Écrits de circonstances-Discours inaugural du président le Révérend Père Lagrange – The Journal of the Palestine Oriental Society, Jérusalem 1920

The Journal of the Palestine Oriental Society
vol. 1, october, 1920-1921, n° 1, p. 7
Jerusalem
Printed by W. Drugulin, Leipzig (Germany)

Discours inaugural du président le Révérend Père Lagrange, Jérusalem

 

Mesdames et Messieurs,

Que faisons-nous ? Nous offrons vraiment un spectacle étrange. L’Europe, l’Asie, le monde entier, vient d’être en proie à la plus effroyable tourmente que l’histoire ait connue. Le sol tremble encore. À la guerre entre les nations succède le malaise, sinon partout la lutte ouverte entre les classes. Il se forme des comités pour assurer le bon ordre, pour essayer de pourvoir au pain quotidien. On se demande si l’humanité pourra vivre dans des conditions économiques nouvelles. Tous les regards se portent anxieux vers l’avenir. Et nous voilà réunis pour traiter de menus problèmes qui ont à peine intéressé le passé, pour discuter du sens des mots et des règles de la grammaire, nous occuper de la géographie ancienne, des fleurs des champs, des vieilles mélopées, des lettres gravées sur les rochers de la Palestine !

En vérité, je crains qu’on ne nous reproche de jouer à la poupée dans un monde adulte, inquiet de ses destinées et que des problèmes plus urgents préoccupent.

Mais d’abord, Messieurs, nous travaillons, et c’est un excellent exemple que nous donnons dans un temps où les bras qui ont tenu l’épée répugnent à reprendre les outils ou la charrue. Nous travaillons, et la journée de huit heures nous paraît trop courte pour assouvir notre curiosité. Autant que la crise du pétrole le permet, vous prolongez vos veilles studieuses bien avant dans la nuit, et si l’insécurité du pays n’y faisait obstacle, on vous verrait reprendre l’exploration du sol pour lui arracher ses secrets. Travailler, c’est la vieille loi, opportune si l’on ne veut pas que notre humus palestinien se recouvre de nouveau de ronces et d’épines, et le travail de l’esprit n’est pas moins pénible parfois que celui de défricher la steppe. Nous proclamons à notre manière qu’il est bon que chacun reprenne son poste et s’emploie au bien général.

Il est vrai que nous portons nos efforts ailleurs que les utiles ouvriers qui nous fournissent le pain, mais j’ose dire qu’à eux-mêmes nous ne sommes pas inutiles. Car l’homme d’aujourd’hui, si fier qu’il soit des progrès de son industrie, si haut qu’il élève son vol, n’est point un titan qui vienne de sortir du sein de la terre. C’est l’héritier de générations nombreuses, et il est soumis, quoiqu’il en pense peut-être, aux obscures influences de son hérédité et à des lois éternelles ; un poids de plus de quarante siècles le courbe vers la terre, un appel non moins ancien l’invite aux choses d’en haut. Si quelque jour pouvait percer les ténèbres de l’avenir, si quelque chose d’humain peut éclairer le présent, nous guider dans notre route, nous fortifier dans l’épreuve, raviver nos plus nobles espérances, c’est la leçon du passé, c’est la lumière de l’histoire. Seulement nous ne voulons plus de cette histoire, fille de l’imagination, qui brosse de grands tableaux et range dans un bel ordre des faits éclatants dont elle n’a pas contrôlé l’exactitude. Notre méthode exige des données précises, fussent-elles de médiocre apparence. C’est par une étude attentive, patiente, à la suite d’une enquête poursuivie dans tous les milieux, que se fait aujourd’hui l’histoire. Les forces d’un homme n’y suffisent plus. Nous ne sommes plus au temps d’Hérodote, ni même de Bossuet ou de Macaulay.

Et voilà pourquoi, Messieurs, nous nous sommes groupés. Il serait assurément difficile de rencontrer ailleurs qu’à Jérusalem des compétences aussi diverses, sur un sol plus profondément transformé par les civilisations les plus variées. Nous y rencontrons l’empreinte de l’antique Babylone, mère du droit, des sciences exactes, de l’astronomie, d’un art réaliste et vigoureux. Pour lire les plus antiques annales de la Palestine, il faut être assyriologue. Mais ces annales ont été exhumées des sables de l’Égypte, parce que l’Égypte elle aussi avait foulé les plaines du pays de Canaan, l’Égypte d’où est venu Moïse avec les fils d’Israël. Et déjà la Grèce avait abordé à nos rivages, représentée par des ancêtres qu’elle avait oubliés depuis, les Philistins, fils de la Crète aux cent villes, chantée par Homère, et la première maîtresse des eaux orientales de la Méditerranée. Alexandre poussa jusqu’à Tyr et à Gaza sa course triomphale, et les Romains voulurent associer ce fleuron à la couronne d’empires que baignait leur mer. Enfin l’Islam vint, puis les Tartares, immense débordement de l’Asie qui provoqua le reflux européen.

Car vous le savez, Messieurs, et tous, Palestiniens d’origine ou d’adoption, nous en sommes fiers, cette contrée déshéritée avec ses collines arides du haut desquelles Jérusalem regarde vers le désert et vers la mer, ce pays aux dimensions étroites, mais si grand dans l’histoire, surtout religieuse, est au confluent des grandes civilisations antiques et bien des races humaines, nourries sur ce sol, s’y sont endormies du sommeil de la terre. Il en est d’elles comme de ces couches de sédiment qui se forment au fond des mers, et qui révèlent aux géologues la flore et la faune disparues des temps écoulés. Mais s’il arrive dans ce domaine paisible de la nature que des couches plus basses se soulèvent tout à coup et remontent à la surface, que penser de ces stratifications humaines, toujours vivantes dans leurs descendants ? Aussi, avouons-le, Jérusalem et la Palestine ont dans le monde entier la réputation d’un sol remué par l’ardeur des passions nationales et religieuses, et plus il appelle le concours des spécialistes les plus divers, plus il semble fait pour provoquer la mésintelligence et la discorde.

Eh bien, Messieurs, c’est à nous à faire à notre pays une meilleure réputation. Plus précieux encore que l’encouragement au travail, plus utile que les leçons de l’histoire, vous donnerez l’exemple de la concorde. Ou plutôt vous montrerez par l’histoire que la haine est stérile et destructrice, tandis que la concorde édifie, féconde, assure le bonheur de tous.

Sans doute cependant, et quelle que soit la bonne volonté générale, sera-t-il opportun de prendre ses assurances. Nous ne parlerons pas de ce qui pourrait nous diviser. J’ose dire que par ma robe même on peut voir à qui appartiennent ma vie, mon cœur et mon âme, mais je n’ai pas prononcé le mot de religion. Les études religieuses, les plus graves de toutes, et comme je pense les seules définitivement nécessaires, ne font point partie de notre programme. On ne devra les aborder que comme les abeilles font les fleurs, d’une touche délicate et ailée, et afin de composer du miel. Et quant à la politique, le mieux sera d’ignorer qu’elle existe et que quelques personnes puissent s’y intéresser.

Il ne me reste plus, Mesdames et Messieurs, qu’à vous exprimer ma gratitude pour l’honneur qui m’a été fait de présider cette première séance, à remercier Monsieur le gouverneur-militaire qui a bien voulu nous accueillir ici, et à déclarer fondée la Société orientale de Palestine, en vous souhaitant une cordiale bienvenue.

Document reproduit par Association des Amis du Père Lagrange

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Écrits de circonstances : À Jérusalem pendant la guerre [1914-1918] par le père Marie-Joseph Lagrange o.p.

Écrits de circonstances

À Jérusalem pendant la guerre [1914-1918][1] 

Marie-Joseph Lagrange des Frères prêcheurs

 

In Le Correspondant, Paris, 23 février 1915, t.258, pp. 640-658.

 

Le 2 août [1914], au matin, le bruit se répandit à Jérusalem que tous les chevaux et les mulets avaient été réquisitionnés pendant la nuit. L’opération avait commencé peu après minuit. Aucune voiture ne circula ce jour-là. Puis on afficha la mobilisation générale, de dix-neuf à quarante-huit ans, et l’état de siège.

Nous ignorions encore ce qui se passait en Europe, mais le branle-bas de la Turquie ne pouvait être qu’un contrecoup, sur un signal venu d’Allemagne. Aussi attendions-nous d’un moment à l’autre l’ordre du départ pour nos mobilisables. Tout le jour s’écoula dans le calme. C’est seulement le 3 août, à deux heures du soir,

Port de Jaffa (1898-1914)

que les mesures prises en France furent annoncées par le Consulat. On y courut. Précisément un bateau français abordait le lendemain à Jaffa, en partance pour Alexandrie. Quelques heures suffirent pour examiner les livrets militaires, signer des feuilles de route provisoires, boucler les valises. Les mobilisables, sauf quatre ou cinq, étaient tous religieux ou prêtres. Ils partaient dès le matin du 4 août, accompagnés d’une foule sympathique ; l’un d’eux cria joyeusement quand le train s’ébranla : À nous la victoire !

Le soir, ce fut le tour des Allemands. Mais leur bonne volonté se heurta à une difficulté qu’ils n’avaient pas voulu prévoir : la mer leur échappait. Le même instinct et le même accord, qui entraînait le Goeben et le Breslau des extrémités de la Méditerranée à Constantinople, les décida à prendre la voie de terre, coûteuse et pénible. Malgré tout, le plus grand nombre atteignit ainsi l’Allemagne.

Durant ces premiers jours, l’opinion était favorable à la France. Peu de personnes savaient à Jérusalem à quel point la fortune de la Turquie était liée à celle des Allemands par les Jeunes-Turcs. On ne trouvait dans le passé aucune cause de haine et, récemment encore, la France, en avançant cinq cents millions à la Turquie, lui avait rendu un service signalé. Les journaux illustrés avaient montré Djemal Pacha, alors ministre de la marine, visitant les ateliers du Creusot, assistant aux exercices de tir. On savait qu’il avait souhaité bonne chance aux mobilisés français à leur départ de Constantinople. La pensée ne venait donc ni aux chrétiens, ni aux musulmans, que les préparatifs de la Turquie dussent être tournés contre nous. On les poursuivait cependant, avec une énergie et un succès également inconnus jusqu’alors.

J’avais déjà assisté personnellement en Turquie à plusieurs crises de guerre : contre la Grèce, seule, d’abord, puis contre l’Italie, puis contre la Bulgarie, la Serbie et la Grèce. Le recrutement se faisait pour ainsi dire à domicile. Les zaptiès ou gendarmes racolaient dans les villages les gars les plus solides et ne paraissant pas trop décidés à se soustraire au service.

Car, on s’y soustrayait sans grand’peine, les ports n’étant guère surveillés. Mais, durant ces premières journées d’août, ce fut, dans tout le pays, un ébranlement général. Il est peu probable qu’il ait été spontané. On comprit que les ordres étaient sérieux et que la répression serait inflexible. Les paysans accoururent de toutes parts. Le bureau de recrutement étant en face du couvent de Saint-Étienne, nous ne pouvions sortir sans les voir alignés le long du mur, attendant leur tour pour être inscrits, habillés, armés. Le tout se faisait assez rapidement et sans désordre.

Nous étions surpris de cet empressement, mais beaucoup moins que les officiers turcs eux-mêmes. Ils témoignèrent plusieurs fois de leur stupéfaction. La mobilisation dépassait leurs espérances et l’on peut affirmer que ce succès sans précédent contribua à monter la tête au comité des Jeunes-Turcs. Ils n’exagéraient pas en notant que jamais la Turquie n’avait mis plus d’hommes sous les armes. Et cette innovation ne fut pas la seule. On vit ces soldats improvisés faire l’exercice ! Je ne sais ce qui se passait aux environs de la capitale, mais à Jérusalem, naguère encore, de simples exercices d’assouplissement auraient crevé toutes les coutures des pantalons et des vestons. Maintenant des tentes étaient dressées, alternant avec des rangées de fusils dernier modèle, et dont on apprenait le maniement. Les soldats tiraient même à la cible et le ravissement fut à son comble quand on les vit jouer à la vraie guerre, avec des blessés que ramassaient les infirmiers du Croissant-Rouge. Le secret de cette ardeur transpira bien vite. On avait aperçu des officiers blonds qui se tenaient à cheval à la manière allemande. Et l’on commença à se demander à quoi servirait ce gigantesque effort ?

L’idée la plus naturelle était que la Turquie profiterait du trouble général pour prendre sa revanche de la guerre désastreuse des Balkans. La Serbie était envahie par l’Autriche. La Bulgarie boudait ses anciens alliés. En juillet, la Porte[2] avait menacé la Grèce d’un conflit si elle maintenait l’annexion de Mytilène. Et cependant personne ne crut, même dans cette province éloignée, que la Grèce dût être attaquée. Les relations devinrent au contraire plus cordiales entre le gouverneur et le Patriarcat grec.

Que penser ? Il y eut dès lors deux attitudes. Officiellement, c’était toujours la neutralité et l’on essayait de donner un motif plausible aux armements. Avait-on assez reproché aux Turcs de n’être jamais prêts ? La guerre des Balkans les avait surpris. Cette fois, ils étaient sur leurs gardes. Ils s’y prenaient d’avance, sans prétendre, toutefois, intervenir dans un conflit entre les grandes puissances, si indifférentes à leur mauvaise fortune. Mais il fallait prévoir les occasions. Quand les chrétiens auraient épuisé leurs forces, la Turquie apparaîtrait comme l’arbitre des destinées. Le raisonnement était naïf, et plus que naïf, et cependant plus d’une personne à Jérusalem et ailleurs s’y laissa prendre. Il était, pensait-on, digne des Turcs. En réalité, les officiers turcs, les seuls dont l’opinion comptât en Turquie, ne croyaient nullement que la balance demeurerait égale entre les belligérants. Le triomphe de l’Allemagne avait pour eux la valeur d’un axiome évident, ils l’ont souvent répété, comme la belle lumière de leur soleil. Ils comptaient sur les Allemands, leurs frères d’armes, pour conquérir l’Égypte et le Caucase, mais trop fiers pour les recevoir comme un pourboire jeté à leur neutralité, ils entendaient les obtenir. C’est ce qu’on rêvait à Jérusalem dans les cercles militaires dès la fin d’août. Il fallait y préparer l’opinion et ce fut l’œuvre combinée de l’agence Wolff et de l’agence ottomane.

Le pays fut inondé de dépêches, rédigées en allemand, en arabe et en français. J’en avais commencé la collection, édifiante à plus d’un titre. L’emphase orientale et les outrances les plus chimériques s’y mêlaient à des perfidies savamment calculées.

Notre départ brusqué ne nous permit d’emporter aucune note, et je n’ose me fier à ma mémoire pour reproduire des textes. C’était peu d’enfler outre mesure les succès des Allemands, de dissimuler les nôtres ou de les nier. Nous étions accusés d’empoisonner les sources ; les femmes belges crevaient les yeux des blessés dans les hôpitaux, jetaient les malades allemands dans l’eau bouillante, s’acharnaient sur le cadavre des morts.

Les musulmans surtout faisaient leurs délices de cette littérature. Pour quelques Arméniens qu’on avait fait disparaître afin de résoudre la question d’Arménie, pour quelques femmes bulgares mises à mal, qui n’auraient pas dû se trouver en Macédoine, l’Europe avait grondé et envoyé des gendarmes. Ces petites horreurs n’étaient rien en comparaison des fureurs où se complaisait l’Europe. Et maintenant, les Allemands se ruaient sur la Belgique pacifique. Sans compter que les chrétiens, disciples de l’Évangile, étaient tenus à une loi de justice et de charité, mais non les Turcs dont la foi s’est fondée et a grandi par la guerre. Ainsi la publicité allemande manquait son but. D’autant que ses mensonges n’avaient pas raison du scepticisme qui fait le fond de l’esprit oriental. S’il se complaît au merveilleux, c’est à la condition de n’y pas croire. Et bientôt les communiqués français, par leur précision, leur ton assuré, mais exempt de toute jactance, leur franchise refoulèrent cette inondation de calomnies. La lutte s’engagea, devant une foule réservée, mais attentive et passionnée, entre les dépêches de notre ambassadeur à Constantinople, affichées à la Poste française, puis au Crédit lyonnais, et les dépêches turco-allemandes qui s’étalaient de l’autre côté de la rue, à la Banque allemande, rehaussées des portraits du Kaiser marquant le pas de parade avec ses fils, et du maréchal de Hindenburg. Les communiqués allemands, s’ils ne furent jamais complètement sincères, devinrent plus sobres, étant dominés et réglés par la manière française, et renoncèrent à ces commérages méchants, indignes d’une grande nation, et que M. le baron de Vangenheim n’avait pas rougi de signer.

