteur de Dieu, qui deviendra alors Vénérable.

Il faut pour la béatification une reconnaissance d’un miracle dû à l’intercession du Serviteur de Dieu. Ce qui fera l’objet d’un autre procès, dans le diocèse où aura lieu le miracle.

Pour la canonisation un second miracle est demandé. La procédure est extrêmement longue et demande donc de nombreuses années d’autant qu’il y a une longue « file d’attente » à la Congrégation pour les causes des saints…

Que s’est-il passé le 5 juin 1891, en la fête du Sacré-Coeur ? – Pose de la première pierre du bâtiment de l’École biblique de Jérusalem par Marie-Joseph Lagrange, o.p.

 

Le Journal spirituel du P. Lagrange, dans le passage reproduit ci-dessous, mentionne la pose de la première pierre du bâtiment de l’École : ainsi apparaît quelle inspiration spirituelle le P. Lagrange a voulu imprimer à la fondation de l’École. Le registre du conseil conventuel (tenu par le P. Séjourné) rapporte les mêmes renseignements, mais y ajoute la liste des reliques déposées dans les fondations de l’édifice : pierres de la Crèche, du Calvaire et du Saint-Sépulcre ; fragments de la chape de Jérôme Savonarole, du scapulaire du P. Lacordaire, de la barbe du P. Besson, de la soutane du vénérable J.-B. Vianney (ASEJ, Registre du conseil). L’École biblique se trouve placée ainsi sous le patronage du Sacré-Cœur, de la Vierge Marie et des saints (Étienne, Marie-Madeleine, Benoît), mais aussi du curé d’Ars, dont la présence ne doit pas surprendre ; elle constitue un nouvel indice de la dévotion que lui portait le P. Lagrange

Inscription en latin, dont voici la traduction :

Le 5 juin de l’année 1891, en la fête du Sacré-Cœur de Jésus, sous le pontificat de Léon XIII, Louis Piavi étant patriarche de Jérusalem, le Père Ambroise-Joseph Laboré étant vicaire général de l’Ordre des Prêcheurs, la première pierre de cette école, auprès de Saint-Étienne, fondée par les fils de Saint-Dominique, pour favoriser les études bibliques, sous le patronage de Notre-Dame du Rosaire, a été posée par le Très Révérend Père Marie-Joseph Lagrange, vicaire de la maison.

(Bernard Montagnes, Marie-Joseph Lagrange. Une biographie critique. Éd. Cerf. Paris, 2004. p. 84.)

Extrait-Prélude de l’institution de l’Eucharistie par le R.P. M.-J. Lagrange des frères Prêcheurs

Première multiplication des pains.

Mosaïque de l'église de la multiplication des pains à Tabgha.

Mosaïque de l’église de la multiplication des pains à Tabgha.

 

In L’Évangile de Jésus-Christ 

Luc 9, 11b-17.

Jésus parlait du règne de Dieu à la foule, et il guérissait ceux qui en avaient besoin. Le jour commençait à baisser. Les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent : « Renvoie cette foule, ils pourront aller dans les villages et les fermes des environs pour y loger et trouver de quoi manger : ici nous sommes dans un endroit désert. » Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répondirent : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons… à moins d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce monde. » Il y avait bien cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante. » Ils obéirent et firent asseoir tout le monde ; Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à tout le monde. Tous mangèrent à leur faim, et l’on ramassa les morceaux qui restaient : cela remplit douze paniers.

 

Il serait faux de dire que le sacrement de l’Eucharistie fut institué ce jour-là en faveur de toute une foule. Mais c’était un prélude que le Maître proposait à la réflexion.  […] C’est comme un symbole que cette scène a toute sa portée. Si étonnante qu’elle soit en elle-même, elle l’est plus encore comme un pressentiment de l’avenir, et cependant elle devient aussi plus accessible à l’esprit et au cœur comme un signe sensible ordonné à une réalité spirituelle, non seulement plus haute, mais d’un autre ordre.

C’est un fait que, dans le monde entier, les catholiques fidèles reçoivent sous la forme du même pain ce qu’ils croient être l’unique corps de Jésus Christ. Quelques-uns le profanent, d’autres agissent par vanité, un plus grand nombre par routine ; une foule innombrable y trouve vraiment l’aliment de l’âme, une invitation plus vive à servir Dieu, une impulsion nouvelle pour le mieux aimer. Que cette prodigieuse institution ait été figurée par une multiplication miraculeuse du pain, cela paraît plausible, et que le miracle se soit épanoui en de tels fruits de salut, cela le rend vraisemblable. L’harmonie de la figure et de la réalité est persuasive.