Bientôt même le public hiérosolymitain s’aperçut que les Allemands affectaient de rendre hommage à la bravoure et à la générosité des Français. C’était sans doute pour relever les avantages qu’ils se donnaient ; c’était plus encore pour accabler par le contraste nos alliés, les Anglais. Les prisonniers allemands en France – et il y en avait donc ? – étaient traités avec humanité. Ceux qu’avait envoyés en Angleterre la « méprisable petite armée anglaise » étaient victimes des plus effroyables sévices. D’ailleurs que pouvait-on attendre de l’Angleterre, ennemie acharnée de l’Islam ? Partout où régnait son influence, les mosquées étaient fermées ou confisquées, le culte musulman interdit ou persécuté.

À ces attaques directes, venant surtout de l’agence ottomane, les Anglais crurent devoir répondre. On afficha à côté des dépêches françaises des monitoires de l’ambassadeur de la Grande-Bretagne à Constantinople, qui donnèrent à réfléchir aux Ottomans. Ils annonçaient en termes voilés, mais suffisamment clairs, le sort réservé à certaine puissance, si elle prenait parti dans un conflit qui ne la regardait pas. La fidélité des troupes musulmanes à la France et à l’Angleterre montrait assez que la religion n’était point en cause. On citait le nom de ces troupes, et je me rappelle l’embarras d’un certain nombre d’indigènes en lisant les hauts-faits de nos turcos. Il fallut leur expliquer qu’ils n’avaient de turc que le nom.

Cependant, insensiblement, l’opinion se modifia. Au début, je l’ai déjà dit, elle nous était favorable. Ce n’est compromettre personne que de noter ici un fait connu de tous : les catholiques latins, clients traditionnels de la France, avaient très ouvertement manifesté leur sympathie. Les Grecs orthodoxes inclinaient vers la Triple-Entente par suite de leurs attaches avec la Grèce et la Russie. Parmi les Juifs, la partie de beaucoup la plus nombreuse de la population, l’opinion libérale penchait aussi vers nous, sans souhaiter le succès des Russes. Enfin, je tiens pour assuré que les musulmans auxquels leur situation prêtait quelque autorité voyaient avec déplaisir et inquiétude le mouvement qui entraînait la Turquie dans l’orbite de l’Allemagne. Déjà la colonie commerciale allemande avait pris une large place au soleil. Les Juifs ne supportaient la concurrence qu’en se réduisant à un régime de famine ; les chrétiens ne réussissaient guère que dans les articles de piété ou par la clientèle des maisons religieuses ; les musulmans n’entreprenaient même pas la lutte commerciale, et trop souvent les banques allemandes avaient absorbé leurs terres en échange de capitaux prêtés à des taux exorbitants.

Quel mal avaient fait les Français ?

On s’irritait de les voir bâtir des édifices de belle apparence, mais encore était-ce la fortune du pays. Ces bâtiments étaient des hôpitaux et des écoles, quelques-uns des couvents consacrés à la prière, institutions que l’Islam sait comprendre. Je ne parle pas de la dette de gratitude contractée par la Turquie envers la France et l’Angleterre. On savait très bien, même dans le peuple, que les deux puissances occidentales avaient défendu contre la Russie l’intégrité de l’empire ottoman. L’Angleterre était en train de s’installer sur le Nil, mais ce n’était pas au détriment de la Porte, puisque l’Égypte demeurait sa vassale comme par le passé. L’Italie n’avait-elle pas pris la Tripolitaine de haute lutte ? Ne détenait-elle pas Rhodes et le Dodécanèse ? L’Autriche n’avait-elle pas confisqué la Bosnie et l’Herzégovine ? Le temps n’était pas éloigné où les mariniers de Jaffa avaient hardiment boycotté les bateaux autrichiens. J’ai vu moi-même une foule hostile poursuivre et conspuer M. M., l’agent du Lloyd. Comment cette même population en vint-elle à porter en triomphe les consuls d’Allemagne et d’Autriche ? C’est le secret de l’aberration la plus folle peut-être dont l’histoire ait à faire mention.

La seule explication plausible de cet égarement, c’est le prestige incomparable de l’Allemagne dans la Turquie d’Asie. C’est au désert, et parmi les Bédouins, que nous avons entendu dire : « La France autrefois, l’Allemagne aujourd’hui. » Je ne voudrais pas faire ici de politique ; il s’agit seulement d’analyser un état d’âme oriental. Il est certain que, pour un Oriental, un gouvernement démocratique et presque anonyme manque de prestige. Les Ottomans n’en sont plus à se réjouir, comme au dix-huitième siècle, que la République française ne puisse épouser une archiduchesse d’Autriche, mais ils disent volontiers : la France est un pays riche, qui a de braves soldats, mais pas de sultan ! Or c’est précisément comme un sultan, admirateur et rival des fils d’Othman, que leur est apparu l’empereur d’Allemagne.

Assurément, par certains côtés, son entrée à Jérusalem manquait de prestige. Nous l’avons vu chevaucher, en grand costume de touriste impérial, derrière M. Thomas Cook coiffé d’un chapeau mou ; et la France a souri. Les Ottomans n’ont retenu qu’un geste : le monarque le plus puissant de l’Occident posant une couronne au tombeau de Saladin. Et c’est là qu’est née cette légende que les Allemands avaient une certaine affinité avec l’Islam. « D’abord, disaient les Turcs, ils ne nous ont jamais rien pris. » Et c’était un singulier mérite, car quel peuple de l’Europe n’avait arraché sa feuille du gigantesque artichaut légendaire des Osmanlis ? Nous répondions qu’ils étaient en train de s’approprier le cœur de l’artichaut, en mettant la main sur l’armée, sur la marine, sur les chemins de fer… Mais c’était, pensait-on, pour le bien de l’empire. Et comme on projetait déjà de proclamer la guerre sainte, des théologiens subtils préparèrent l’opinion en faisant des Allemands une catégorie religieuse spéciale. Ils n’étaient pas tout à fait musulmans, mais ils n’étaient pas non plus tout à fait des infidèles, puisqu’ils admettaient l’unité de Dieu, par où l’on entendait qu’ils niaient la Trinité et la divinité de Jésus-Christ. Ce serait là une grave injure et une calomnie à l’adresse des Allemands catholiques ou protestants conservateurs. Mais combien de professeurs de théologie protestante libérale auraient le droit de protester ? Comme les meneurs s’en prenaient à une plèbe grossière et ignorante, on alla jusqu’à présenter l’empereur Guillaume comme un cousin éloigné du sultan. Ils étaient si bien faits pour s’entendre qu’on leur donnait le même prénom : Mohammed Guillaume et Mohammed Rechid. Ce sont des choses que nous avons entendues.

Toutefois chacun comprenait que la partie se jouait en Belgique et en Galicie et que la Turquie serait nécessairement à la merci du vainqueur. L’opinion demeurait prudente, même après la défaite de Charleroi si brillamment compensée par la victoire de la Marne. Un Allemand avait affirmé bruyamment que le 15 septembre les uhlans seraient à Paris. « Si Dieu le veut », répondit son interlocuteur, employant la forme polie d’acquiescement usitée en pareil cas. – « Qu’il le veuille ou ne le veuille pas », répondit le pseudo-infidèle, et l’événement ne lui avait pas donné raison. En attendant le choc décisif, le parti Jeune-Turc crut avisé de réaliser un programme sur lequel tous les Ottomans devaient être d’accord, proclamer la pleine indépendance de la Turquie par rapport à tous les États d’Europe. On était sûr que les Allemands et les Autrichiens ne protesteraient pas, puisqu’ils étaient du complot, et l’on espérait que les réclamations de la Triple-Entente exciteraient enfin le sentiment national ou plutôt le feraient naître, car il ne s’était pas encore manifesté. On escomptait même une déclaration de guerre. Autant que j’en puis juger par le petit théâtre où nous étions placés, le gouvernement a tenu absolument à faire croire que la guerre lui a été imposée et déclarée.

La première mesure hostile fut la suppression des postes étrangères. À Jérusalem, nous avions, outre la poste ottomane, l’autrichienne, la russe, la française, l’allemande, l’italienne. C’était évidemment un empiètement sur les droits souverains du sultan. Sauf les postes russe et autrichienne, la dernière la plus achalandée, ces bureaux ne rapportaient pas grand profit. Personne ne voulait céder seul, mais il semble qu’on eût consenti volontiers à laisser aux Turcs le soin des lettres, s’il y avait eu des chances sérieuses qu’elles parvinssent à leur destination. Je ne m’attarderai pas ici à dire quelques uns des quiproquos de leur service, qui n’étaient pas toujours amusants. Mais la suppression des postes, telle qu’elle fut opérée, avait un caractère de provocation et d’insolence qui inaugurait une attitude.

La France comprit l’atteinte portée à sa dignité. Elle ne répondit qu’en assurant l’inviolabilité des correspondances qui lui avaient été confiées. Aucune lettre venant de France ne fut remise aux bureaux turcs ; les agents du gouvernement n’eurent pas la satisfaction de lire ce que pensaient d’eux les réfugiés.

Cette modération parut faiblesse. D’un trait de plume, les Jeunes-Turcs effacèrent des siècles d’histoire en supprimant les capitulations. Il ne serait point aisé de dire en quelques lignes tout ce que comportait cette mesure ; moins encore l’était-il d’expliquer aux gens de Jérusalem en quoi consistait, ce qu’on nomma, « la suppression des privilèges des étrangers ». « Cela veut dire », expliqua un docteur du droit nouveau, « que si un étranger te donne une gifle, tu peux et tu dois la lui rendre ». Passe pour ce cas et le retour à la loi orientale du talion. L’ensemble était beaucoup plus compliqué. Car le « privilège » des étrangers de ressortir à une juridiction spéciale tient à la nature même du droit ottoman qui est une loi religieuse. Devant cette loi, le chrétien n’a aucun droit d’aucune sorte. Il est un vaincu de l’Islam, il s’est rendu, il a capitulé. C’est bien le moins qu’on lui applique le droit spécial des capitulations.

Mais il est bien vrai qu’en fait les capitulations pouvaient passer pour un privilège. Les étrangers, que les indigènes regardaient depuis si longtemps comme des personnes presque sacrées auxquelles il n’était pas prudent de toucher, étaient dépouillés de leur auréole. L’enthousiasme fut à son comble. On organisa, avec le concours des israélites, un cortège triomphal, on prononça des discours, on institua une fête commémorative, on ajouta sur les timbres-poste : « Suppression des privilèges des étrangers. »

Ainsi fut aboli un régime qui remontait à François Ier. On poursuivit le passé jusqu’à Charlemagne et Haroun-al-Raschid en abolissant le protectorat de la France sur les Lieux Saints. Par une confusion étrange, on en conclut qu’aucun établissement religieux ne relèverait d’aucun consul, ce qui était, en fait, dissoudre des établissements dont plusieurs étaient reconnus par firman[3] impérial. Et, par cette exagération puérile que l’on rencontre si souvent chez les Turcs, quand ils se piquent d’imiter certains procédés des civilisés, les religieux eux-mêmes étaient censés déchus de la protection de leurs consuls nationaux. On ne fit qu’en rire, mais la déchéance dont on frappait la France annulait la clause du traité de Berlin qui reconnaissait son droit traditionnel à protéger les Saints Lieux. L’insulte était voulue et d’autant plus sensible que le privilège français était purement honorifique. Cependant, cette fois encore, la France ne bougea pas. On était décidé à sauver, s’il se pouvait et malgré elle, la Turquie de ses imprudences. La Triple-Entente, elle, sérieusement, voulait aussi avoir la main forcée.

La politique du gouvernement jeune-turc était-elle suffisamment avisée ? Je n’ai pas à en juger, et l’on pensait, à tort peut-être, que le sort n’en serait tranché qu’en Europe. Il est certain qu’elle était très hardie, avec des allures d’indépendance et de fierté qui allaient au cœur de tous les Ottomans. Elle justifiait même la mobilisation. Car, disaient les habiles, sans la mobilisation nous n’aurions jamais obtenu ce résultat. C’était un succès, provisoire si l’on veut, mais un succès. On trouvait de bonne guerre, et de guerre économique, de profiter des embarras des grandes puissances pour s’affranchir de leur tutelle. L’opinion applaudissait frénétiquement, mais ne demandait rien au delà. Et peut-être – ceux qui ont été dans la coulisse pourraient nous le dire –, l’élément civil du Comité Union et Progrès, lui-même, n’aurait jamais été plus loin si l’Allemagne n’avait exigé davantage. Or l’Allemagne disposait de l’armée.

Dans l’intervalle, il était devenu évident que cette armée n’était pas l’armée nationale, composée de tous les éléments ethniques et religieux de l’empire, que supposait la constitution libérale. Tous avaient été appelés. Mais on déclarait ouvertement aux juifs et aux chrétiens qu’ils étaient autorisés à se racheter pour une somme d’environ 1 000 francs, et on les y invitait. Un très grand nombre eut la faiblesse de financer, quoiqu’ils eussent déjà payé une, et même deux fois, lors des précédentes guerres. Ceux qui eurent le courage de tenir bon n’obtinrent pas toujours d’être habillés et armés comme les autres. On les tenait en marge de l’armée, sous la tentation persistante de s’en retirer. Au début, tous les hommes avaient été pris, valides ou invalides. Sous le contrôle des officiers allemands, plusieurs furent renvoyés, si bien que la mobilisation, qui avait englobé d’abord 1 100 000 hommes, fut réduite, ce qu’on m’a assuré d’assez bonne source, à 800 000. Mais ces troupes étaient plus homogènes que dans la guerre précédente et mieux préparées à la prédication de la guerre sainte.

Et, en dépit des dénégations officielles, il devenait évident que la mobilisation aboutissait, dans notre région, à une expédition contre l’Égypte. Des Bédouins venus de l’est avaient vu le chemin de fer de Damas à Médine transporter des bataillons qu’on dirigeait ensuite vers Aqaba. Jérusalem était traversée de files interminables de chameaux chargés de farine, de blé, de munitions de guerre dans des boîtes à l’estampille allemande.

À la fin d’octobre, le bruit se répandit que plusieurs officiers allemands avaient entrepris de violer la frontière égyptienne. Les renseignements que nous prîmes alors ne laissaient aucun doute. Accompagnés d’un petit détachement de soldats turcs, ces officiers avaient voulu contraindre les Bédouins à les conduire au delà de la limite anglo-égyptienne. Les Bédouins avaient refusé. D’où une bagarre, après laquelle les Allemands, assez mortifiés, revinrent à Jérusalem, sans pouvoir arracher au gouvernement de Constantinople l’approbation de leur raid compromettant.

À ce moment, on crut à Jérusalem que la Porte serait assez forte pour résister à la pression germanique. Mais, en recevant dans la Corne d’Or le Gœben et le Breslau, les Turcs s’étaient donné des maîtres. Ce qui avait échoué dans le sud contre les Anglais réussit dans la mer Noire contre les Russes. Le bombardement des environs d’Odessa et de Théodosia en pleine paix commençait la guerre.

Le bruit s’en répandit à Jérusalem dès le vendredi soir 30 octobre. Le jeudi 5 novembre, un pavillon de forme et de couleurs inusitées flottait sur le consulat de France. Nous avions passé sous la protection de l’Espagne et le dimanche suivant nous arborâmes le drapeau jaune et rouge, pendant que les Anglais hissaient le pavillon américain et les Russes le pavillon italien.

On sait que la protection des citoyens français en Turquie a été confiée aux États-Unis, mais le district qui comprend Jérusalem et Jaffa avait un régime à part. Ce fut une pensée délicate de confier des intérêts, qui étaient surtout religieux, et aux Lieux saints, à la catholique Espagne.

Il faut dire hautement que nous n’avons pas eu à le regretter. M. le comte de Ballobar, consul d’Espagne à Jérusalem, a prouvé en toutes circonstances que son pays n’a pas oublié ses nobles traditions, il a parlé en son nom aussi fièrement que l’eût fait un contemporain de Don Juan d’Autriche. Qu’il veuille bien agréer l’expression de notre reconnaissance pour un dévouement inlassable qui n’eut que trop souvent l’occasion de s’exercer parmi des contradictions incessantes et arbitraires. Quand nous en étions excédés, nous nous consolions en pensant que la même incohérence devait régler – ou désorganiser – les choses militaires.

***

J’ose affirmer que le sentiment qui domina à Jérusalem, quand il devint évident que les Turcs avaient commencé la guerre, fut la consternation. Les patriotes déploraient cette immolation d’un grand empire aux intérêts d’un peuple étranger. Et, à supposer que les Allemands victorieux dussent intervenir pour obtenir des compensations à la Turquie, qui défendrait les particuliers contre la ruine prochaine ? Les réquisitions de chevaux, de chameaux, de mulets, de denrées, dont aucune n’était payée, même en papier-monnaie, se poursuivaient systématiquement et d’une façon complète que bien des indigènes se demandaient si les Turcs ne prenaient pas plaisir à ruiner les Arabes. On savait très bien que la Triple-Entente avait la maîtrise absolue de la mer et on la provoquait à attaquer un empire dont les villes les plus florissantes étaient la parure d’un rivage sans défense, Jaffa, Caïffa, Beyrouth, Tripoli, Alexandrette, Smyrne… ! Les calomnies stupides qu’on avait répandues contre nous, et plus encore contre les Anglais, obtenaient le résultat inattendu d’augmenter l’épouvante. Il fallait fuir ces bêtes féroces. Les femmes des musulmans riches de Jaffa se réfugièrent à Jérusalem et, pour mettre en sûreté leur fortune, qui consiste surtout en bijoux, elles les déposèrent… au Crédit lyonnais ! Si bien que cet établissement, en même temps que l’Anglo-Banque, fut crocheté dès les premiers jours de la guerre. On prit tout, et quelques jours après on rendit tout.