En lui-même, d’ailleurs le miracle était à la fois si incompréhensible et si public qu’un immense enthousiasme se déchaîna. Nous ne l’apprenons que par saint Jean (6,14), mais c’est bien la clef de la situation. On ne prononce pas encore le nom de Messie, parce que Jésus ne s’est pas manifesté comme roi. Mais il est incontestablement le grand prophète attendu, car aucun prophète n’a rien fait d’aussi divin en faveur d’Israël. Et ce prophète deviendra le Messie s’il est couronné roi. Il l’est déjà en personne. Il n’est que de le reconnaître pour lui permettre d’inaugurer ses actions royales. On prétendait donc l’obliger à entrer dans ce nouveau rôle. – Ce n’était pas le sien.

 

Extrait-Le Père Marie-Joseph Lagrange traduit et commente aujourd’hui l’Évangile selon saint Marc 9, 41-50

23 mai 2013

 

 

 

 

 

 

 

 

9. 41Et quiconque vous donnera à boire un verre d’eau pour la raison que vous êtes au Christ, en vérité, je vous dis qu’il ne perdra pas sa récompense. 42Et quiconque scandalisera un de ces petits qui croient… il vaudrait mieux pour lui qu’on lui passe au cou une meule d’âne, et qu’on le jette dans la mer.

43Et si ta main est pour toi un sujet de scandale, coupe-la. Il vaut mieux que tu entres manchot dans la vie que d’aller, ayant les deux mains, dans la géhenne, au feu inextinguible. 45Et si ton pied est pour toi un sujet de scandale, coupe-le ; il vaut mieux que tu entres dans la vie boiteux, que d’être jeté dans la géhenne ayant les deux pieds. 47Et si ton œil est pour toi un sujet de scandale, arrache-le ; il vaut mieux que tu entres avec un seul œil dans le royaume de Dieu, que d’être jeté, ayant les deux yeux, dans la géhenne, 48où leur ver ne finit pas, et où le feu ne s’éteint pas. 49Car tous doivent être salés au feu. 50Le sel est bon ; mais, si le sel devient fade, avec quoi l’assaisonnerez-vous ? Ayez en vous-mêmes du sel, et soyez en paix les uns avec les autres. »

 

Charité envers les disciples

41-42. Jésus reprend le fil du discours interrompu par Jean (Marc 38-40). Il parlait du mérite de ceux qui reçoivent les petits en son nom. Oui, même quand le service rendu ne serait qu’un verre d’eau offert au disciple altéré. Mais aussi le châtiment sera terrible, si on scandalise ces humbles croyants dont l’enfant est le type. La meule d’âne est une grosse meule en pierre, creusée en forme de vase. Une autre pierre, en forme de cône renversé s’y adapte, mise en mouvement par un âne, et broyant le grain placé entre les deux. La meule de dessous pouvait en effet être attachée au cou d’un homme pour l’entraîner au fond de l’eau, et ce genre de supplice n’était pas ignoré des contemporains (Suétone, Auguste 67). Le scandale est d’autant plus grave qu’il est donné de plus haut. Nouvelle raison de ne pas ambitionner le premier rang.

 

Le scandale

43-48. On risque de donner le scandale, c’est-à-dire d’être pour les autres une occasion de chute, soit par des paroles, soit par des exemples. Mais on risque aussi d’être entraîné… Il faut donc éviter toute occasion de pécher : quand il s’agirait d’extirper le sentiment le plus intime, de se séparer de la personne la plus chère, de perdre ce qu’on a de plus précieux. Tout cela est exprimé par une sorte de parabole. Rien ne nous est plus cher que les membres du corps, la main, le pied, l’œil… rien si ce n’est la vie elle-même, ou plutôt, comme Jésus l’a déjà enseigné, la vie dans le royaume de Dieu. Il faudrait donc à l’occasion sacrifier ces membres, mais non pas dans le sens littéral. Par exemple la perte d’un seul œil n’empêcherait pas les mauvais désirs de pénétrer par la vue, et la perte des deux ne serait pas suffisante pour dompter la concupiscence. D’ailleurs personne n’a le droit de se mutiler. L’intention est donc symbolique, ou plutôt parabolique, sans allusion précise au rôle de chacun des membres. À la vie, c’est-à-dire la vie éternelle dans le royaume de Dieu de l’au-delà, est opposée la géhenne. C’était, à l’origine, le nom (Gê-hinnom) d’une vallée de Jérusalem où l’on avait sacrifié des enfants à Moloch en les faisant passer par le feu. Dans la géhenne, « leur ver ne finit pas et leur feu ne s’éteint pas », comme dans Isaïe (66,25).

 

Le sel

49-50. Le verset 49 est difficile, même sans l’addition de la Vulgate : et omnis victima sale salietur, « et toute victime sera salée par le feu ». Ou bien : ceux qui n’auront pas fait les retranchements nécessaires seront salés par le feu. Mais pourquoi « tous » ? Ou bien : « tous », les uns dans le feu purificateur du retranchement, les autres dans le feu vengeur du châtiment. Ou bien : « tous » ceux qui veulent éviter la corruption, seront salés par le feu. De cette façon, le verset 49 entre déjà dans la pensée du verset 50. C’est le seul sens acceptable si l’on admet l’addition de la Vulgate, car un réprouvé n’est point une victime (offerte à Dieu). Il faudra donc être consumé par le feu du retranchement qui purifie et qui conserve comme le sel.