Pour rassurer la population de Jaffa, l’autorité recourut à une mesure d’apparence fort énergique. M. le Consul d’Espagne nous fit savoir officiellement que, d’après un ordre verbal – on n’en donna jamais d’autres – tout belligérant qui tenterait de quitter la Turquie serait fusillé. Nous sûmes depuis qu’on avait été moins excessif à Beyrouth et à Constantinople. Les magistrats de Jérusalem professaient une crainte respectueuse du caïmacan[4] de Jaffa, leur inférieur, mais une créature d’Enver-Pacha.

Nous demeurions donc comme otages et l’on nous fit savoir que, si les villes de la côte étaient bombardées, nous serions fusillés. Menace vaine, car nous savions bien que les alliés n’avaient pas l’intention d’imiter les Allemands en brûlant des villes ouvertes et que, s’il leur plaisait d’opérer un débarquement, les otages ne leur manqueraient pas pour des représailles. Aussi les gens de Jaffa et de Caïffa, y compris quelques représentants des colonies allemandes, continuèrent à affluer à Jérusalem et à Naplouse. Chaque jour on croyait voir apparaître les escadres anglo-françaises. Pour paralyser leurs mouvements on déchaîna enfin le spectre de la guerre sainte. Jérusalem était, après la Mecque qui demeura muette, croyons-nous, le centre religieux le plus favorable pour la proclamer, puisqu’elle est la ville sainte par excellence, el-Qods. Il y eut donc une grande réunion à la mosquée d’Omar et un musulman fanatique, dont je tairai le nom, y prononça, en effet, des paroles incendiaires. Mais il faut rendre cette justice aux autorités religieuses et militaires, qu’elles se montrèrent fort modérées. Le commandant militaire et le mufti déclarèrent nettement que toute atteinte aux droits des chrétiens, Ottomans ou étrangers, serait sévèrement punie. La même consigne fut imposée à Damas et les journaux ont raconté le geste très authentique d’un scheik vénéré qui foula aux pieds son turban, pour symboliser le châtiment réservé à tout musulman qui maltraiterait un chrétien. Aussi, pendant notre séjour à Damas, avons-nous vu promener l’étendard vert du Prophète, avec des cris de mort vaguement proférés, et un grand cliquetis de cimeterres, sans que personne s’avisât de nous insulter. Certains regards étaient chargés de haine, mais ils se détournaient.

C’est que la guerre sainte n’avait pas pour but d’exciter dans l’empire des troubles qui auraient amené l’intervention des États-Unis, de l’Italie et de l’Espagne. Elle était exclusivement d’exportation étrangère et visait à soulever contre la France l’Afrique du Nord, contre l’Angleterre l’Égypte et les Indes, contre la Russie le Lazistan et le Turkestan. Des dépêches annonçaient de partout la révolution libératrice, et trois millions de Persans étaient en armes pour chasser les Russes du Caucase de concert avec les armées turques d’Anatolie.

Les Allemands avaient vraiment persuadé aux Turcs que l’Égypte était prête à se révolter « comme un seul homme », aussitôt qu’un soldat musulman aurait paru sur les frontières. Ce premier point était facile. En un tournemain, l’armée de la guerre sainte eut conquis le désert. Les Anglais avaient jugé inutile de défendre El-Arich, oasis qui abrite quelques maisons, Nahel, situé entre Suez et Aqaba, point d’eau de très minime importance. Aussitôt, la Porte nomma – ainsi du moins s’exprimèrent les dépêches – un directeur des douanes égyptiennes. Mais la frontière d’Égypte, ce n’était pas le canal de Suez. Les imaginations se montaient à Jérusalem, et c’était à qui trouverait le moyen d’opérer ce nouveau passage de la mer Rouge. Sept cents pelles et des couffins sans nombre furent achetés, sans doute pour former un passage en rejetant les sables. D’autres proposaient des radeaux portés sur des boîtes à pétrole vides, et le fait est qu’on les recueillît et qu’on les transporta non pas par milliers, mais par dizaines de mille. Ce furent probablement les Allemands qui conseillèrent la fabrication de bateaux en tôle que nous vîmes sur des trains de chemin de fer en Galilée. Je ne dis rien des suites de cette campagne, car mon but n’est pas de rivaliser avec nos stratégistes hiérosolymitains. Au fond, ils demeuraient fort sceptiques sur le résultat de cette tentative hasardeuse et je doute comme eux qu’elle soit jamais poussée bien loin sans artillerie lourde. C’est de l’autre côté du canal, c’est de l’Égypte que devait venir le salut. Or l’Égypte est demeurée silencieuse ; le Sphinx n’a rien dit ou il a dit que la Chimère volait trop haut et faisait trop de bruit. Pourtant les musulmans des bords du Nil n’étaient point dans leur cœur insensibles à l’appel du Prophète et les masses préféraient, dit-on, être exploitées et tondues de près par des coreligionnaires que de jouir des bienfaits très réels de l’occupation anglaise. Mais on ne leur demanda pas leur avis, et leur préférence intime pour des oppresseurs de leur choix n’est pas telle qu’ils s’exposent de plein gré à perdre le fruit de leur docilité présente.

La guerre sainte était, entre les mains de l’Islam, une arme redoutée. C’est un fusil qu’il fallait avoir toujours sur l’épaule, mais sans tirer. La Turquie a tiré et le fusil a fait long feu, du moins dans les pays où le fanatisme musulman n’est point très ardent. Peut-être en Tripolitaine aurait-on encore quelque chose à surveiller de très près si l’incendie n’était pas éteint à son foyer ?

***

Ce n’est sûrement pas l’agitation produite par la guerre sainte qui amena les mesures prises contre les religieux français et les religieuses. Nos relations avec les autorités et la population avaient toujours été excellentes. Les Filles de la charité, en particulier, jouissaient en Turquie, depuis la guerre de Crimée, d’une popularité incomparable. Quand la municipalité de Jérusalem se résolut à organiser un hôpital après la création de tant d’hôpitaux étrangers, c’est à leur dévouement qu’on fit appel.

La guerre n’avait rien changé à cet état de choses. Si la population avait été surexcitée contre nous, elle eût, à tout le moins, témoigné sa satisfaction quand religieux et religieuses quittèrent leurs demeures. Il n’en fut rien. Quant aux autorités civiles et militaires, je puis dire, sans compromettre personne, qu’elles ne firent qu’obéir à des ordres impératifs et réitérés. Ne pouvant rester fidèles à leur ancienne sympathie, ne voulant pas se départir en notre présence de ménagements courtois, elles se montrèrent le moins possible, et la police, gênée dans son rôle nouveau, me rappelait l’embarras des excellents gendarmes qui nous ont expulsés en 1880, priant à voix basse que nous les dispensions de nous mettre la main au collet. L’exécution ne se produisit pas le même jour, et j’en note rapidement les phases principales, sans entrer dans le détail des ordres et des contre-ordres où je ne me reconnaîtrais plus.

Dès le 7 novembre, avant même le départ de M. le Consul de France, les établissements de Sainte-Anne et de Saint-Pierre étaient désignés pour servir de casernes. Les religieux eurent cinq jours pour les évacuer. On mit dans les églises et les bibliothèques tous les objets mobiliers ; les scellés furent apposés sur les portes et furent respectés, du moins jusqu’à notre départ. Les Pères franciscains de Terre sainte offrirent alors l’hospitalité aux Pères bénédictins, aux Pères blancs et aux communautés de religieuses situées en dehors de la ville : Carmélites, Clarisses, Bénédictines du Calvaire. Notre-Dame de France, le grand hospice des Assomptionnistes, accueillit les Pères de Saint-Pierre et quelques Français expulsés de Jaffa, tout en devenant le siège de l’état-major ottoman. Le commandant militaire avait exprimé le désir qu’on se groupât, le plus possible, afin d’assurer plus facilement la sécurité de tous.

Personne n’a cru sérieusement à un massacre, ni même à des sévices exercés par la population. On pensait, sans oser le dire, que les troupes, quand elles reviendraient battues et débandées de leur entreprise contre l’Égypte, se vengeraient par des cruautés. Cette crainte, encore suspendue sur ce qui est resté de chrétiens à Jérusalem, n’est malheureusement pas chimérique. Mais alors, en novembre 1914, aucun massacre n’était à craindre, si le gouvernement ne donnait le signal. Aussi demeurâmes-nous, pour notre part, parfaitement tranquilles, dans notre couvent de Saint-Étienne. On allait et venait, comme de coutume. Avant la guerre, on s’était plaint souvent de voleurs qui ne respectaient pas les étrangers ; depuis la proclamation de la loi martiale, tout était rentré dans l’ordre. Nous n’avons jamais refusé de l’eau aux mobilisés qui attendaient leur tour devant le bureau de recrutement, souvent pendant des heures, mais si, une fois ou deux sur mille, elle fut demandée avec arrogance, il était aisé d’obtenir justice des impertinents.

Cependant, le 3 décembre, le Père prieur nous avertit, au sortir de table, que nous devions être prêts en deux heures à partir pour Orfa avec les autres religieux appartenant aux nations belligérantes, les Belges compris. Orfa est l’ancienne Édesse, située entre Alep et Diarbékir, dans la haute Mésopotamie, éloignée de deux journées de caravane du point terminus du chemin de fer d’Alep. La perspective de passer l’hiver dans cette solitude, où il serait très difficile d’arriver, de se loger et de se nourrir, n’avait rien d’agréable. Cependant, Français demeurés à Jérusalem, réformés déjà deux fois ou trop âgés pour être utiles en France, obligés, pensions-nous, par devoir, à ne pas déserter des positions françaises, nous éprouvâmes un certain orgueil d’être associés par nos ennemis aux épreuves de la patrie.

Ces ennemis, ce n’étaient pas les Turcs, instruments malavisés d’une haine plus profonde ; il n’y avait pas à s’y méprendre, c’étaient les Allemands. Ce mot même de « camp de concentration », dont la police avait plein la bouche, n’avait pas été inventé par des Turcs. Comme je me plaignais à un religieux allemand, qui fréquentait, même alors, notre bibliothèque, de ce que le procédé avait d’odieux. « C’est », me répondit-il du tac ou tac, « ce qui s’est passé pour les religieux allemands que les Français ont transportés en Corse. » Ainsi c’était donc la querelle des Allemands que vengeaient les Turcs, sans distinguer entre les mobilisables et les invalides ! Il est d’ailleurs aussi honorable pour nos hôtes, que pour nous, qu’ils n’aient pas prononcé le mot de cet « espion-envahissement », réalité si redoutable en France, et qui y justifiait la mesure qu’on prétendait nous appliquer.

Les Allemands avaient étalé bruyamment les sentiments religieux du Kaiser, affectant de traiter en officiers les prêtres français prisonniers ; nous avions bien droit aux mêmes égards, et l’on nous invitait à partir à pied, sous l’œil de la police, pour une région à peine accessible durant l’hiver ! Était-ce donc pour nous massacrer en route ? Plusieurs l’appréhendaient. D’autres qui prétendaient mieux connaître les Turcs ne voyaient, dans leur grosse voix, qu’un artifice pour nous renvoyer en Europe sans passer par Jaffa, dont on craignait les mariniers. Et c’est ainsi qu’en Turquie on ne sait jamais si l’on joue la comédie ou si l’on prépare le dénouement le plus tragique. Les deux solutions sont toujours également probables. Prendre tout du bon côté, c’est donner un démenti à l’histoire, même la plus récente, qui fut aussi atroce durant les massacres d’Arménie qu’aux plus mauvais jours du passé. Et lorsqu’on traite avec les Turcs, diplomates si déliés, esprits fertiles en ressources, figures graves qui dissimulent à peine le sourire intérieur, on se dit qu’il ne faut jamais désespérer de rien. Ce qui tourna franchement à la comédie, ce fut l’examen médical qu’on nous imposa durant deux jours, devant un jury de quatre majors, dont un juif allemand. Le résultat fut de former trois catégories. Sur environ cent cinquante religieux, on exemptait trois vieillards qu’on jugeait décidément invalides, quoique l’un d’eux ait préféré faire le voyage, et très allègrement. La masse était divisée en deux groupes : ceux qui pouvaient aller à pied, et ceux qu’on ne devait faire voyager qu’en voiture, jusqu’au point le plus voisin du chemin de fer, au delà de Naplouse. Or les premiers furent autorisés à se fournir des voitures et les seconds y furent invités ! M. le Consul d’Espagne pourvut à tout, et nous nous acheminâmes vers Naplouse par groupes. On partit le 13, le 14 et le 15 décembre. Le temps fut admirablement beau. En cours de route, quelques femmes marquèrent agréablement, par un geste, qu’on devait nous couper le cou. Aucune autre manifestation hostile, et cependant nous rencontrâmes des piétons de toutes races conduisant d’innombrables chameaux à toutes bosses, des régiments en marche, des soldats désœuvrés. Des Français auraient-ils toujours été aussi maîtres d’eux-mêmes devant des « otages » confortablement installés dans des voitures découvertes ? Ces Orientaux, issus de tant de pays divers, auraient sans doute la dent plus dure, mais, pour le moment, cela ne les regardait pas. Ils accomplissaient froidement la consigne de ne rien dire, comme ils auraient accompli celle de taper ferme.

La police, digne et cependant bénigne, nous comptait deux fois par jour. À Naplouse, elle crut ingénieux, dans ce but, de nous faire monter et descendre un escalier. Mais, comme le troupier qui ne trouve jamais le même nombre de marches en montant à l’Arc de Triomphe et en en descendant, elle « s’embrouilla dans la série ». Emportés dans un torrent d’événements grandioses, les lecteurs ne supporteraient pas le récit des menus incidents de notre voyage. Naturellement, nous protestâmes quand on mit quelques-uns d’entre nous dans un wagon à bestiaux. Mais le chef de gare s’excusa, s’empressa de rectifier la situation quand ce fut possible et puis…, quand on est en plein mouvement de troupes !

Enfin nous arrivâmes à Damas ; on nous répartit entre divers hôtels et l’on nous annonça que dans une nuit ou deux nous continuerions sur Orfa. Les optimistes s’avouèrent vaincus quand nous apprîmes que déjà les Lazaristes et les Jésuites de Damas étaient partis. Et cependant, après deux jours d’attente, on nous avertit tout à coup que nous allions être conduits à Beyrouth pour nous embarquer à la première occasion.

Et après quelques nouvelles tergiversations, nous partîmes en effet de Beyrouth pour le Pirée sur un bateau italien, avec des religieuses qui attendaient, elles aussi, la permission. Ce départ des religieux et des religieuses fut une expulsion. Les religieuses françaises demeurées à Jérusalem pendant l’exode furent embarquées à Jaffa sur un ordre exprès du gouvernement. Comme l’avait annoncé Djemal-Pacha, aux premiers jours de janvier, il ne restait plus en Syrie ni en Palestine de religieux ni de religieuses françaises. D’infimes exceptions ne sauraient faire compte.

***

Comment expliquer cette série de mesures incohérentes ? Le but principal était de supprimer l’action française en Syrie, et c’est l’œuvre des Allemands. Les Français ont été renvoyés de tous les services publics, chemin de fer et autres, qu’ils avaient fondés, pour être remplacés le plus souvent par des Allemands. Environ deux cents Français de Beyrouth sont encore, au moment où j’écris, internés à Damas. Les religieux et les religieuses, même hospitalières[5], ont été expulsés, et il n’est pas douteux qu’on ait visé surtout les écoles. On a chassé tout le monde, mais dès le premier jour on s’est acharné sur les écoles, où l’on a prétendu remplacer les Frères par des maîtres de fortune qu’on a d’ailleurs le plus grand mal à recruter.

Ce dessein est parfaitement net. Il était nécessaire, pour le remplir, d’éloigner les Français et les Françaises dont on craignait l’influence, mais il suffisait, pour cela, de les envoyer dans un camp de concentration. Cette solution fournissait des otages, gage de tranquillité pour les ports. Si donc on a laissé partir pour la France les religieux et les religieuses, mais eux seuls, c’est que la Porte a déféré aux désirs du Saint-Père. Je ne crois pas être indiscret en disant ici que Benoît XV lui-même a bien voulu m’en donner l’assurance. Si le Pape avait obtenu notre départ pendant que nous gardions nos positions acquises par un long labeur, la démarche eût été

Benoît XV

prématurée, car notre éloignement eût facilité l’usurpation. Mais, comme les faits le prouvent, notre expulsion était décidée et en grande partie exécutée, quand il est parvenu à faire révoquer l’ordre vraiment barbare qui nous parquait à Orfa. Il a donc rendu à des Français un bon office signalé, ce qui est bien rendre service à la France, d’autant qu’il se préoccupe encore, je le sais, du salut des Français laïques et de la préservation de tous les établissements religieux français. Je suppose qu’il en a été remercié par qui de droit, après que les expulsés, pour la plupart de passage à Rome, ont été admis à lui témoigner leur profonde gratitude.