Cette mention du sel amène un autre avis. Le sel affadi n’est plus bon à rien. Il faut donc le conserver dans son intégrité. Ce ne peut être que par la charité envers Dieu, principe des sacrifices nécessaires : elle s’exercera naturellement envers le prochain en conservant la paix.

 

(éditions Lecoffre Gabalda, coll. Études bibliques, Paris, 1935.)

Extrait-Apparition de Jésus aux disciples dans Jean 20, 19-23 par Marie-Joseph Lagrange o.p.

Sur le chemin de Jérusalem de Francisco Bajén

In Évangile selon saint Jean, p. 513-515, Librairie Lecoffre J. Gabalda, Paris, 1936.

 

 

 

 

19Comme il était tard ce même jour, le premier de la semaine, et les portes étant fermées par crainte des Juifs là où étaient les disciples, Jésus vint et se tint au milieu, et leur dit : Paix à vous !

 

Cette apparition est la même que celle dont parle Luc et qu’il fixe au dimanche soir. Le jour et le moment sont marqués : une heure très tardive, ce qui laisse aux disciples d’Emmaüs le temps de revenir à Jérusalem, même s’ils sont partis de l’Emmaüs qui devint Nicopolis, à 160 stades [30 km]. Les portes étaient fermées, non que les Juifs n’eussent pu les forcer, mais pour éviter des importuns qui pouvaient être des espions. Ce détail est mentionné pour montrer que Jésus entra d’une façon surnaturelle. Il n’en usait point ainsi de son vivant : c’est donc que son corps ressuscité a acquis des propriétés surnaturelles, qui lui sont pour ainsi dire naturelles. C’est ce que Luc exprime lui aussi d’une manière indirecte, par les faits, non par un enseignement théorique. […]

« La paix à vous » est bien cette fois la formule de salutation des Juifs, mais non cependant sans une certaine solennité […] : en souhaitant la paix, Jésus la donne, comme il l’avait déjà donnée.

 

20Et cela dit, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent donc en voyant le Seigneur.

 

Jésus avait donc conservé sur son corps ressuscité la trace de ses blessures, comme de glorieuses cicatrices : non qu’il ne puisse apparaître autrement ; mais il les montre pour être reconnu comme le crucifié, et sans se faire un mérite de ses souffrances auprès de ses disciples, il les rappelle néanmoins, soit pour exciter leur foi et leur amour, soit pour que la joie soit plus complète, tant de douleurs n’étant plus qu’un souvenir. Le ressuscité en use selon les dispositions de ceux auxquels il apparaît. Il avait dû modérer l’ardeur aimante de Magdeleine ; il semble avoir eu besoin de convaincre ses disciples  […]. La joie, certes, bien naturelle avait été annoncée par Jésus.

 

21Il leur dit donc de nouveau : « Paix à vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. »

 

Jésus répète sa salutation, comme prélude d’un dernier acte avant de prendre congé, et parce que la paix est une disposition favorable à l’action divine.

Parlant à son Père, il avait déjà regardé la mission des Disciples comme accomplie dans sa pensée. Il la leur intime maintenant dans les mêmes termes : comme il a été l’envoyé de son Père, ils seront ses envoyés : la résurrection dont ils sont les témoins sera sans doute la première bonne nouvelle qu’ils auront à annoncer au monde.

 

22Et cela dit, il souffla sur eux et leur dit « Recevez l’Esprit-Saint ; 23ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis : et ceux à qui vous les retiendrez, ils seront retenus.

 

[…] Ce que Jésus donne à ses apôtres est donc quelque chose de surnaturel que l’on doit rattacher à l’action de l’Esprit-Saint, représenté dans l’Ancien Testament surtout comme vivifiant, et que Jésus lui-même a désigné comme un Aide dans l’ordre de la vérité. Après la mission imposée au verset précédent, il semble bien que ce doit être un pouvoir, plutôt qu’une disposition de l’esprit ou du cœur, mais on ne saurait que conclure, si des paroles jointes au geste ne donnaient l’explication. Ce pouvoir, en effet, est exprimé clairement (verset 23) ; c’est celui de remettre les péchés, et c’est aussi celui de les retenir. C’est le pouvoir déjà donné à Pierre et aux apôtres, qui est ici renouvelé expressément, avec l’insufflation de l’Esprit, laquelle le confère définitivement. L’allusion à l’Esprit s’entend assez : remettre les péchés, c’est donner la vie spirituelle ; et cela ne doit pas se faire sans discernement, puisque dans certains cas les péchés sont retenus. Or cela ne saurait être par caprice, mais par suite d’un jugement porté sur les dispositions des hommes.