À Rome, il est vrai, quelques Allemands ont essayé de donner le change. Ils ont persuadé à des neutres, presque à des Français, qu’ils s’étaient employés pour nous délivrer des mains des Turcs. Il est certain, en effet, que les Turcs n’ont rien fait sans leur permission. Mais ils n’avaient non plus rien fait sans leur ordre. Après avoir expulsé les Français de leurs situations, les Allemands, s’étant emparé des positions utiles et lucratives, n’avaient aucun intérêt à laisser en Turquie, à l’état de persécutés, des religieux et des religieuses que les populations ne connaissaient que pour leurs bienfaits. On n’avait jamais osé parler d’emmener à Orfa les religieuses et, si elles étaient demeurées en Syrie, les miséreux dont elles prenaient soin se seraient accrochés à leurs manteaux. Maintenant le champ est complètement libre, l’influence allemande peut s’exercer. Mais il faudrait de l’impudence pour faire valoir auprès du Saint-Siège un acte qui, pris en bloc, est un acte de destruction. Ce fut un des crimes de l’Allemagne, au cours de cette guerre, d’avoir engagé les Turcs à chasser de pauvres filles qu’ils honoraient comme des reines. Il ne sert à rien aux Turcs de dire qu’ils ont imité la pratique du gouvernement français envers les congrégations. Ils l’ont souvent alléguée et non sans un sourire. Même alors nous ne consentions pas à baisser la tête comme Français ; ce sont là des affaires intérieures qui ne regardent pas les étrangers. Nous avons toujours été loyalement protégés et soutenus par notre gouvernement et, si la guerre au cléricalisme n’est pas un article d’exportation, l’opposition n’est pas non plus de mise au dehors. C’est à nos compatriotes à se demander s’ils ont été justes envers nous, car notre œuvre a toujours été la même en France et à l’étranger. Les Turcs feraient mieux d’avouer que cette lourde ironie leur a été suggérée, comme tout le reste, par les compères qui sont devenus leurs patrons. D’eux-mêmes ils ne se seraient pas résolus à se passer des services des congrégations, dans un pays où l’instruction publique est à peine organisée et l’assistance publique pas du tout.

Les Allemands, et les Autrichiens surtout, plus exposés aux coups des Turcs, ont eu des reproches sanglants pour l’alliance immorale de la France et du Croissant. La France chrétienne usa du moins de son influence en faveur des chrétiens. Ce qu’a fait l’Allemagne, nous l’avons dit. Que fera-t-elle ? On peut tout craindre quand on voit les feuilles allemandes appréhender que l’indiscipline des soldats turcs ne les conduise aux pires excès. Les bons apôtres ! Les soldats ottomans ne feront que ce qu’on les laissera faire. C’est aux Allemands de faire respecter la discipline ; ils ont pris la responsabilité de ce qui se passe en Turquie. Plus d’un officier ottoman, dont je tairai le nom, a été jugé trop tiède pour les intérêts allemands, trop timoré dans l’exécution des mesures prises contre les Français.

Mais les Allemands seront-ils toujours les maîtres ? Beaucoup le croient encore en Turquie, de nombreux officiers ont engagé leur fortune sur cette carte, mais combien peu, même de musulmans, le désirent ! De temps en temps le bruit court qu’une révolution a éclaté à Constantinople. Depuis le 4 août, Enver-Pacha a été assassiné tous les quinze jours. Je suis persuadé pour ma part qu’aucune révolution ne se fera toute seule, mais que le pays est à bout de souffrances ; il en connaît les auteurs et il est mûr pour qu’on lui fasse une révolution.

On m’a souvent reproché d’être turcophile.

Je pense, en effet, que les longues et cordiales relations entre la Turquie et la France n’ont pas été inutiles aux Turcs et ont laissé chez eux un souvenir toujours vivant, même parmi les officiers. Plusieurs n’ont pas hésité à nous le dire en exprimant le vœu de n’être pas obligés à combattre directement contre les Français.

Peut-être ai-je pris trop en bonne part des procédés qui, somme toute, sont injustifiables. On avait besoin de casernes et d’hôpitaux, soit ; on pouvait exiger de nous des abris pour les soldats, et nous offrions volontiers de soigner les blessés. La guerre obligeait-elle à mettre sur le pavé tant d’enfants des écoles et tant de vieillards et d’infirmes hospitalisés ? Il y eut aussi, même à la Custodie de Terre-Sainte, des visites de police insolentes autant qu’inutiles. Ce n’était pas non plus la peine de démolir l’autel de l’église anglicane de Jérusalem pour y chercher des canons.

Mais pourquoi ne dirions-nous pas que la manière allemande n’a pas complètement déteint sur les Turcs ? Ils n’ont pas été aussi brutaux, ni surtout aussi systématiques. Il faut toujours revenir au mot d’incohérence. Quelques-uns s’abandonnaient au rêve grandiose d’une Turquie régénérée et conquérante, avec un reste d’illusion chevaleresque et idéaliste qu’ils tiennent de nous, comme Saladin a reflété quelque chose des façons courtoises de la chevalerie. Les esprits positifs croyaient entreprendre une affaire, mais, sachant bien qu’ils jouaient quitte ou double, étaient soucieux de ne pas s’engager à fond pour ne pas payer trop cher.

Le grand art des Allemands fut de les contraindre à se compromettre et ils ont réussi, parce qu’il y a, dans le comité Union et Progrès, une vague réminiscence du jacobinisme de 1793 qui s’est imposé par des crimes que l’Europe ne pourrait plus pardonner. Cette disposition est la seule qui soit actuellement redoutable. Se sentant perdus, les Jeunes-Turcs n’entraîneront-ils pas tout ce qui reste de Français en Orient dans leur ruine ? Quelques bons esprits ne le pensent pas et croient savoir que les principaux membres du parti seraient bien aises de ne point pousser les choses au pire. Quoi qu’il en soit, la meilleure manière d’éviter des malheurs, ce serait d’agir vite.

Chaque jour, depuis que la guerre est déclarée, on s’attend, de Jaffa à Alexandrette, à voir surgir du fond de la mer les trois couleurs, jadis libératrices. Elles le seraient encore. Je n’affronterai point le ridicule d’esquisser un plan de campagne. Mais je puis bien déclarer, comme témoin oculaire, que nous ne comptons guère d’autres ennemis acharnés en Syrie que ceux qui ont remplacé notre influence par un joug odieux. Il est naturel qu’en France on soit excédé contre les Turcs dont l’ingratitude dépasse vraiment la mesure. Mais les vrais coupables ne sont peut-être pas très nombreux. Et je suis sûr que personne chez nous ne songe à châtier sévèrement des populations entraînées malgré elles dans une sinistre aventure. Il s’agit bien plutôt de leur rendre un peu de paix, de justice, et en somme plus d’indépendance qu’elles n’en ont.

 

Paris, 10 février [1915].

Fr. Marie-Joseph Lagrange des Frères prêcheurs

Association des Amis du Père Lagrange
https://www.mj-lagrange.org

 

 

[1]M. le Directeur du Correspondant a eu souvent l’obligeance de me demander des notes sur les choses de Turquie. J’avais toujours eu le regret de ne pas répondre à son appel, résolu de ne pas m’immiscer dans les affaires d’un pays qui nous laissait chez lui toute licence de poursuivre en paix nos études. Les circonstances actuelles me rendent plus libre. Encore verra-t-on que je n’ai point perdu la mémoire des excellents rapports que j’ai eu durant vingt-cinq ans avec les autorités ottomanes.

[2][La Sublime Porte= Empire ottoman]

[3][autorisation]

[4][Dignitaire de l’empire ottoman]

[5]Dans leur empressement à tout prendre, les commissaires ont emporté des hôpitaux des instruments de chirurgie fort inutiles à des guerriers, du moins après le moment de leur naissance.

Écho de notre page Facebook : novembre 2018

25 novembre 2018

Christ, Roi de l'Univers - Sant'Alfonso, Rome

Christ, Roi de l’Univers – Sant’Alfonso-Rome

Christ, Roi de l’Univers

Notre Père, Que votre règne arrive

« La prière enseignée par le Seigneur est la prière de l’Église, qui ne connaît ni Juifs, ni Gentils, qui bénit les nations comme les familles, mais les veut toutes filles du Père.

(Marie-Joseph Lagrange o.p. L’Évangile de Jésus Christ avec la synopse évangélique, Artège Lethielleux, 2017, p. 356.)

 

 

 

 

 

22 novembre 1880-22 novembre 2018

Sainte Cécile-Löfgren (19e)

 

Sainte Cécile chante maintenant pour Dieu seul !

Ceux qui disent que le christianisme est une suite naturelle de la philosophie païenne n’ont pas lu les Actes des Martyrs. C’est là que paraît le triomphe de la Croix sur une fausse sagesse : ce sont des femmes et des enfants qui ont vaincu la résistance acharnée de la nature contre la grâce.

« Ô saints martyrs, colonnes inébranlables de notre foi, donnez-moi votre courage généreux : vous avez aimé Jésus Christ et vous êtes morts pour lui ; votre amour l’a vengé des calomnies absurdes des païens, de la lâcheté des tièdes ; vous êtes jusqu’à la fin des temps notre modèle et notre soutien.

Ste Cécile, chantez maintenant pour Dieu seul ; obtenez-nous la grâce d’être purs de cœur et de corps, afin que cette grâce en attire une autre : que pouvons-nous demander à Dieu ? Gratiam pro gratia [Grâce sur grâce.(Jean 1, 16)]. »

(Marie-Joseph Lagrange o.p., Journal spirituel, Cerf, 2014, pp. 106-107.)

 

21 novembre 1880-21 novembre 2018

Présentation de la Vierge Marie (détail) Giotto, (1304) Chapelle Scrovegni, Padoue

Présentation de Notre-Dame

 

« Ste Mère de Dieu, Marie Immaculée, daignez me donner la Sagesse, votre Fils Jésus : la Sagesse d’où procède l’amour, mais préservez-moi de la science qui enfle. Je vous conjure de m’accorder la grâce d’être plus fidèle :
1° à la mortification de la vue,
2° à l’attention en récitant votre office et votre rosaire,
3° à la charité parfaite envers mes frères, et de me préparer ainsi à célébrer avec joie la fête de votre Immaculée Conception. »

(Marie-Joseph Lagrange o.p., Journal spirituel, Cerf, 2014, p. 106.)

 

 

 

 

 

16 novembre 2018

Sainte Gertrude d’Helfta (détail) par Miguel Cabrera, Mexico, 1763

 

 

« Sainte Gertrude, priez pour moi : je loue Dieu des grâces qu’il vous a faites, surtout d’avoir si bien compris sa bonté. Combien ce sentiment de la bonté de Dieu répond bien à ce que nous devons être par rapport à lui. Esprit filial, destruction de l’amour-propre. »

(Marie-Joseph Lagrange o.p., Journal spirituel, Cerf, 2014, p. 405.)

 

 

 

15 novembre 2018

En la fête de Saint Albert le Grand

Des serviteurs dévoués et soumis de la Sainte Église :

Saint Albert le Grand, Maître de Saint Thomas d’Aquin

Saint Albert le Grand, Saint Thomas d’Aquin, Cardinal Cajetan, Serviteur de Dieu Marie-Joseph Lagrange

« […] au XIIIesiècle, […] pour réagir contre un faux sentimentalisme introduit en théologie, le rationalisme le plus sec s’attaque aux assises même de la Foi, Albert le Grand et Thomas d’Aquin conjuguèrent leurs efforts pour rétablir les rapports normaux entre la raison et la Foi, et sauver du même coup la philosophie et la théologie.

Au XVIesiècle lorsque la Réforme s’en prit à l’autorité même de l’Église et lui contesta le droit d’enseigner toutes les nations, un de nos plus grands théologiens, le cardinal Cajetan employa toute sa science et tout son génie à démontrer le Magistère infaillible de l’Église en matière d’enseignement.

Enfin de nos jours, quand éclata soudain, au cœur de la Chrétienté, la crise biblique, l’Ordre eut alors la gloire de posséder, en la personne du P. Lagrange, un religieux exemplaire qui pouvait d’autant mieux combattre ces nouveaux hérétiques sur leur propre terrain, que ceux-ci, par la plume de leurs chefs de file, n’avaient jamais osé contester son savoir ni son orthodoxie.

On se rendra mieux compte, à mesure que les années passeront sur la tombe du P. Lagrange, sans crainte d’offenser sa réelle modestie, de quelle hauteur il dépasse les exégètes de ce temps dont les meilleurs l’ont toujours tenu pour un Maître. »

(Bernard Montagnes o.p., Marie-Joseph Lagrange. Une biographie critique, extrait de la Lettre encyclique du Maître de l’Ordre* au sujet de la mort du père Lagrange, Cerf, 2004, p. 527.)

*Fr. Martin-Stanislas Gillet, o.p., New York, 28 mars 1938.

 

10 novembre 2018

Père Marie-Joseph Lagrange (7 mars 1855-10 mars 1938)

Aujourd’hui, en la fête du saint pape Léon le Grand, docteur de l’Église, et jour-anniversaire de la « naissance au Ciel »  du père Marie-Joseph Lagrange o.p., nous nous retrouvons en communion de prières avec fr. Manuel Rivero o.p. qui célèbre la messe de ce jour aux intentions particulières confiées à l’intercession du père Lagrange et pour sa prochaine béatification.

Pour confier vos intentions de prières à l’intercession de la Vierge Marie et du père Lagrange, nous écrire : pere.marie.joseph.lagrange@gmail.com. Ou bien directement à : manuelrivero921881772@gmail.com. Ces intentions seront présentées par Fr. Manuel Rivero o. p. au cours de la messe-anniversaire qu’il célèbre le 10 de chaque mois.

 

7 novembre 2018

All Dominican Saints-Dominican Friars Province of St-Joseph.jpg

All Dominican Saints-Dominican Friars Province of St-Joseph.jpg

Tous les saints de l’Ordre des Prêcheurs

« […] J’ai abandonné par mollesse une foule de bonnes pratiques, puis je me suis étonné de me voir moins près de Dieu, et je n’ai pas compris que je me rendais de plus en plus indigne de sa grâce. Oui, il m’a aimé, il ne me sert de rien de nier qu’il m’ait comblé de ses faveurs ; je n’en n’étais pas meilleur pour cela et l’ingratitude me rendrait pire. Comment avez-vous pu, mon Rédempteur, entreprendre ce travail, travail dans la boue de mon âme… Non, je ne puis rien, je ne suis que vanité et mollesse, mais j’ai toujours espéré en Marie, elle peut et veut, je l’espère, me sauver. Du courage et de l’humilité, à l’œuvre pour Jésus. Dévotion plus grande aux saints de notre Ordre. » (Fr. Marie-Joseph Lagrange o.p., Journal spirituel, Cerf, 2014, p. 243.)

 

3 novembre 2018

Saint Martin de Porrès, dominicain (Lima, 1569-1639), modèle de charité universelle, canonisé en 1962 par le saint pape Jean XXIII.

San Martín de Porres et les malades

« La charité c’est l’amour du bien en soi. Dieu est la bonté : Dieu se veut infiniment, il se voit infiniment ; cette conformité entre sa Volonté et son Intelligence, c’est sa Bonté. Les êtres finis et contingents sont bons lorsque leur être est conforme à la volonté de Dieu. La charité est donc l’amour de Dieu. Dieu est tout à la fois l’objet premier de la charité, et le motif. C’est en passant par l’amour de Dieu que nous aimons le prochain pour chercher sa conformité avec la volonté de Dieu comme la nôtre propre » (Marie-Joseph Lagrange o.p., Journal spirituel, éd. Cerf, 2014, p. 23).

 

 

1er novembre 2018

The Communion of Saints, détail d'une tapisserie par John Nava (2003) Cathédrale catholique de Notre-Dame des Anges-Los Angeles. Tous droits réservés.

The Communion of Saints, détail d’une tapisserie par John Nava (2003) Cathédrale catholique de Notre-Dame des Anges-Los Angeles. Tous droits réservés.

L’humilité des saints dans lesquels Dieu, « caché », se révèle 

La vaine gloire voltige tout autour mais grâce à Dieu, elle ne pénètre pas… Ce qui frappe tout d’abord, ce qui est le cachet de toutes ces âmes, c’est une profonde humilité, un sentiment qui ne les abandonne jamais de leur faiblesse, une préoccupation habituelle de ne pas paraître tellement impérieuse qu’elles ont dû souvent faire effort pour agir, tant elles craignaient l’éclat qui accompagne les bonnes actions.

Ce grand vide d’eux-mêmes, les saints l’ont comblé en se remplissant vraiment de la grâce et de la vertu de Dieu. Aussi peut-on dire en toute vérité que par les saints Dieu rayonne. On ne peut plus douter de sa présence, puisqu’il vit en eux ; on ne peut douter de son action, puisqu’il inspire de tels actes. Avouons-le, mes frères, le grand défaut de Dieu pour nous, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, c’est qu’il est caché ; aussi a-t-il ménagé notre faiblesse en se révélant dans ses saints.

(Père Marie-Joseph Lagrange. Journal spirituel, 1ernovembre 1908).

Écho de notre page Facebook : octobre 2018

 

27-28 octobre 2018

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Mc 10, 51, par le père Lagrange o.p.

Christ healing Bartimeus par Carmel Cauchi-1994-George Eliot Hospital Chapel, Nuneaton
Copyright George Eliot Hospital Chapel / Supplied by The Public Catalogue Foundation

« Comme Jésus allait entrer , une demi-heure environ après avoir quitté la vieille ville [de Jéricho], une foule nombreuse le suivait. On se disait son nom, on l’acclamait. Un aveugle se mit à crier : « Fils de David, Jésus, aie pitié de moi. » Il se nommait Bartimée, d’après saint Marc qui l’avait sûrement connu parmi les frères. Il est vraisemblable qu’il se tenait là avec un autre aveugle, selon l’usage de ces malheureux de cheminer deux à deux ; cet autre partagea sa guérison, mais est demeuré inconnu. Bartimée, d’un caractère ardent et spontané, criait si fort, qu’on lui imposa silence. Mais lui de crier encore plus haut : « Fils de David, aie pitié de moi ! » Jésus était déjà passé. Touché de son malheur, et aussi de tant de confiance, il s’arrêta : « Appelez-le ! » La foule, mobile comme toujours, s’intéresse maintenant à l’aveugle. « Courage ! lève-toi ; il t’appelle. » Alors l’homme au lieu de s’avancer en tâtonnant pour bien faire constater qu’il était aveugle et inspirer la pitié, jette son manteau pour être plus libre, bondit, et d’un instinct très sûr se trouve en face de Jésus. Afin de lui permettre d’exprimer publiquement sa foi, le Sauveur demande à l’aveugle : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Mais que peut désirer un aveugle ? « Maître, que je voie ! » Et Jésus lui dit : « Va ; ta foi t’a sauvé. » Aussitôt il fut guéri et il le suivit, et sa reconnaissance éclatant en louanges envers Dieu, la curiosité de la foule se transforma en une pieuse admiration » (Marie-Joseph Lagrange o.p., L’Évangile de Jésus-Christ avec la synopse évangélique, p. 456, Artège-Lethielleux, 2017).

Un autre commentaire de ce même évangile nous est donné pour ce dimanche par le fr. Jean-François Rauscher o.p. nous montrant, à l’exemple de Bartimée, comment « suivre Jésus sur le chemin ». cath.ch

 

22 octobre 2018

Saint Jean-Paul II loue le père Lagrange

En septembre 2010, nous diffusions dans la Revue du Rosaire le texte suivant que nous partageons, à nouveau volontiers, avec vous en ce jour de la fête de Saint Jean-Paul II :

S’adressant aux membres de l’Académie pontificale des sciences le 31 octobre 1992, le pape Jean-Paul II a comparé la crise provoquée par la condamnation de Galilée à celle qui occasionna le désaveu du Père Lagrange :

« En vertu de sa mission propre, l’Église a le devoir d’être attentive aux incidences pastorales de sa parole. Qu’il soit clair, avant tout, que cette parole doit correspondre à la vérité. Mais il s’agit de savoir comment prendre en considération une donnée scientifique nouvelle quand elle semble contredire des vérités de foi. Le jugement pastoral que demandait la théorie copernicienne était difficile à porter dans la mesure où le géocentrisme semblait faire partie de l’enseignement lui-même de l’Écriture. Il aurait fallu tout ensemble vaincre des habitudes de pensée et inventer une pédagogie  capable d’éclairer le peuple de Dieu. Disons, d’une manière générale, que le pasteur doit se montrer prêt à une authentique audace, évitant le double écueil de l’attitude timorée et du jugement précipité, qui l’un et l’autre peuvent faire beaucoup de mal.

Une crise analogue à celle dont nous parlons peut être ici évoquée. Au siècle passé et au début du nôtre, le progrès des sciences historiques a permis d’acquérir de nouvelles connaissances sur la Bible et le milieu biblique. Le contexte rationaliste dans lequel, le plus souvent, les acquis étaient présentés, a pu sembler les rendre ruineux pour la foi chrétienne. Certains, dans le souci de défendre la foi, ont pensé qu’il fallait rejeter des conclusions historiques, sérieusement établies. Ce fut là une décision précipitée et malheureuse. 

L’œuvre d’un pionnier comme le Père Lagrange aura été de savoir opérer les discernements nécessaires sur la base des critères sûrs. (1) »

(1)  Acta Apostolicae Sedis 85 (1993) 764-772, Cité par Bernard MONTAGNES, o.p, Le serviteur de Dieu Marie-Joseph Lagrange, o.p. (1855-1938), Biographie critique, Rome 1999, p. 460.

http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/speeches/1992/october/documents/hf_jp-ii_spe_19921031_accademia-scienze.html

 

18 octobre 2018

Saint Luc, évangéliste, 1er siècle, par le père LagrangeSaint Luc peignant la Vierge par Luca Giordano (17e)

Saint Luc peignant la Vierge par Luca Giordano (17e)

Le père Lagrange dans son introduction de l’Évangile selon saint Luc (1941, p. XVIII) nous dit que : « Saint Luc est le patron de la peinture chrétienne. Et certes elle lui doit plus qu’à personne. C’est dans son évangile que les peintres du Moyen Âge et de la Renaissance ont pris leurs thèmes favoris, l’Annonciation, la Visitation, l’adoration des bergers, la présentation au Temple, l’enfant Jésus parmi les docteurs, la pècheresse, les disciples d’Emmaüs, et tant d’autres. Lui-même aurait été peintre, en même temps que médecin.

Cette tradition vient de l’Église de Jérusalem. Nicéphore Calliste, du XIVsiècle, la récite d’après Théodore le Lecteur. L’impératrice Eudocie, fondatrice de l’église de la lapidation de saint Étienne, aurait envoyé à Pulchérie une icône de la mère de Dieu peinte par saint Luc. Si ce Théodore anagnostès est de 530 environ, comme le dit Krumbacher, il aurait été postérieur de moins d’un siècle à Eudocie. Et si l’on possédait alors à Jérusalem une très antique image de la Vierge, pourquoi l’attribuer à un médecin si la tradition n’en faisait pas un peintre ? Ce peut être toutefois l’expression d’une autre tradition que suggère le texte lui-même, sur le soin que prit l’évangéliste de s’informer auprès de la mère de Jésus. »

Note : Lorsqu’il était au petit séminaire d’Autun, Albert Lagrange fit d’excellentes études secondaires. On apprenait alors, par cœur, l’évangile de saint Luc en grec !

15 octobre 2018

Sainte Thérèse d’Avila, vénérée par le père Lagrange

Santa Teresa de Jesùs-Carmelitas Delcalzas. Jaèn

Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582), « la grande Thérèse »

Docteur de l’Église, réformatrice du Carmel et patronne de l’Espagne

Durant l’exil des frères de Saint-Maximin en Espagne, à Salamanque, en 1883, le frère Marie-Joseph Lagrange, avec la proximité de sainte Thérèse d’Avila, vénérée à Alba de Tormès, où les frères se rendent en pèlerinage à plusieurs reprises : Marie-Joseph Lagrange devient pour toujours un fidèle dévot de la Madre. Expériences spirituelles, trop discrètement rapportées, dans des passages de son Journal spirituel. (B. Montagnes o.p., Marie-Joseph Lagrange. Une biographie critique, Cerf, 2004.)

Dans l’un de ses articles, le père Montagnes nous précise ce que le père Lagrange doit à Thérèse d’Avila : une « belle doctrine », une « belle pensée » « Mon Dieu, votre lumière est admirable ! Soyez béni de l’avoir prodiguée à votre fidèle, Thérèse de Jésus ! » « Ma bonne et chère sainte, ma courageuse sainte, donnez-moi quelque chose de votre amour pour « Jésus. » « La lecture des lettres de sainte Thérèse – toujours elle – me donne beaucoup d’estime du courage, de l’action. »

Pour lire l’article en entier : Ce que le père Lagrange doit à Sainte Thérèse d’Avila

 

14 octobre 2018

Canonisation du pape Paul VI

Rappelons-nous : le 14 mars 1974, le pape Paul VI prononçait un discours aux membres de la Commission biblique pontificale réunie à la suite du concile Vatican II, le rôle essentiel du père Lagrange dans le progrès de l’exégèse : Le pape Paul VI loue le père Lagrange

 

13 octobre 2018

La foi de l’Église, la foi de la Vierge Marie pour le père Lagrange o.p.

Vierge du Rosaire et Saint Dominique-Toulouse

La foi de l’Église est la foi de la Vierge Marie. Imprégné dès son enfance de la dévotion à la Vierge Immaculée si chère aux Lyonnais, le père Lagrange a vécu en communion quotidienne avec la Mère de Jésus qu’il priait dans le Rosaire.

En bon dominicain, cette relation filiale envers la Vierge Marie se traduisait en fruits apostoliques. L’École biblique ainsi que plusieurs ouvrages exégétiques ont été mis sous le patronage de la Mère de Dieu. Il aimait choisir les fêtes de la Vierge pour signer ses études bibliques.

Disciple et missionnaire de son Fils, la Vierge Marie joue un rôle important dans la foi des chrétiens et dans la Nouvelle Évangélisation. (Le père Lagrange, lumière pour la nouvelle évangélisation(extrait) par Fr. Manuel Rivero, o.p.) Pour relire l’article en entier : Le père Lagrange, lumière pour la nouvelle évangélisation

Aujourd’hui, plus que jamais, le pape François nous demande de prier chaque jour la Vierge Marie pour l’Église. La prière du chapelet nous y aide, chez soi, en équipe…

11 octobre 2018

L’institution de l’eucharistie par fr. Marie-Joseph Lagrange o.p. et l’eucharistie par saint Jean XXIII

Fra Angelico-Institution de l’eucharistie-Cell 3

Le chef-d’œuvre, le trait divin de l’eucharistie, est d’avoir surpassé l’ambition insensée des désirs par la plénitude du don, mais sous une forme délicatement spirituelle qui écarte toutes les images grossières, et donne à entendre que la véritable union ne s’arrête pas à la manducation. Cet acte extérieur atteindra toujours la réalité du corps du Christ, mais le fidèle ne se nourrira vraiment de lui que si l’amour opère le rapprochement de notre esprit à l’Esprit du Christ. Laissons des critiques malins articuler le sarcasme de «magie». Toute la vie spirituelle de l’Église, amour de Dieu et amour du prochain, est suspendue à ce charme d’énergie divine, et de délices pour le cœur des croyants.
(Marie-Joseph-Lagrange O.P., L’Évangile de Jésus Christ, p. 549, Artège-Lethielleux, 2017.)

L’eucharistie du saint pape Jean XXIII
« Oh ! comme je sens la signification et la tendresse du « Domine non sum dignus » de chaque matin avec l’Hostie sainte en main et comme sceau d’humilité et d’amour. » (Henri Fesquet, Les fioretti du bon pape Jean, Fayard, 1963.)

10 octobre 2018

Jour-anniversaire (10 mars 1938) de la « montée au ciel » du père Marie-Joseph Lagrange o.p.

Aujourd’hui, nous sommes en communion de prières avec frère Manuel Rivero o.p. qui célèbre la messe pour la béatification du père Lagrange. Comme le père Lagrange, accueillons Marie comme Mère de la Parole faite chair ! et n’oublions pas qu’il intercède pour nous avec la Vierge Marie et tous les saints.

Notre intention de prière de ce jour pour : Emma, 9 mois et Hugo, 34 mois qui souffrent de maladie lysosomale, et pour leurs parents.

Vous pouvez confier vos intentions ainsi que les grâces reçues : pere.marie.joseph.lagrange@gmail.com.

9 octobre 2018

Saint Louis Bertrand-Friesach- Dominikanerkirche-Kanzel

Le père Lagrange dans son Journal spirituel priait saint Louis Bertrand o.p.

Le père Lagrange dans son Journal spirituel priait saint Louis Bertrand.

Saint Louis Bertrand, priez pour nous.

Pour ceux qui ne connaissent pas cette grande figure dominicaine, se reporter à la page internet des Dominicains du Canada : http://www.dominicains.ca/Histoire/Figures/bertrand.htm

 

 

8 octobre 2018

La figure du père Lagrange reste une grande inspiration, par le P. Jean-Jacques Pérennès o.p.

Au cours d’une interview de fr. Jean-Jacques Pérennès o.p., directeur de l’École biblique de Jérusalem, l’une des questions était la suivante :

P. Jean-Jacques Pérennès, directeur de l’École biblique

Une figure reste indissociable de l’École biblique, celle du père Lagrange. Que vous inspire cette grande figure aujourd’hui ? Que reste-t-il de son intuition ?

La figure du père Lagrange reste en effet une grande inspiration pour nous, car il a su mener une étude savante de la Bible, prenant en compte l’apport parfois déroutant des sciences modernes, tout en le faisant in medio ecclesiae, et ce, malgré les critiques très dures et parfois injustes dont il a été l’objet de la part de la hiérarchie et/ou de certains de ses membres. Nous espérons que l’aboutissement de sa cause de béatification permette de mettre en lumière cette possibilité d’être à la fois un grand savant et un grand croyant. (Lire la suite : http://www.op.org/…/125-ans-pour-lecole-biblique-de-jerusal…)

6 octobre 2018

Le secret de la vie du père Lagrange

Vierge du Rosaire-François Brea (1555)-église de Saint-Martin-d’Entraunes Alpes-Maritimes-panneau central de la Vierge du Rosaire.

 

 

 

Le secret de sa vie, c’était ce grand amour pour « Marie Immaculée, Reine du Rosaire » : le Père cachait jalousement ce trésor semblable à ces fleurs délicates et si belles que l’on craint de les cueillir en bouquet de peur qu’elles ne se fanent

(Fr. Marie-Réginald Loew, o.p., la Revue du Rosaire, n° 10-11, octobre-novembre 1939.)

 

 

 

 

 

5 octobre 2018

La foi de Marie demeure un modèle et une référence pour le père Lagrange

Sainte Marie, mère de Dieu-Autun

« Si Jésus sur la Croix a dû subir l’abandon de son Père, pourquoi l’âme de Marie n’aurait-elle pas connu des épreuves mystérieuses qui la plongeaient dans une sorte d’obscurité ? Peut-être ? Cependant Luc n’aurait pas écrit cette phrase, si l’on n’en avait recueilli l’expression de la bouche de Marie. Au moment où la Mère de Jésus rappelait aux premiers chrétiens les souvenirs qu’elle avait conservés dans son cœur, elle pouvait bien dire que dans ces premiers et heureux temps elle n’avait pas compris tout ce que comportaient la nature et la mission de son Fils. Pourquoi avait-il dû se séparer d’eux pour être chez son Père ? Première douleur imposée à la Mère, qui en présageait bien d’autres. » M.-J. Lagrange, Évangile selon saint Luc, p. 97-98.

(Manuel Rivero, o.p., Le père Lagrange et la Vierge Marie– La spiritualité mariale du père Lagrange, p. 38, Cerf, 2012.

4 octobre 2018

Saint François d’Assise, l’encyclique Laudato si’ et l’avis du père Lagrange sur la rédaction d’une encyclique par le Saint-Père

Saint François d’Assise remettant la règle à ses disciples-Nicolo Antonio Colantonio (15e)-Musée national de Capodimonte-Naples-Italie_

« Laudato si’, mi’ Signore » – « Loué sois-tu, mon Seigneur », chantait saint François d’Assise. Dans ce beau cantique, il nous rappelait que notre maison commune est aussi comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe »

C’est par ces paroles que le Saint-Père François commence son encyclique qui nous invite à protéger la Création et à respecter la sacralité de la vie humaine.

Le P. Lagrange nous dit que « L’Encyclique n’est pas un document ex cathedra, mais en l’adressant aux catholiques, le Souverain Pontife a rempli son office de Pasteur universel, indiquant aux fidèles la direction à suivre dans les questions agitées. Elle a donc droit au respect et à l’obéissance » (RB 4, 1895, p. 54b).

 

 

 

3 octobre 2018

La prière du Rosaire (en communion avec les pèlerins du Rosaire à Lourdes) par le père Lagrange o.p.

Chapelle du rosaire-basilique Saint-Étienne, Jérusalem

Dans une conférence donnée aux laïcs dominicains et publiée à Saint-Maximin, le frère Lagrange définissait ainsi la prière du Rosaire, la reliant à la lecture de la Bible dans une dialectique féconde, un renvoi permanent de la prière du Rosaire à la Bible et de l’étude de la Bible ou de la lectio divina à la prière du Rosaire :  le révélateur de la foi, la source de la grâce, c’est Jésus, mais on a recours pour s’unir à lui à l’intercession de sa très Sainte Mère. Vous entendez bien que c’est là tout le Rosaire. Le Rosaire est un résumé de l’Évangile, nous orientant vers la fin que nous font espérer l’Incarnation et la Passion de Notre-Seigneur Jésus Christ. […] Mais alors le Rosaire supplée à la lecture de l’Écriture,  et la rend inutile ? Disons plutôt qu’il la fait désirer, qu’il nous la rend même nécessaire, si nous voulons réellement avoir devant les yeux les mystères que nous devons méditer.

Photo : La chapelle du rosaire de la basilique Saint-Étienne à Jérusalem où le père Lagrange, devant l’autel de la Vierge, vers deux heures et quart au plus tard, jusqu’à l’heure des Vêpres, égrenait son rosaire à genoux. (Le père Marie-Joseph Lagrange. Sa vie et son œuvrepar le père Louis-Hugues Vincent, o.p., Parole et Silence, 2013.)

2 octobre 2018

Les Saints Anges Gardiens

L’archange Raphaël et Tobie-Giovanni Girolamo Savoldo (16e)-galerie Borghese, Rome, Italie

Le père Lagrange ne manquait jamais d’invoquer son ange gardien :

« Mon saint ange gardien, protégez-moi ! »

Ces anges auxquels nous sommes confiés :
Ce sont nos anges gardiens, ces anges auxquels nous sommes confiés, précisément pour qu’ils nous aident dans le combat spirituel lorsque la tentation nous menace. Ces anges peuvent prendre le visage d’une consolation reçue dans la prière, une force intérieure qui vient nous conforter et nous permettre de surmonter une tentation et de la vaincre. Ces anges peuvent manifester leur action par le témoignage stimulant de frères ou de sœurs qui nous manifestent au bon moment leur sollicitude par un sourire, un conseil, une invitation, une lettre qui arrive au moment opportun et nous évite de céder à une forte tentation. (Fr. Alain Quilici o.p., extrait homélie 9 mars 2003.)

1er octobre 2018

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus (1897)

Sainte Thérèse de Lisieux (1873-1897) et le père Lagrange (1855-1938) par Bernard Montagnes o.p.

[…] Peut-on raccorder le père Lagrange au char de triomphe de Thérèse de Lisieux ?

Après une enquête difficile sur la provenance du logion [parole], j’ai abouti aux archives du Carmel de Lisieux. Là se trouve une lettre du chanoine Terrillon (1893-1969), prêtre du diocèse de Meaux et vice-postulateur de la cause de Mme Martin, qui avait rencontré le père Lagrange, au printemps de 1927, alors en convalescence dans la maison d’accueil des Franciscaines de Sainte-Marie des Anges à Hyères. Le témoignage du chanoine Terrillon se présente ainsi : « Le R.P. Lagrange, dit un jour à [son] interlocuteur, en parlant du livre du P. Petitot sur sainte Thérèse de Lisieux : « Pourquoi avoir voulu enfermer dans la cage de nos cadres théologiques cette petite sainte, qui était faite pour voler librement en plein ciel du bon Dieu ? » Et il ajoutait finement : « Je lui dois de n’être pas devenu un vieux rat de bibliothèque. Je lui dois tout, car, sans elle, j’aurais dû me racornir, me dessécher l’esprit ». »

(Bernard Montagnes o.p., « Le père Lagrange d’une Thérèse à l’autre », revue Carmel, n° 139, mars 2011, p. 110-119.) Voir le texte en entier : https://www.mj-lagrange.org/?p=2106

Photo : Sainte Thérèse présente deux images de son bréviaire l’une dessinée par elle-même sur laquelle est inscrit : Je suis le Jésus de Thérèse : « Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi. » L’autre représente le portrait de la Sainte Face, dessiné par sa soeur Céline, en 1905, d’après le Saint Suaire.

Le Journal spirituel inédit de fr. Marie-Joseph Lagrange

Le Journal spirituel inédit du P. Marie-Joseph Lagrange o.p.
Le père Marie-Joseph Lagrange tenait un journal spirituel qu’il remplissait notamment lors des retraites spirituelles annuelles commandées par les Constitutions de l’Ordre des prêcheurs.

Au cours de sa formation au noviciat de Saint-Maximin en 1879-1880, son père des novices avait exhorté les débutants dans la vie religieuse à tenir leur journal spirituel afin de mieux comprendre l’action de Dieu dans leur histoire. Le frère Marie-Joseph Lagrange vénérait son père maître avec qui il partageait un profond amour envers la Vierge Immaculée. Une partie de son Journal spirituel a été déjà publié : Le Père Lagrange au service de la Bible, Souvenirs personnels, Paris, Éditions du Cerf. 1967.  Deux autres cahiers figurent dans les archives de l’Ordre, l’un dans la province dominicaine de Toulouse et l’autre à l’École biblique de Jérusalem, qui n’ont pas encore été édités. Ces pages, après avoir été disponibles sur le site Internet consacré au père Lagrange pour éveiller le sens de la prière et du combat spirituel à sa suite, sont aujourd’hui éditées (Cerf, 2014) grâce à l’Association des amis du père Lagrange avec la précieuse collaboration de fr. Bernard Montagnes o.p., docteur en philosophie et docteur en histoire de l’art, membre de l’Institut historique dominicain, ancien archiviste de la province dominicaine de Toulouse, historien des mouvements de réforme dans l’Ordre des Prêcheurs.

Fr. Manuel Rivero O.P.
Vice-postulateur de la cause de béatification du père Lagrange
Président de l’Association des amis du père Lagrange

La sainteté de Dominique, lumière pour l’Ordre des Prêcheurs par fr. Bruno Cadoré, Maître de l’Ordre des Prêcheurs

Le témoignage de sainteté du frère Marie-Joseph Lagrange

bientôt proposé.

 

Lire la lettre de fr. Bruno Cadoré o.p.,

Maître de l’Ordre des Prêcheurs

La sainteté de Dominique, lumière pour l’Ordre des Prêcheurs

(lien ci-dessous)

http://www.op.org/fr/content/la-saintete-de-dominique-lumiere-pour-lordre-des-precheurs-0

 

Santo Domingo de Guzmán
Berruguete, Pedro
Copyright de la imagen ©Museo Nacional del Prado

 

La vie et l’œuvre du serviteur de Dieu, le frère Marie-Joseph Lagrange (1855-1938), fondateur de l’École biblique de Jérusalem, peuvent devenir une lumière et une référence à l’heure où l’Église catholique s’évertue à renouveler son élan missionnaire, ses méthodes et son langage en célébrant le synode de la Nouvelle Évangélisation[1] et l’Année de la Foi.

(1) Voir : Synode des évêques, XIIIe Assemblée ordinaire, La Nouvelle Évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne, Instrumentum laboris, Cité du Vatican 2012. En rigueur de termes, la foi est une grâce divine dont les hommes peuvent témoigner par l’exemple et la parole.

 

 

 

Serviteur de Dieu, le père Marie-Joseph Lagrange, o.p. par Elisabetta Deriu

14 décembre 2017 – Elisabetta Deriu – Ordre des Prêcheurs – Marie-Joseph Lagrange

http://www.ebaf.edu/2017/12/serviteur-de-dieu-le-pere-marie-joseph-lagrange-o-p/

« Le lundi 27 novembre 2017, la Postulation Générale de l’Ordre des Prêcheurs (fr. Gianni Festa, Postulateur général, et fr. Llewellyn Muscat, Secrétaire de la Postulation) a convié la famille des Dominicains, les religieux des autres ordres ainsi que le grand public autour d’une table ronde internationale organisée à la Pontificia Università San Tommaso d’Aquino (PUST), à l’occasion d’une nouvelle édition de l’ouvrage du père Lagrange, L’Évangile de Jésus-Christ (1).

De 15h30 à 18h00, l’Aula minor de l’Université a vu se succéder les interventions des organisateurs et de quatre personnalités scientifiques qui, à différents titres, ont examiné les multiples facettes de la vie et de l’œuvre du Serviteur de Dieu, fin exégète et fondateur, en 1890, de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (Ébaf).

Les participants ont été accueillis par deux représentants de l’Ordre des Prêcheurs à Rome (fr. Bruno Cadoré, Maître général et fr. Gianni Festa, Postulateur général) et par le recteur de la PUST, le père Michel Paluch o.p.

Le secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Monseigneur Giacomo Morandi, a ouvert la série des interventions en illustrant « La figure du père Marie-Joseph Lagrange entre vocation aux études biblico-théologiques et appel à la sainteté ». Monseigneur Morandi a mis en exergue les qualités de Lagrange en tant que « scientifique et homme profondément ecclésial, dans les fibres de ce tissu connectif qu’est l’Église », donnant vie à « une synthèse harmonieuse et accomplie de différentes parties ». Ainsi, ce qui caractérise le croyant, l’homme religieux authentiquement dévot, et le chercheur, se trouve réuni chez le père Lagrange, dans « l’appartenance au Seigneur en fils de saint Dominique », sous le signe d’une « surabondance de cœur » et d’une obéissance « forte, vivante », à toute épreuve.

Ensuite, le père Maurice Gilbert, s.j. (Pontificio Istituto Biblico, Rome) s’est penché sur « Les vertus évangéliques de l’exégète Lagrange ». Maurice Gilbert en a tout particulièrement souligné le « double engagement » : « l’honneur de l’Église » et « le bien des âmes », sans jamais perdre de vue l’unité des chrétiens. Un engagement qui se renouvelle constamment grâce à l’amour (à la fois pour la Vérité, l’Église, le Saint Père, les textes bibliques étudiés et médités), dans un esprit d’obéissance, et par la prière.

Le directeur de l’École biblique, le père Jean-Jacques Pérennès, a proposé une réflexion sur « L’héritage du père Marie-Joseph Lagrange dans l’École biblique de Jérusalem aujourd’hui ». Le « coup de cœur » pour Jérusalem caractérise toute la vie et l’œuvre du père Lagrange qui, pour comprendre les textes sacrés, s’applique tout d’abord à « comprendre le pays et son histoire si complexe ». Ainsi, le Serviteur de Dieu se familiarise-t-il avec le terrain, qu’il explore jusqu’à en acquérir une connaissance profonde, et inégalée. Le « processus structurant » de l’École biblique est, pour le frère, une mission à accomplir pour l’Église ; pourtant, sa démarche répond aux critères scientifiques les plus rigoureux. Dans la recherche de la Vérité, il adopte donc une « perspective théologique » tout en se dotant d’une équipe de spécialistes de premier plan ; il privilégie la mise en dialogue de différents domaines et des méthodes qui leur sont propres, favorisant ainsi une « autonomisation progressive des savoirs ». La qualité des travaux du père Lagrange est telle qu’ils éveillent rapidement l’intérêt des chercheurs et des étudiants étrangers non chrétiens. Toujours actuelle, son œuvre aide à faire le point sur l’état de la recherche, notamment en ce qui concerne la compréhension des textes sacrés dans leur littéralité.

Le père Augustin Laffay (Institut Historique Dominicain, Toulouse) a clos la table ronde avec une intervention sur « Le père Marie-Joseph Lagrange : un itinéraire spirituel ». En tant qu’historien, le père Laffay propose une histoire intime du Serviteur de Dieu à partir des « figures fondatrices », des rencontres et des lieux qui ont forgé son identité spirituelle. In primis, dès son plus jeune âge, Marie-Joseph « vit en proximité avec la Vierge et de nombreux saints », avec une ferveur qui s’alimente au sein d’une famille de grande foi. La figure de Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars, est tout aussi marquante de l’histoire intime du frère Lagrange, et à l’origine d’un pèlerinage in situ, constellée d’actions de grâce. Ensuite, au séminaire de Saint-Sulpice le jeune Lagrange « découvre un amour passionné pour la Parole de Dieu ». La croissance du père Lagrange est peuplé d’autres figures (par exemple, Sainte Marie-Madeleine, Sainte Thérèse d’Avila), et d’autres lieux (par exemple le Couvent Royal de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume) tout aussi déterminants. Encore, l’influence du père Cormier est d’importance cruciale pour le jeune Lagrange : c’est elle qui lui inspire, entre autres, la « charité de Dieu » et « l’amour de Saint Dominique ».

Cette dernière intervention a annoncé l’ouverture de l’exposition historique et documentaire sur le même thème, organisée en marge de la table ronde par l’Institut Historique Dominicain : « Le père Marie-Joseph Lagrange. Son itinéraire spirituel à travers les documents et les photographies », un ensemble de témoignages précieux et touchants, comprenant entre autres plusieurs manuscrits autographes, des reliques et la montre de gousset du père.

La Pontificia Università abrite jusqu’à Noël une série de panneaux situés en libre accès dans le couloir à proximité de l’Aula minor : « Father Marie-Joseph Lagrange (1855-1938) », avec des photos et des textes en anglais. Six panneaux pour autant d’étapes marquantes de la vie du Serviteur de Dieu : « La Foi en héritage », « En suivant Jésus », « Au service de la Parole », « La Terre Sainte », « L’École biblique », « Monstra te esse Matrem ».

12 décembre 2017 – Elisabetta Deriu, Collaboratrice externe de la Postulation Générale de l’Ordre des Prêcheurs »

Article du site de l’Ordre des Prêcheurs, le site général de l’ordre dominicain.

(1) Artège Lethielleux, Perpignan, 2017 (préfation de père Jean-Michel Poffet, directeur émérite de l’École Biblique et archéologique française de Jérusalem ; présentation de père Manuel Rivero, président de l’Association des amis du père Lagrange.

Recension : « Deux points qui intéressent la discipline orientale : La primauté de saint Pierre et le divorce dans le Nouveau Testament d’après les commentaires du P. Lagrange » par L. Serraz

Deux points qui intéressent la discipline orientale : La Primauté de saint Pierre et le divorce dans le NT d’après les commentaires du P. Lagrange

 

In Échos d’Orient.1926. Volume 25. Numéro 142. pp. 244-248.

 

M.-J. Lagrange, o.p. :

– Saint Paul, Épître aux Galates, LXXXIV – 175 pages, Paris, V. Lecoffre, 1918.
– Évangile selon saint Marc, 3eédition, CLI – 30* – 446 pages. Même librairie, 1920.
– Évangile selon saint Luc, 2° édition, CLXVII – 631 pages. Même librairie, 1921.
– Épitre aux Romains, 2° édition, LXXII – 21* – 395 pages. Même librairie, 1922.
– Saint Matthieu, CLXXXVIII – 560 pages. Même librairie, 1923.

 

Nous sommes vraiment en retard pour dire notre admiration devant le somptueux monument d’exégèse qu’édifie le R. P. Lagrange à la gloire du Nouveau Testament, œuvre splendide d’ampleur et de force qui fait le plus grand honneur à l’exégèse catholique. La traduction procède par traits lumineux qui éclairent tout un texte ; d’une ligne sobre et riche, elle est assurée de ne pas vieillir : aereperennius. Le commentaire y gagne netteté et vigueur. Une longue introduction fouille et met au point bien des questions qui se posent sur chacun des livres inspirés. Diverses tables placées à la fin du volume aident les recherches. La bibliographie est abondante et il faut remercier l’auteur d’avoir joint parfois une courte appréciation à l’ouvrage indiqué. Sa compétence lui en donne bien le droit.

Dans l’impossibilité où nous sommes d’analyser une matière si riche, nous nous bornerons à souligner pour nos lecteurs la manière dont le savant exégète a commenté le texte sacré sur deux points qui intéressent la doctrine et la discipline orientale, à savoir : la primauté de saint Pierre et le divorce.

Le premier se présente dans saint Matthieu, saint Luc, l’Épître aux Galates. Suivons l’ordre du Nouveau Testament.

Dans saint Matthieu, 16, 16-19, la confession de saint Pierre concerne sûrement la divinité de Jésus-Christ. « Tandis que ceux qui étaient dans la barque (14, 33), dit le P. Lagrange, avaient vu seulement en Jésus un être surnaturel. Pierre, en ajoutant l’article et la qualification de Fils du Dieu vivant, professe, aussi clairement qu’il pouvait le faire, l’origine divine de Jésus, possédant la nature de l’Être infini qui a la vie et peut la transmettre, ό Θεός ό ζώνne se trouve dans le Nouveau Testament que dans Mt 26, 63, formule très solennelle, et dans l’Ancien Testament, Ps. 41 (42), 3. Quand Pierre a-t-il eu cette connaissance ? Elle est contenue dans 21, 2.5 sq., mais encore fallait-il une grâce spéciale pour la pénétrer et la proclamer avec l’énergie de Pierre. » (P. 322.) Plus loin, l’exégète est encore plus catégorique. C’est à propos de la réponse de Jésus à Pierre : « La félicitation du Sauveur rehausse grandement le rôle de Pierre. Il ne dit pas, au nom des autres, une vérité à laquelle il serait parvenu par le raisonnement, comme cela pourrait être le cas de la simple dignité messianique de Jésus, en s’appuyant, bien entendu, sur les vérités de la foi traditionnelle, les prophéties, les miracles, etc. Non, Pierre a reçu du Père, directement, une révélation qui dépasse en importance privilégiée toutes celles qui sont contenues dans l’Écriture. Car l’unité de Dieu eût pu être atteinte par le raisonnement, mais il fallait une confidence du Père pour savoir que Jésus était son Fils. » (P. 323.) La récompense de l’apôtre est proportionnée à sa confession. Transcrivons les quelques lignes sur le début du verset 18 : « κάγωou bien : sicut Pater meus tibi manifestavit divinitatem meam. ita et ego tibi notam facio excellentiam tuam(S. Léon.), ou bien : quia tu mihi dixisti(Hier. Mald.), sens préférable, parce que le Christ ne s’en tient pas à une révélation sur Pierre, mais il lui fait une déclaration et une promesse qui sont sa réponse à la confession de l’apôtre. » Et notre exégète, embrassant d’un coup d’œil l’histoire de l’Église, d’ajouter : « Ce dialogue a continué dans la suite des temps. Le siège de Pierre a toujours confessé la divinité de Jésus, et chacune de ces confessions a mieux manifesté combien était véridique la parole du Fils de Dieu à son égard dans la personne de Pierre. » (P. 323.) Au sujet de : Tu es Pierre, notons : « Matthieu ne dit pas : « Tu t’appelleras Pierre », mais « tu es Pierre », le bien-nommé, car… » (P. 324.) La chicane principale des protestants porte sur : επί ταύτη τη πέτρα. En quelques traits de bon sens, le P. Lagrange en fait pleine justice : « καΐ έπΐ ταύτη τη πέτραne peut s’entendre que de Pierre, autrement toute la pointe de la phrase disparaît. Jésus a été nommé la pierre angulaire, mais il ne pouvait se désigner lui-même à ce moment. Osons dire que ce serait une mauvaise plaisanterie : Tu es Pierre, mais je bâtirai sur une autre Pierre ! Mc Neile cherche à revenir indirectement à cette interprétation surannée du protestantisme en faisant de cette pierre la foi de Pierre en le messianisme du Seigneur. C’est bien la foi de Pierre qui introduit la promesse, mais la promesse s’entend de la personne dont la foi vient de se manifester. » (P. 324.) Nous omettons les notes philologiques sur les « clés » et les « portes de l’enfer » pour terminer par ces lignes de l’auteur sur la prophétie de Jésus concernant son Église : « II faut convenir que cette prophétie est plus claire pour nous qu’elle ne le fut d’abord. Jésus n’avait rien affirmé sur le temps que durerait son Église. Mais tant qu’elle durerait, elle devait avoir le même fondement, c’est-à-dire que d’autres hommes, la même Église, auraient un autre chef, le même aussi, le chef comme le groupe constituant une unité morale dans chaque ligne, les deux lignes demeurant unies. Cette unité successive dans le chef suppose une perpétuité de l’autorité dans une certaine lignée, dynastique ou autre. La succession d’un évêque à un autre évêque comme pasteur suprême répond très bien à cette donnée. Il restait à Jésus de pourvoir à ce que ses pasteurs aient toujours la qualité requise pour un fondement de l’Église, une foi semblable à celle de Pierre. Ce fut le rôle et le privilège de l’Église romaine de définir cette foi sans jamais dévier. De sorte que la parole de Jésus à Césarée est si manifestement une prophétie réalisée qu’elle est un puissant argument de crédibilité. » (P. 827.)

La promesse de la foi indéfectible était inclue dans la primauté conférée à saint Pierre dans saint Matthieu, 16, 18-19. Elle est explicitement énoncée dans saint Luc, 22, 32. Satan a demandé de cribler tous les apôtres, et Jésus promet à Pierre, seul, l’indéfectibilité de la foi avec la charge de confirmer ses frères. « II y a parallélisme, écrit ici le P. Lagrange, entre έγώ δέ et καί συ, le rôle du Seigneur et celui de Pierre. Jésus a prié pour tous les apôtres (Joan,17, 9) ; s’il a prié spécialement pour Pierre, ce n’est pas simplement parce que sa foi était plus exposée, mais parce qu’elle importait au salut des autres… La foi de Pierre c’est sa conviction dans le caractère surnaturel de Jésus. Elle n’a pas défailli, car, s’il a nié avoir connu Jésus, il n’a pas nié qu’il fût le Messie et le Fils de Dieu. Sa faiblesse de caractère n’entraînait pas l’abandon de sa conviction, demeurée assez vivante pour déterminer l’explosion de son repentir. » (P. 553-554.) L’exégète clôt son commentaire sur ce texte par cette déclaration : « Le concile du Vatican a cité ce texte pour établir le dogme de l’infaillibilité pontificale. Et, en effet, si les apôtres pour lesquels Jésus a prié avaient besoin d’être fortifiés dans la foi par Pierre, les successeurs des apôtres doivent être dans le même rapport avec le successeur de Pierre, puisque ce dernier est établi à jamais comme fondement de l’Église. » (P. 554.)

Venons-en maintenant à l’Épître aux Galates.Deux passages sont spécialement à considérer : 1, 18, et 2, 11-14. Les apologistes ont depuis longtemps remarqué la valeur de 1, 18 pour indiquer le rang spécial et l’autorité que saint Paul reconnaissait à saint Pierre parmi les apôtres… Le prix du témoignage est dans la démarche de saint Paul. Notre commentateur le rehausse encore en notant la force du terme employé par l’apôtre. « Ίστορήσαίne veut pas dire « s’informer auprès d’une personne », mais, c’est plus que « voir » ; c’est faire la connaissance d’une personne importante. On cite dans ce sens Jos. Bell. VI, 1, 8 et les HoméliesClém. VIII, 1 passim. Le terme vient probablement des visites rendues aux lieux et villes illustres, qui avaient le caractère d’un hommage. Paul rend donc hommage à l’autorité que Pierre exerçait dans la primitive Église, sans lui faire honneur de sa propre connaissance de l’Évangile. » (P. 17.)

Protestants et orthodoxes nous renvoient plus volontiers à 2, 11-14 qui raconte l’incident d’Antioche. Mais cet incident est lui-même une preuve de l’autorité de Pierre. « Son importance dans l’Église primitive, dit le P. Lagrange, ressort nettement du récit qui est si peu obligeant pour lui. » (P. 41.) Paul « résiste à Pierre, ce qui suppose que celui-ci était revêtu de l’autorité et passait dans l’opinion des fidèles pour lui être supérieur, et il résiste en face, sans s’arrêter à l’ascendant qui devait lui imposer plus de déférence ou même d’obéissance. S’il est, pour ainsi dire, sorti de ses gonds, prenant vis-à-vis de Pierre une attitude anormale, c’est que Pierre était coupable ». (P. 41-42.) En quoi consistait la faute de Pierre ? En ceci que, sous l’influence des judéo-chrétiens venus de Jérusalem à Antioche, il « se retirait dans les occasions où il eût été exposé à manger avec les Gentils, et même se mettait à l’écart ouvertement si l’occasion ne pouvait être évitée d’avance. Il le faisait par crainte de ceux qui étaient originaires de la circoncision… (II) redouta leurs réclamations, dénonciations, indignations, clameurs. C’est que, s’il a été éclairé sur le fond des choses par la vision relative au centurion Corneille, il ne paraît pas avoir cessé, étant à Jérusalem, de pratiquer la Loi. Sa nouvelle attitude devait susciter des commentaires. Estime-t-il donc, depuis qu’il est à Antioche, qu’elle ne lie plus les Juifs, ou agit-il contre sa conscience ? Pierre évita de s’expliquer et crut devoir éviter la lutte en se retirant. Mais un Pierre ne pouvait se retirer sans bruit ». (P. 43.) Cette faute de saint Pierre, le P. Lagrange prend soin de le relever, n’était pas une erreur de doctrine, mais une faiblesse de conduite. « II se croyait affranchi de la Loi puisqu’il mangeait avec les Gentils, et saint Paul ne suppose pas un instant qu’il l’a fait contre sa conscience. Il avait donc pris parti, et il n’a pas le courage de se défendre. Si maintenant il se retire, il donne à croire qu’il n’a pas agi délibérément, il se rétracte en fait, et la conclusion était naturellement soulignée par les judéo-chrétiens stricts, qui n’ont pas cessé, sans aucun doute, de contribuer au revirement, en alléguant auprès des retardataires l’autorité de Pierre. » (Ρ. 44.) C’est cette autorité, en effet, qui donne à l’exemple de saint Pierre un tel ascendant et une valeur de contrainte morale, jusqu’à entraîner Barnabé lui-même, le compagnon de Paul, et jusqu’à déconcerter même les Gentils convertis et les obliger en quelque sorte aux pratiques de la Loi. C’est le sens du mot άναγκάζεις. « C’était un fait que Pierre obligeait les Gentils à judaïser, puisque ceux-ci étaient en train de se soumettre aux observances pour ne pas se séparer de Pierre, le prince des apôtres, l’ami de Jésus, qui depuis la Résurrection avait tout dirigé dans l’Église. Le terme άναγκάζειςpourrait paraître exagéré, si l’exemple, venu de si haut, n’avait une vertu singulière pour entraîner. » (P. 45.)

Ainsi, loin d’infirmer l’autorité de Pierre dans la primitive Église, l’incident d’Antioche la proclame, et même est inexplicable sans elle.

L’autre point sur lequel les orthodoxes sont en sérieuse divergence avec les catholiques, c’est le divorce. Personne n’ignore qu’aux yeux de l’Église orientale dissidente, le mariage n’est pas considéré comme indissoluble, et que le divorce peut être prononcé par l’autorité ecclésiastique. Pour justifier ce sentiment et cette pratique, on en appelle au texte de saint Matthieu 5, 32, où l’on interprète παρεκτος λόγου πορνείαςde la façon suivante : « si ce n’est quand on allègue le motif d’adultère ». Le P. Lagrange relève l’inconséquence de cette traduction qui heurte le contexte. « Cette traduction, en apparence naturelle, aboutirait à dire : La Loi a permis la répudiation pour une cause quelconque, mais moi je ne la permets que pour cause d’adultère. Si Jésus avait raisonné ainsi, il aurait mal allégué la Loi, si c’est la Loi elle-même qu’il visait, ou omis de distinguer les deux écoles. De plus, et sans le dire, il aurait simplement pris parti pour l’école la plus sévère, ce qui est contre tout l’esprit du discours. Il faut donc constater avant tout que le Maître ne traite pas la question des motifssuffisants pour la répudiation, mais des effetsde la répudiation. L’ancienne Loi admettait purement et simplement que la répudiation ouvrait les voies à un second mariage pour la femme. Jésus refuse d’accepter cette conséquence et par conséquent refuse au mari le droit de répudier sa femme : celui qui la répudie la conduit à l’adultère, celui qui épouserait une répudiée commettrait l’adultère. Le principe même de la répudiation étant aboli, il n’y avait pas à se demander dans quel cas elle est légitime, et c’est pour cela que Jésus pouvait citer la Loi sans y faire entrer la restriction qu’elle mettait à son exercice ». Quant à l’incise : παρεκτὸς λόγου πορνείας, le sens est : « mis à part le cas d’adultère ». « Ce cas, en effet, dit notre exégète, entraînait des conséquences spéciales. Le mari avait le droit, sinon le devoir, de dénoncer sa femme, de provoquer sa punition. Régulièrement, l’adultère était mis à mort. De plus, il serait plus que bizarre de dire qu’un mari qui renvoie sa femme adultère l’expose à l’adultère. Ne pas permettre au mari de renvoyer sa femme en pareil cas, c’était, selon la jurisprudence qui ne connaissait que la répudiation, l’obliger à la garder, ce qui eût été trop dur. Enfin il fallait éviter de paraître indifférent à une transgression aussi coupable. On comprend donc très bien que Jésus ait réservé le cas d’adultère. »

Si quelque obscurité demeure avec ces explications, elle doit disparaître à la lumière du texte très clair de Marc 10, 5. À la question des pharisiens : Est-il permis à un homme de répudier sa femme ? Jésus avait répondu en rétablissant la loi primitive : Qu’un homme ne sépare point ce que Dieu a uni. À la maison, les disciples interrogent le Maître. Ils « se demandaient peut-être s’il n’y avait vraiment aucune exception à la nouvelle règle, si elle était assez formelle pour que l’époux remarié fût coupable d’adultère… Non seulement la répudiation est interdite, mais encore le mariage qui la suivrait serait positivement un adultère ». (P. 244.) Saint Luc est tout aussi clair, 16, 18 : Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre commet un adultère, et celui qui épouse une femme renvoyée par son mari commet un adultère. « Quoi qu’il en soit du contexte, la parole du Seigneur se présente comme une condamnation très nette du mariage qui suivrait la séparation des époux. L’homme ne peut se remarier, ni la femme, c’est ainsi que Marc 10, 11, 12, présente la solution, en traitant le cas directement pour chacun des époux. C’est la même solution dans Luc, mais envisagée les deux fois comme réglant l’acte d’un homme ; il ne doit ni se remarier ni épouser une femme répudiée. » (P. 441.)

Pour en revenir à saint Matthieu, il faut de toute nécessité que son sens coïncide avec celui des autres évangélistes. L’interprétation catholique, du reste, est la seule qui soit conforme à un autre passage du même apôtre, 19, 7-11, touchant le billet de répudiation, la seule aussi qui rende possible l’étonnement des apôtres, traduit par cette parole : « Si telle est la condition de l’homme avec sa femme, mieux vaut ne pas se marier. » « Les apôtres, dit le P. Lagrange, ne pouvaient déclarer que la doctrine de Chammaï, doctrine officielle du judaïsme postérieur, rendait le mariage impossible. Il faut donc qu’ils aient eu conscience que le Christ venait de poser une loi beaucoup plus sévère ; le mariage est indissoluble, et si le mari a le droit de répudier sa femme pour cause d’adultère, il ne peut plus en prendre une autre. Que les apôtres aient trouvé cette loi sévère, on ne peut s’en étonner quand on assiste aux protestations qu’elle soulève encore et qui ont abouti dans tant de législations modernes à l’abandon néfaste de la loi chrétienne. » (P. 370.) Au sujet de la sentence du Christ : « Tous ne comprennent pas cette parole, mais ceux auxquels cela a été donné », le commentateur fait cette réflexion pénétrante : « II serait vrai de dire que cette indissolubilité n’est comprise que de ceux auxquels Dieu en fait la grâce par la profession du catholicisme puisqu’il est le seul à la maintenir. » (P. 371.)

Ces deux points que nous avons choisis dans les commentaires du P. Lagrange peuvent donner une idée de l’ensemble. Partout l’on jouit du même génie clair, du même bon sens, de la même sobriété de style que la sublimité du su et emporte parfois jusqu’à l’éloquence, et l’on se prend à souhaiter que l’auteur puisse, dans la maîtrise de sa pensée mûre et de sa profonde érudition, achever le cycle des commentaires du Nouveau Testament si brillamment commencé.

L. SERRAZ

www.mj-lagrange.org

Écho de notre page Facebook : septembre 2018

30 septembre 2018

Saint Jérôme dans l’oeuvre du père Lagrange o.p.

Saint Jérôme-autel Basilique St-Etienne. Jerusalem

Le père Lagrange avait un cahier de notes scientifiques prises en 1905 afin de préparer un livre sur le Royaume de Dieu … Voilà une échappée révélant à quelle source le père Lagrange puisait son inspiration. De façon moins personnelle, dans les Conseils pour l’étude, qu’il adressait aux jeunes dominicains venus dès 1890-1891 faire leur théologie à Jérusalem, sans doute alléguait-il, à travers des citations de saint Jérôme et de saint Augustin, sa propre expérience chrétienne.

Contemplation : « Je te le demande, frère très cher, vivre au milieu de ces textes sacrés, les méditer, ne rien connaître, ne rien chercher d’autre, ne crois-tu pas que c’est déjà, dès ici-bas, habiter le royaume céleste ? » (Jérôme, au prêtre Paulin, LIII, 10)

Prédication : « Un homme parle avec d’autant plus ou d’autant moins de sagesse qu’il a fait plus ou moins de progrès dans la science des saintes Écritures. » (Note de cours, ASEJ, fonds Lagrange).

 

Note : Saint Jérôme et le lion ?

La légende dorée raconte l’histoire de la rencontre du saint et du lion. Se promenant dans le désert saint Jérôme se retrouve en face d’un lion qui, au lieu de l’attaquer, se lèche la patte d’un air malheureux.

Saint Jérôme, plein de pitié, retire l’épine qui le blessait. Accompagné du lion reconnaissant, il rejoint son monastère où le fauve jette d’abord l’effroi et la crainte. Mais devant sa douceur et son affection pour le saint, les moines se prennent d’amitié pour le lion et le chargent de garder l’âne du monastère. Mais un jour, le lion revient seul car des bédouins avaient enlevé l’âne. Accusé de l’avoir mangé, le lion subit avec patience et humilité la pénitence qui lui fut infligée, puis disparut. Il retrouva les voleurs, les mit en fuite puis ramena l’âne au monastère mais, épuisé par ses recherches, il expira aux pieds de saint Jérôme.

 

27 septembre 2018

Saint Vincent de Paul par Simon François de Tours (17e)

Saint Vincent de Paul, le père Marie-Joseph Lagrange o.p. et la charité

Saint Vincent de Paul, patron des œuvres charitables

En ce jour de fête de ce grand saint, nous pouvons relire cette pensée  du père Marie-Joseph Lagrange sur la charité, toujours actuelle aujourd’hui, :

« Parmi les moyens les plus efficaces pour toucher le cœur des enfants, lutter contre leur égoïsme, contre l’attrait du plaisir, avant bien des instructions publiques ou privées, je pense encore qu’il faut placer la visite des pauvres à domicile, à leur propre foyer. Il existait au petit séminaire une conférence de Saint-Vincent-de-Paul, très assidue à cet office, et c’était un honneur d’en faire partie. »

15 septembre 2018

Notre-Dame des Sept-Douleurs, extrait d’un article de fr. Réginald o.p.

Vierge affligée-Soeur Plautilla Nelli, dominicaine (16e)

Le P. Lagrange en créant l’École biblique de Jérusalem, puis deux ans après une Revue trimestrielle, la célèbre Revue biblique et un peu plus tard une collection de livres : Les Études bibliques, faisait remporter à l’Église la victoire sur le terrain même de la science. « Madame Sainte Marie a donné la victoire à son chevalier. » (P. Lagrange)

Une victoire suppose un combat, un combat, à son tour, des armes. Quelles étaient celles du P. Lagrange ? Un travail assidu, et le Rosaire, diront tous ceux qui l’on connu, et en réalité, elles ne faisaient qu’un. Cette victoire … ce fut au prix de sa souffrance que le P. Lagrange l’acheta, et bien peu ont communié aussi réellement que lui au Mystère de Notre-Dame des Sept-Douleurs.

(extrait d’un texte du fr. Marie-Réginald Loew, o.p., disciple du père Lagrange, paru dans la Revue du Rosaire, n° 10-11, octobre-novembre 1939.)

14 septembre 2018

Croix libanaise

L’Exaltation de la Sainte Croix ou la fête de la Crois Glorieuse, par Marie-Joseph Lagrange o.p.

« Ô Croix, dressez-vous dans mon âme, pour m’unir à Jésus : surtout réformer les passions et résister aux tentations.

Abandonner sa volonté, se livrer à Dieu ! » (Marie-Joseph Lagrange, Journal spirituel, 14 septembre 1883.)

 

 

12 septembre 2018

Le Saint Nom de Marie dans les écrits du père Lagrange o.p.

Pour le nom de Marie, une multitude de livres et d’articles ont vu le jour à la recherche de la bonne explication.
Le père Lagrange retient celle de « dame » ou « princesse » en harmonie avec la pratique de l’Église qui se confie à l’intercession de la Vierge Marie sous le vocable de « Notre-Dame ». (Manuel Rivero, o.p. Le père Lagrange et la Vierge Marie. Méditations des mystères du Rosaire, Cerf, 2012.)

Dans ses écrits le P. Lagrange invoque sans cesse la Vierge Marie, et particulièrement dans son Journal spirituel :

Madonna (détail)-P. Perugino-15e-Madonna in trono col Bambino tra i Santi Giovanni Battista e Sebastiano

Ave Maria !

Ô Marie, Immaculée Conception,
Marie, Mère de Jésus,
Vierge Marie, ma Dame Mère, Reine et Maîtresse,
Marie, Mère pleine de grâces,
Marie, ma Mère,
Marie, Mère du Verbe, Patronne des Prêcheurs,
Marie, modèle de l’amour pur,
Marie Immaculée, Mère de Dieu,
Ô Marie, ma Dame, mon Avocate, ma Patronne, mon Guide, ma Reine, ma Mère !
Notre-Dame Marie Immaculée,
Marie Immaculée, Reine du Rosaire,
Marie, ma Mère,
Sainte Marie,
Marie, Miséricorde,
Marie, Confiance,
Marie, Médiatrice,
Marie, Réparatrice,
Marie, Rose mystique,
Marie très pure,
Marie, la première frappée,
Marie, Reine des cieux, Reine de ma vie,
Marie, Reine de la Vérité, la Lumière,

Priez pour nous !

 

10 septembre 2018

Messe-anniversaire mensuelle pour la béatification du père Marie-Joseph Lagrange o.p., par Manuel Rivero o.p.

Ce 10 septembre 2018, comme chaque mois à la même date, nous sommes en union de prières avec fr. Manuel Rivero, o.p., qui célèbre la messe aux intentions particulières des amis de l’association du père Lagrange et pour sa prochaine béatification.

Prière pour la glorification du Serviteur de Dieu Marie-Joseph Lagrange, dominicain.

Père saint, tu as mis en ton serviteur le frère Marie-Joseph Lagrange, le désir de la vérité et un goût passionné pour la Parole de Dieu.

À la lumière de la Loi de Moïse, des Prophètes et des Psaumes, il a scruté le mystère de Jésus Christ et son coeur est devenu brûlant.

Avec la Vierge Marie, il a médité l’Évangile dans la prière du rosaire.

Il a voué son existence à l’étude scientifique de la Bible dans l’harmonie évangélique de la foi et de la raison afin de sauver les âmes perturbées par la critique scientifique.

Ceux qui l’ont connu ont témoigné de sa foi rayonnante et de son exemplaire obéissance dans les épreuves.

Nous te prions, Père, de hâter le jour où l’Église reconnaîtra publiquement la sainteté de sa vie, afin que son exemple bienfaisant entraîne nos frères à croire en la Parole de Dieu.

Que l’intercession du frère Marie-Joseph Lagrange nous obtienne les grâces dont avons besoin, et en particulier : (préciser laquelle)…..

Nous te le demandons, Père, au nom de ton Fils Jésus Christ dans la communion du Saint-Esprit, un seul Dieu vivant pour les siècles des siècles. Amen.

La prière pour demander la béatification du P. Lagrange est aussi une prière pour obtenir des grâces par son intercession. Les personnes ayant obtenu des grâces sont invitées à le faire savoir à fr. Manuel Rivero, o.p. : pere.marie.joseph.lagrange@gmail.com, ou bien par courrier à l’association des amis du père Lagrange – Dominicains – 9 rue Saint-François-de-Paule-06357 Nice Cedex 4 – France.

8 septembre 2018

Naissance de la Vierge Marie-Enluminure-Don Silvestro de Gherarducci (14e)

Nativité de la Vierge Marie : « Je remets tout entre les mains de ma Maîtresse et Mère, par le père Lagrange o.p.

La suite des travaux scientifiques [du P. Lagrange], et jusqu’à leur objet, est confié de la même façon à Marie :
« Donc le 8 septembre, je me remets de nouveau entre les mains de ma Maîtresse et Mère : c’est pour cela que je ne fais aucune démarche ; l’initiative doit venir d’elle. J’ai beaucoup hésité si je ne ferais pas un manuel de critique textuelle. J’y renonce. Il me semble qu’il vaut mieux aborder la question des origines du mysticisme. […] Le mysticisme, manqué dans Platon, exterminé par Aristote, était en germe dans l’A.T. avec l’amour de Dieu : il se développe in Christo Jesu. »
« À vos pieds, Mère tendrement aimée, Maîtresse à laquelle je veux obéir. »

(Bernard Montagnes o.p., Marie Joseph Lagrange. Une biographie critique, Cerf, 2004, p. 564.), Cerf, 2014, p. 564.) (Journal spirituel, 8 septembre 1928, Cerf, 2014, pp. 444-445.)

4 septembre 2018

Marie et l’Enfant par Barnaba da Modena (14e)

Marie et le mystère du Christ et de l’Église par Manuel Rivero o.p.

Pour le frère Lagrange, Marie est à situer dans le mystère du Christ et de l’Église comme le dira plus tard le concile Vatican II dans sa Constitution Lumen gentium au chapitre VIII. Il va à Jésus par Marie et à Marie par Jésus : « Rien qui ne soit pour Jésus ; mais aussi rien qui ne soit offert à Marie pour Jésus. Prier Jésus, toujours, par Marie, toujours : ne les isoler jamais. Jésus dans les bras de Marie. » (Journal spirituel, 21 avril 1881.)(Manuel Rivero o.p. – Le père Lagrange et la Vierge Marie, Cerf, 2012.)

 

 

3 septembre 2018

Saint Grégoire le Grand, pape et docteur de l’Église, † 604

Le père Lagrange au service de la vérité.

Les exigences de cette forme de service de la vérité, le père Lagrange les a d’autant mieux mesurées qu’il se les est d’abord appliquées à lui-même, en acquérant la compétence scientifique la plus rigoureuse, la plus capable de s’imposer au monde savant. À propos du P. Vincent Scheil, futur déchiffreur de la stèle d’Hammourabi, qui de Mossoul était venu à Jérusalem en 1890 ou 1891, le P. Lagrange écrit [dans une lettre à MGillet, le 12 juillet 1931] : « Lorsque le P. Scheil est venu à Jérusalem, il y a quarante ans, il me disait qu’on le priait d’éditer en arabe des textes de saint Grégoire le Grand : « ce serait plus conforme à sa vocation ». Je me suis permis de lui dire : « Devenez le premier assyriologue de France, ce sera encore plus conforme à votre vocation ». » C’est ainsi que le P. Lagrange a accompli intégralement sa vocation dominicaine.

(Bernard Montagnes o.p., Marie-Joseph Lagrange. Une biographie critique, Cerf, 2004, pp. 554-555.)

http://www.ebaf.edu/archeologie/figures-archeologiques/

 

Le bienheureux Jean-Baptiste Fouque et le père Marie-Joseph Lagrange o.p. par Manuel Rivero o.p.

Le bienheureux Jean Baptiste FOUQUE

et le père Marie Joseph LAGRANGE o.p.

par Manuel Rivero o.p.

C’est malade à l’hôpital Saint-Joseph de Marseille, fondé par l’abbé FOUQUE de sainte mémoire, que le père LAGRANGE formule en 1926 le vœu de rédiger une Vie de Jésus s’il retrouve ses forces et sa santé[1].

 

Le père Louis-Hugues VINCENT O.P., frère dominicain de l’École biblique de Jérusalem, accompagne le 6 novembre le père Lagrange à l’hôpital Saint-Joseph, où il restera jusqu’au 6 janvier 1927. Dans son Journal spirituel, le père Lagrange note de manière sobre mais cela lui semble important : « Vu le chanoine FOUQUE avant sa mort »[2].

Il commence la rédaction le 22 juillet, en la fête de sainte Marie-Madeleine, et ses commentaires évangéliques avancent à grands pas dans un climat de prière.

Il tourne ses yeux et son cœur vers la Vierge Marie, Notre-Dame des commencements[3], en implorant son intercession : « Très douce Mère, Marie Immaculée, Reine du très Saint Rosaire, c’est pour vous plaire que je commence, et par vous à votre Fils : aidez-moi. Faites-le moi mieux connaître, donnez-moi de l’aimer et étant devenu uni à ses sentiments, d’avoir pour vous son amour, sa tendresse, et comme étant aussi votre esclave, la docilité et le dévouement d’un bon serviteur … Suppléez à tout ! S. Joseph, priez pour moi, S. Dominique, aidez votre enfant. Ave Maria ! »[4].

Dans sa déclaration du 22 septembre 1936 au couvent de Saint-Maximin (Var. France), à ouvrir après son décès, le père Lagrange déclare : « La petite croix du P. FOUQUE de Marseille, que je porte sur moi, serait pour le Père VINCENT. »[5]

Le père Lagrange n’évoque pas l’origine de cette croix à laquelle il tient au point de la porter sur lui. L’a-t-il reçu directement de l’abbé FOUQUE ? S’agit-il d’un souvenir-relique offert au père LAGRANGE par les sœurs dominicaines qui travaillent comme infirmières à l’hôpital Saint-Joseph ? Peu importe. Cette petite croix marque bien le lien spirituel entre le « Vincent de Paul marseillais » et le fondateur de l’École biblique de Jérusalem.

Dans son adolescence, le père Lagrange faisait partie d’une conférence de Saint-Vincent-de-Paul à Autun où il servait les pauvres à domicile. Il écrivait dans ses Souvenirs personnels : « Parmi les moyens les plus efficaces pour toucher le cœur des enfants, lutter contre leur égoïsme, contre l’attrait du plaisir, avant bien des instructions publiques ou privées, je pense encore qu’il faut placer la visite des pauvres à domicile, à leur propre foyer. Il existait au petit séminaire une conférence de Saint-Vincent-de-Paul, très assidue à cet office, et c’était un honneur d’en faire partie. »[6]

L’abbé Jean-Baptiste FOUQUE qui sera béatifié à Marseille le 30 septembre 2018 et le père Marie-Joseph LAGRANGE, dont la cause de béatification est en cours, se sont rencontrés non seulement dans les locaux de l’hôpital Saint-Joseph de Marseille mais surtout ils se sont retrouvés et reconnus dans la même passion pour le salut des âmes. L’abbé FOUQUE en innovant dans le domaine social et en créant des institutions qui se sont développés dans le temps ; le père Lagrange en innovant dans l’exégèse biblique et en créant l’École pratique d’études bibliques à Jérusalem au service de l’intelligence de la foi en la Parole de Dieu.

L’abbé FOUQUE s’est investi dans les milieux populaires marseillais où il a apporté soutien matériel, soins médicaux et éducation chrétienne. Le père Lagrange a tenu à vulgariser ses recherches scientifiques en publiant « L’Évangile de Jésus-Christ avec la synopse évangélique»[7]qu’il voulait accessible aux ouvriers.

L’Église a reconnu la sainteté de l’abbé FOUQUE. L’Église par le biais des papes a mis en lumière aussi le labeur du père LAGRANGE pour nourrir la foi des fidèles.

Le père Lagrange avait dédicacé en 1928 « L’Évangile de Jésus-Christ » au pape Léon XIII, apôtre du Rosaire. Plus tard, le 25 mars 1930, le cardinal Pacelli, secrétaire d’État du pape Pie XI, futur pape Pie XII, remercia chaleureusement le père Lagrange pour « le beau travail » en lui accordant au nom du pape Pie XI une Bénédiction apostolique particulière.

Le bienheureux pape Paul VI et le saint pape Jean-Paul II ont mis en lumière l’œuvre du père Lagrange, pionnier de l’exégèse catholique, dans le contexte difficile du modernisme qui privait la Bible de sa dimension surnaturelle en tant que révélation divine dans l’Histoire.

La Commission biblique pontificale dans son document, publié le 21 septembre 1993, « L’interprétation de la Bible dans l’Église », préfacée par le cardinal J. Ratzinger, devenu ultérieurement le pape Benoît XVI, a rendu hommage à l’œuvre du père Lagrange le citant comme un bibliste de référence dans l’histoire de l’exégèse catholique à la suite d’Origène et de saint Jérôme. D’ailleurs, le père Lagrange a souvent été appelé « le nouveau saint Jérôme » à tel point qu’il apparaît comme un docteur dans l’interprétation fidèle, scientifique et innovante des Saintes Écritures.

L’abbé FOUQUE et le père LAGRANGE représentent deux modèles de sainteté, fondées sur l’amour de Dieu et du prochain, et unis dans l’attachement à Jésus-Christ, leur unique Seigneur. Toujours d’actualité, toujours jeunes de la jeunesse de la charité qui ne passe pas.

Fr. Manuel Rivero O.P.

Président de l’Association des amis du père Lagrange

https://www.mj-lagrange.org/
Facebook : Marie-Joseph Lagrange, dominicain

 

[1]LAGRANGE, (M.-J) (2014), des frères prêcheurs, Journal spirituel 1879-1932. Paris. Éditions du Cerf. P. 439.

 [2]LAGRANGE, (M.-J) (2014), des frères prêcheurs, Journal spirituel 1879-1932. Paris. Éditions du Cerf. P. 438.

[3]Voir RIVERO, (M.) (2012), Le père Lagrange et la Vierge Marie, méditations des mystères du Rosaire. Paris. Cerf.

[4]LAGRANGE, (M.-J) (2014), des frères prêcheurs, Journal spirituel 1879-1932. Paris. Éditions du Cerf. P. 440.

[5]MONTAGNES (B.) (2004), Marie-Joseph LAGRANGE, une biographie critique. Paris. Éditions du Cerf. P. 520.

[6]Le Père Lagrange au service de la Bible. Souvenirs personnels. Paris. Éditions du Cerf. 1967. P. 254.

[7]LAGRANGE (M.-J), (2017), L’Évangile de Jésus-Christ avec la synopse évangélique, traduite par le père Ceslas LAVERGNE O.P.. Préface de Jean-Michel POFFET, O.P. ; Présentation de Manuel RIVERO O.P.. Paris. Éditions Artège-Lethielleux. 2017.